France

La bataille se durcit autour de la pilule abortive aux Etats-Unis

L’avenir de la pilule abortive aux Etats-Unis était plongé dans la plus grande incertitude samedi au lendemain de deux décisions contradictoires de juges fédéraux qui augurent d’une ultime bataille devant la Cour suprême.

Depuis l’arrêt historique de la Cour suprême qui, en juin, a rendu la liberté aux Etats d’interdire les avortements sur leur sol, la pilule abortive était devenue la nouvelle cible des opposants aux interruptions de grossesse.

Un juge ultraconservateur contre des millions de femmes

En novembre, ces militants réactionnaires d’extrême-droite avaient déposé plainte contre l’Agence américaine des médicaments (FDA) pour contester l’autorisation de mise sur le marché de la mifépristone (RU 486) qui, combinée avec un autre cachet, a été utilisée par 5,6 millions de femmes depuis son agrément en l’an 2000.

Stratégiquement, ils avaient déposé leur recours à Amarillo, au Texas, où l’unique juge fédéral, le magistrat Matthew Kacsmaryk, qui avait été nommé par Donald Trump, est connu pour ses vues ultraconservatrices.

Le magistrat leur a donné satisfaction le soir du Vendredi saint. Estimant, en dépit du consensus scientifique, que la mifepristone présente des risques pour la santé des femmes, il a suspendu son autorisation pour l’ensemble du territoire américain, en attendant un examen du fond du dossier.

Plus symboliqument, il a repris leur terminologie, préférant le terme « d’humain non né » à celui de « foetus » ou évoquant des « avorteurs » pour parler des structures pratiquant des interruptions de grossesse.

Interdiction d’interdire

Anticipant sa décision, une coalition d’Etats démocrates avaient saisi la justice fin février pour tenter de préserver cette pilule qui, prise en lien avec du misoprostol, représente aujourd’hui 53 % des avortements aux Etats-Unis.

Et vendredi, une heure après la décision du juge Kacsmaryk, un de ses confères, le juge Thomas Rice nommé par Barack Obama et siégeant dans l’Etat de Washington, a estimé que la mifépristone était « sûre et efficace » et a interdit à la FDA de retirer son agrément dans les 17 Etats à l’origine du recours.

Le juge Kacsmaryk a précisé que sa décision ne s’appliquerait pas avant sept jours, afin de laisser le temps aux parties de faire appel.

« Soyons clair, l’accès à la mifépristone reste légal pour l’instant », s’est empressé de souligner Alexis McGill Johnson, présidente de la puissante organisation de planning familial Planned Parenthood.

Joe Biden au front

Dans cet intervalle, les grandes manoeuvres vont s’engager. « Nous allons nous battre contre cette décision », a promis le président démocrate Joe Biden.

La FDA, qui est représentée par le ministère de la Justice, et le laboratoire Danco qui produit la mifépristone, ont déjà annoncé leur intention de faire appel. Leur recours sera traité par une cour d’appel fédérale située à La Nouvelle-Orléans, elle aussi réputée pour son conservatisme.

Le gouvernement fédéral est donc confronté à un choix. Il peut attendre que cette cour se prononce et se tourner vers la Cour suprême uniquement si elle valide la suspension de la mifépristone. S’il veut gagner du temps, il peut – puisqu’il y a conflit entre deux juges fédéraux – demander à la haute juridiction de trancher sans attendre.

Si la cour d’appel se prononce et donne tort au juge Kacsmaryk, la Cour suprême sera de toute façon très probablement saisie, cette fois par la coalition d’opposants à l’avortement à l’origine de la plainte.

La cour suprême aura une nouvelle occasion de faire reculer le droits des femmes

Le dossier devrait donc arriver d’ici quelques jours ou semaines devant le temple du droit américain qui, depuis son remaniement par Donald Trump, compte six magistrats conservateurs sur neuf.

Il lui sera adressé selon une procédure d’urgence, surnommé « le registre de l’ombre », qui permet de rendre une décision en accéléré sans audience publique, ni obligation pour les juges d’expliquer les motifs de leur arrêt.

Face aux critiques sur l’absence de transparence de cette procédure, la haute Cour a, contrairement aux usages, récemment organisé en urgence des audiences dans des dossiers très politiques qui lui étaient arrivés de cette manière.

Elle pourrait choisir cette voie et organiser une audience avant la fin de sa session, le 30 juin. Ou se prononcer sur la base des argumentaires écrits dans les prochaines semaines.

Le chef de la Cour, le conservateur John Roberts, très attaché à l’image de l’institution, devrait voter avec ses trois consoeurs progressistes pour maintenir l’autorisation de la mifépristone.

La question est de savoir si l’un ou plusieurs des cinq magistrats conservateurs se rallieront à eux pour former une majorité.