France

L’inflation, un facteur de risque pour les personnes souffrant de troubles alimentaires ?

« Je n’avais plus fait de crises de boulimie depuis trois ans, je me pensais guérie. Mais avec l’inflation alimentaire, ces débats sur les prix, la crainte que ça devienne trop cher… La peur de manquer de nourriture est revenue, les crises aussi ». Après des années d’accalmie, le mal dont souffre Caroline recommence à faire des siennes. Une guerre de retour depuis quelques mois et l’envolée massive des prix au supermarché. Car, si l’inflation commence enfin à ralentir en France, ce n’est pas le cas des denrées alimentaires, dont le coût continue à s’envoler. Les prix ont augmenté de 15,8 % en un an en mars, contre 14,8 % en février, selon l’Insee.

De l’avis de Clément Vansteene, praticien hospitalier spécialiste en TCA, difficile de croire que l’inflation peut à elle seule créer des troubles, ces derniers survenant plutôt en raison d’un contexte génétique, social, ou en raison de fragilités préexistantes. Ni lui, ni Anne-Laure Laratte, diététicienne, n’ont constaté un afflux de patients – même si le docteur reconnaît que le sujet est difficilement mesurable, son service étant déjà saturé. « Il n’y a pas d’explosion de nouveaux cas », balaie, elle aussi, la diététicienne Marie-Laure André. Mais Clément Vansteene de reconnaître : « L’inflation peut aggraver ou modifier les troubles. »

« Une augmentation du niveau de souffrance »

Depuis la flambée des prix, « il y a une augmentation du niveau de souffrance global associé à un TCA » déjà existant, poursuit l’hospitalier. « L’inflation peut être source de risque supplémentaire pour les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire (TCA), abonde Anne-Laure Laratte. Les patients et patientes anorexiques, ou qui mangent peu, essaient de se nourrir de produits riches en calories, ce qui peut être compliqué à trouver avec l’inflation. Les hausses de prix peuvent également augmenter les restrictions d’aliments ou de calories, et donc aggraver les troubles d’anorexie mentale »

Ses patients évoquent « très souvent la hausse des prix. C’est une source d’inquiétude ». Et de complication pour elle aussi : « Il y a cette pensée très ancrée que manger sain coûte cher. Une partie de mon rôle est de démontrer que c’est faux. Mais en période d’inflation, il faut l’admettre, c’est un peu vrai. »

L’inflation, « l’excuse parfaite » pour sauter des repas

Sans parler de TCA, Marie-Laure André évoque « une nutrition globalement moins bonne qu’avant, et un changement dans les habitudes alimentaires des consommateurs ». Ces modifications, déjà nuisibles en temps normal, sont encore pires pour les personnes atteintes de troubles alimentaires. Mickaël souffre d’hypophagie, une maladie qu’il réussissait à plus ou moins calmer en prenant systématiquement une liste de courses prédéfinie. La voici désormais trop chère pour lui : « Le moindre microchangement peut donner un sentiment horrible de perte de contrôle. Alors, quand nos achats sont totalement bouleversés à cause des prix, c’est l’apocalypse. Les crises reviennent ».

Les troubles de Bastien se sont eux aussi aggravés avec l’inflation : « Pour schématiser grossièrement, l’anorexie, c’est trouver toutes les excuses possibles pour ne pas manger : je n’ai pas faim, je suis déjà trop gros, j’ai assez mangé avant… Les courses trop chères, c’est une excuse parfaite pour sauter des repas. Peut-être la plus confortable de toutes. » Ce que Clément Vansteene appelle « les phénomènes de rationalisation » : une manière de se convaincre que ne pas manger est le bon choix.

Une insécurité supplémentaire et moins de respirations

L’inflation alimentaire est donc une nouvelle insécurité pour ce public déjà fragilisé. « Par peur de manquer, les gens peuvent acheter beaucoup plus et manger beaucoup plus », souligne Anne-Laure Laratte. Les prix élevés peuvent également provoquer l’effet inverse. Caroline n’a plus les moyens de ses « achats doudous », comme elle les évoque, pourtant essentiels à son bien-être. Explication : « Ça me rassure de savoir que j’ai certains aliments dans mes placards, comme ça, si je fais une crise, je sais que je vais pouvoir la contenir en mangeant ça. Ces produits sont devenus extrêmement chers… » 

« On est bombardé d’information sur la nourriture, on ne parle que de ça, c’est difficile de ne pas y penser », poursuit Mickaël. D’autant plus que, avec la hausse des prix, les loisirs et autres activités sociales sont parfois diminués ou sacrifiées, « alors que cela constituait des respirations essentielles pour gérer les troubles alimentaires ».

Des crises plus chères et plus lourdes

Car la peur ne s’arrête pas à la porte du supermarché, relance Clément Vansteene : « L’inflation crée une angoisse financière, et les angoisses favorisent le risque de crise alimentaire ». C’est ensuite parti pour un cercle vicieux : une crise de boulimie a un coût financier qui augmente l’angoisse économique, laquelle augmente le risque d’une crise de boulimie…

Une situation face à laquelle Mickaël peine à voir une issue : « Ces troubles nous détruisent le moral, la santé et désormais le porte-monnaie. C’est d’autant plus culpabilisant. Et quand on culpabilise, on recraque »