France

Mariage pour tous : L’adoption, une démarche toujours longue et difficile dix ans après la loi

« Il y a autant d’amour dans les couples hétérosexuels que dans des couples homosexuels, il y a autant d’amour vis-à-vis de ces enfants et tous ces enfants sont les enfants de la France. » Voilà comment Christiane Taubira, alors garde des Sceaux et porteuse du mariage pour toutes et tous, défendait son projet de loi à l’Assemblée nationale il y a dix ans. Le projet ouvrait le mariage civil aux couples de même sexe, mais aussi l’adoption.

Dix ans après le vote de la loi, pourtant, il n’est pas toujours facile pour les couples gays et lesbiens de réellement former une famille face aux difficultés que représente le parcours de l’adoption. Si aujourd’hui elle est légale et acceptée par la société, les démarches restent parfois longues et éprouvantes.

Une « attente douloureuse »

Après presque cinq ans « d’attente douloureuse » Karim, 38 ans, et François, 37 ans, (les prénoms ont été modifiés) « ne lâchent rien ». Pacsés en 2015, ils décident de se marier en 2018 « par amour » mais aussi dans le but de fonder une famille. « A l’époque, il fallait être mariés pour demander l’adoption », raconte Karim à 20 Minutes. En effet, depuis la loi du 21 février 2021, visant à réformer l’adoption, cette dernière « peut être demandée par un couple marié non séparé de corps, deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou deux concubins ».

Karim, pour qui le désir d’enfant était acquis depuis l’adolescence, et François se lancent alors dans les démarches. Elles sont les mêmes pour tous les couples. Ça commence par une demande auprès de la Maison de l’adoption. Là, Karim se souvient que de nombreux couples ont tous été réunis dans une petite salle. « C’était blindé, on était une cinquantaine dans un espace minuscule où se tenaient des propos spéciaux, se souvient-il. Tout était fait pour nous rebuter. » Des contacts et rendez-vous avec une travailleuse sociale se mettent en place, avec en parallèle de séances avec un psychologue ou un psychiatre. A la différence des couples hétérosexuels, les couples gays vont prendre soin de choisir le professionnel qui va pouvoir déterminer s’ils sont aptes ou non à devenir parents car ils peuvent toujours tomber sur des individus fermés à l’idée de l’homoparentalité.

Neuf mois après, ils obtiennent l’agrément. « Et là, c’est la période d’attente qui commence », souffle Karim. « Vous vous créez un imaginaire tout seul, vous rêvez, miroitez, il n’y a plus de rendez-vous, plus de contact, plus de nouvelle. On n’a pas de réponse sur la place pour notre dossier et chaque année, il faut le renouveler, poursuit-il. C’est l’opacité au niveau du déroulé qui est violente, on ne sait rien. » En attendant, c’est tous les projets de vie qui sont à l’arrêt, car du jour au lendemain, le courrier tant attendu peut venir tout chambouler. Son mari, François, « se freine par rapport à son évolution dans son travail », parce qu’ils sont « accrochés à Paris ». Changer de département, c’est repartir à zéro et perdre son ancienneté. « Ce n’est pas évident au sein du couple, de la famille, des proches. Ça peut mener à la dépression », explique Karim qui insiste tout de même : « Ce projet nous tient à cœur. » Mais si les cinq années passent sans succès, il faudra refaire une demande d’agrément avec le cheminement administratif et psychologique qu’il nécessite.

L’adoption, un contexte global compliqué pour tous

Impossible de savoir si cette longue période d’attente est due, ou non, à leur orientation sexuelle. Pour Nicolas L. Faget, porte-parole de l’Association des parents gays et lesbiens (APGL), contacté par 20 Minutes, « le contexte global de l’adoption est compliqué pour tous les candidats car il y a plus de personnes qui veulent adopter que d’enfants à adopter. » Il note toutefois des améliorations concernant les couples de même sexe malgré « des couacs, propos, comportements ou absences de prise en compte de dossiers, qui restent toutefois marginaux ».

