France

Mariage pour tous : « Nous ne défendions pas que notre cause, mais notre vie »… Après les débats, les traumas des LGBT+

Des plaies toujours ouvertes, dix ans après. Au sein de la communauté LGBT+, la promulgation de la loi sur le mariage pour tous n’est pas seulement une victoire, mais aussi une longue série de traumatismes difficiles à oublier. En 2013, sur les chaînes d’information en continu comme dans les colonnes des principaux journaux, les propos homophobes s’enchaînent et prennent autant de valeur que les combats des principaux intéressés.

A l’époque, Rozenn Le Carboulec était toute jeune journaliste pour le supplément « Le Plus » de L’Obs. Pas encore « out » au sein de sa rédaction, la nouvelle pigiste commence alors sa carrière aux premières heures des débats sur le mariage pour tous. Particularité du « Plus » : laisser une tribune à chacun, chaque opinion. A tort ? Sûrement. Dans son livre Les Humilié.es, en librairie le 3 mai prochain aux éditions Equateurs, l’autrice revient sur cette violence engendrée par le traitement médiatique et politique.

« Mes débuts dans le métier ont coïncidé avec la remise en cause de mon identité, à la fois par la société, mais aussi par la profession dans laquelle j’aspirais à travailler puisque à ce moment-là sur « le Plus », nous avions publié plusieurs tribunes d’opposants au projet de loi de l’adoption et du mariage pour tous ». Parmi eux, Jean-Pier Delaume-Myard devenu grâce au coup de pouce des médias le nouveau porte-parole des opposants de la Manif pour tous.

Le Vendée Globe éclipse les pros Mariage pour tous

Comme sa rédaction, et de nombreuses autres, la jeune journaliste était convaincue que tout le monde devait avoir la parole… y compris les opposants. « Même si je sentais déjà une contradiction sur le fait que l’Obs se positionne en faveur du mariage pour tous et qu’on publie plusieurs tribunes venant de l’opposition. » Désormais, Rozenn Le Carboulec reconnaît la très grande violence de la période liée « à une contradiction éditoriale et déontologique » de la part de son ancienne rédaction.

Seulement, ce n’était pas le seul problème de l’Obs en 2013. Les chaînes d’information en continu par exemple ont également loupé la marche. Dans son livre, l’autrice rappelle par exemple qu’iTélé – chaîne désormais remplacée par CNews – avait promis le même traitement médiatique des manifestations pro et contre la loi. Seulement, manque de bol, le Vendée Globe avait finalement monopolisé la couverture médiatique le jour de la mobilisation des principaux concernés, la communauté LGBT+.

« Eux parlaient de concept, nous de droit fondamental »

Sur les pavés, la violence subie n’est également pas anodine. Pour Charles Roncier, également journaliste, mais spécialisé dans le domaine scientifique cette fois, l’importance des mobilisations en opposition n’avait pas été imaginée en amont. Pas à ce point-là du moins. « Le mariage, nous l’attendions beaucoup et ce qui nous a cueilli à l’époque c’était surtout la mobilisation réactionnaire qui a eu lieu », se souvient-il. Avant d’ajouter : « C’était un moment bizarre parce que nous nous étions dit que le débat passerait hyper facilement, qu’il y avait la majorité de gauche. Nous avions mal mesuré comment ça allait être réutilisé, notamment sur les droits de l’enfant. »

Une opposition surreprésentée et monopolisée par l’Eglise qui a également marqué Charles Roncier. « C’était vraiment ceux qui sont contre, ceux qui sont pour… alors que nous parlions de droits de personnes qui par essence ne sont pas négociables. Nous parlions de nos vies, de nos amours, des gens avec qui nous vivions, de la construction de nos projets de vie. Et eux parlaient de fantasme complètement délirant que des personnes instrumentalisées politiquement pour empêcher des progrès sociaux. » Etonnament, à l’époque, des opposants lui demanderont également d’être mieux écouté, de ne plus être harcelés pour leur opinion. « Alors que nous ne défendions pas que notre cause, mais notre vie. Eux parlaient de concept, nous de droit fondamental. »

La difficile assignation à la marge

Au-delà de l’opposition surreprésentée parmi les politiques et dans les médias, l’absence d’alliés a été pour certains un autre traumatisme. C’est le cas de Charles Roncier qui avoue avoir fait un léger ménage de printemps à la suite des débats. « Les personnes qui n’étaient pas réellement concernées – les soi-disant alliés, nos proches et nos familles – qui n’avaient pas de problème et commençaient déjà à parler mariage ne comprenaient pas pourquoi ça nous mettait dans cet état », regrette-t-il. Il y aurait même eu une sorte d’assignation à la marge. « Même des personnes bienveillantes nous disaient : « Vous n’avez pas besoin de ça », « vous êtes déjà révolutionnaires », « vous n’avez pas besoin de singer les hétéros ». » Or la problématique n’était pas seulement de se marier, mais d’avoir enfin le choix.

Pour le journaliste, les remarques sur la présence du Pacs ont également été inopportunes. « Non mais vous avez le Pacs, vous n’avez pas besoin du mariage », lui rabâche-t-on souvent. « C’était un peu des éléments repris pour nous tester. Chaque test, chaque haussement d’épaules, « ce n’est pas si grave que ça », c’était une blessure. C’est comme s’ils nous disaient « je confirme que je considère que ton couple n’est pas égal au mien ». »

Le bond des actes homophobes

De surcroît, les débats ont également entraîné de nombreuses agressions envers la communauté LGBT+. En 2013, les actes homophobes ont bondi de 78 % en France calculait le rapport annuel de l’association SOS Homophobie. Aussi bien sur Internet que dans la rue, l’homophobie décomplexée se propageait. « Quelques mois après, je me suis fait aussi agresser avec un groupe d’amis. Il y avait clairement ce truc de « Ah mais de toute façon, laisse-les. Tu sais qu’on ne peut pas les toucher ». Il y avait comme une aigreur, comme si nos statuts avaient changé, se rappelle Charles Roncier, et que notre nouveau droit avait retiré quelque chose à ces personnes. » Si Rozenn Le Carboulec avoue de son côté avoir été protégée par ses proches, elle n’oublie pas l’homophobie ambiante de l’époque. « Personne n’a mesuré à quel point c’était violent pour les personnes LGBT+. Personne ne souligne le traumatisme largement sous-estimé. »

Dix ans après, les médias et les politiques reconnaissent à demi-mot leurs torts. Des solutions ont été trouvées depuis, notamment la création de l’association des journalistes LGBT (AJL) motivée par le choc post-débats autour du mariage pour tous. Mais aujourd’hui difficile de ne pas imaginer un lien avec le traitement médiatique actuel des sujets autour des transidentités. « Nous retrouvons les mêmes mécanismes : invisibilisation des personnes concernées, mise en équivalence de points de vue avec des expertises « tout se vaut » », compare Rozenn Le Cabourlec. Charles Roncier avoue même que cette observation lui provoque une sorte de PTSD (trouble de stress post-traumatique). « Je remarque que nous n’avions rien appris et que les minorités sont toujours exposées. »