Selon un rapport annuel de l’ONPE publié en 2019, environ 900 enfants ont été adoptés en 2016. A peu près le même chiffre pour 2017. S’il n’y a pas de chiffres officiels concernant l’adoption homoparentale, « environ 200 enfants, nés en France ou à l’étranger, ont été confiés à des couples de même sexe depuis 2013 », affirme Nicolas L. Faget. « C’est peu mais non nul », remarque-t-il.

Le choix du couple qui pourra accueillir l’enfant se fait par un vote au Conseil de famille, composé d’associations, d’élus et de professionnels de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). En moyenne, l’attente dure deux ans et demi entre l’agrément et l’arrivée de l’enfant. « C’est proche de la moyenne pour les couples hétérosexuels, explique encore Nicolas L. Faget. Mais on n’a pas de statistiques sur les couples qui n’arrivent pas à adopter ou sur le nombre de couples qui sont toujours dans l’attente. »

Mais l’espoir est possible

Deux ans et demi, c’est à peu près le temps qu’ont attendu Loïc et son époux, mariés depuis 2015 dans le but d’adopter. La loi sur le mariage pour tous a permis à ce désir d’enfant « de devenir une réalité », selon Loïc. Et malgré les mises en garde, ils ont lancé les démarches la même année. Le même parcours que Karim et François s’est alors engagé. Sauf que l’attente a été moins longue et qu’aujourd’hui, ils sont parents d’un petit garçon âgé de presque 4 ans.

Après des démarches où « tout s’est bien passé » et une « longue attente », se souvient Loïc, c’est la délivrance. Ils reçoivent un courrier alors que Loïc est à l’étranger pour raisons professionnelles : ils vont être apparentés à un petit garçon de trois mois. « C’était énormément d’émotion, beaucoup de joie et un peu de stress. » Chez eux, la chambre était prête, ne manquait que le mobilier et les vêtements. « On n’avait rien parce qu’on ne savait pas si ça allait arriver », explique-t-il.

S’en suit « tout un protocole » pour rencontrer l’enfant. De manière graduée, pendant environ une semaine, ils vont faire la connaissance de leur fils jusqu’au jour où ils peuvent rentrer dans leur foyer en famille. « Il a été hyperbien préparé », félicite Loïc, remerciant la famille d’accueil chez qui leur bébé vivait jusqu’à son adoption. « Cette semaine d’apparentement est très importante », soutient le père de famille qui a reçu « pas mal de conseils » sur les gestes pratiques comme le bain ou les couches.

D’autres solutions pour devenir parents

Les délais peuvent néanmoins décourager certains, surtout quand l’issue n’est pas assurée. Loïc et son mari « auraient pu réfléchir à la coparentalité » si leur projet d’adoption n’avait pas abouti. Des époux se tournent en effet vers d’autres moyens, parfois plus coûteux, tout aussi compliqués que l’adoption mais avec la certitude qu’à la fin, ils seront parents. Si les couples de femmes peuvent, depuis l’ouverture de la PMA pour toutes en 2021, se tourner vers cette solution et que de nombreux couples lesbiens avaient déjà choisi cette option légale depuis des années dans des pays limitrophes comme la Belgique ou l’Espagne, les couples d’hommes, eux, peuvent se tourner vers la coparentalité ou la gestation pour autrui (GPA), illégale en France et accessible seulement dans certains pays.

C’est cette dernière option qu’ont choisi Quentin, 38 ans, et son mari de nationalité anglaise. Ils ont eu « le désir d’enfant dès le début de [leur] rencontre. » Mais dès les premiers échos et retours qu’ils ont eus sur l’adoption il y a six ans, « elle est parue très compliquée et fermée, raconte-t-il à 20 Minutes. A l’époque, parmi les membres de l’APGL, seul un couple avait réussi à adopter. »

Mais « même si d’un point de vue éthique, la GPA n’était pas évidente à mes yeux, on s’est tournés vers cette solution. » De manière très encadrée, ils procèdent donc à une GPA en Angleterre. Ils sont aujourd’hui les heureux parents d’une petite fille qui fêtera ses 4 ans en juin. Car si « aujourd’hui, les portes se sont ouvertes », observe-t-il, « même pour les couples hétérosexuels c’est compliqué. Il faut avoir de l’endurance car l’issue reste incertaine. Il faut être capable d’attendre cinq ans pour peut-être rien. »