France

Guerre en Ukraine : Près de Kharkiv, avec les soldats « mobilisés mais volontaires » de la 3e brigade de char « de fer »

De notre envoyée spéciale en Ukraine,

Au cœur d’une forêt située dans la région de Kharkiv, dont la localisation exacte est tenue secrète, les membres de la 3e brigade ukrainienne de chars « de fer » et leurs fidèles véhicules s’offrent une respiration. La camionnette militaire qui file vers la base accuse de nombreux soubresauts dans la terre labourée par les pneus et les chenilles. La balle de tennis qui orne le rétroviseur monte et descend au son d’une musique techno ukrainienne. Interdiction de photographier les structures ou les numéros de chars, prévient Mykola, l’attaché de presse de la brigade. « Ce territoire a été occupé par l’ennemi, nos bâtiments pourraient être reconnus », explique-t-il, entre deux cahots du chemin forestier. L’oblast de Kharkiv a en effet été partiellement conquis par les forces russes avant d’être repris début octobre 2022, à la faveur de la contre-offensive victorieuse de Kiev.

Depuis, les hommes qui défendent la souveraineté de l’Ukraine ont repris place dans cette région frontalière de la Russie. Les chars de guerre se succèdent, lovés dans des alcôves arborées, leurs canons et leur blindage recouverts d’un filet de camouflage. Au milieu des arbres décharnés par le passage de l’hiver, les soldats discutent. Certains allument une cigarette près de ces tanks de l’ère soviétique qui les accompagnent au front, situé à moins de 100 kilomètres. Car si les médias occidentaux se focalisent sur les livraisons de chars Leopard 2, les forces ukrainiennes sont avant tout équipées d’antiques T-72. « On les appelle les chars de mobilisation car ils sont très faciles à prendre en main », explique Mykola. Un avantage pour cette brigade qui manquait cruellement de main-d’œuvre professionnelle au début de l’invasion.

« Tous mobilisés mais tous volontaires »

« Avant la guerre, cette brigade était composée de 130 personnes qui s’occupaient de l’entretien du matériel », explique Deniys, le commandant du bataillon, les mains jointes dans le dos. La guerre a rebattu les cartes de la brigade qui a vu affluer beaucoup de sang neuf avec la mobilisation. 97 % des soldats de la base sont d’anciens civils. Kochiy*, est le chef d’un équipage « connu et très efficace contre les Russes », d’après Deniys. « Dans la région de Zaporojie, vous ne trouverez pas un soldat d’infanterie qui ne les connaît pas », affirme le commandant du bataillon.

Pour fonctionner, un char T-72 a besoin de trois membres d’équipage : un chef, un conducteur et mécanicien et un tireur. Alchimik*, le tireur de l’équipage, était agriculteur et Celentano*, le conducteur du char, était soudeur. « J’étais mécanicien automobile », complète Kochiy avant de préciser toutefois, sous l’approbation de ses collègues : « Ici, on est tous mobilisés mais tous volontaires. »

Les soldats de l’équipage ont combattu dans la région de Zaporojie, au Sud, où se déroulent de très violents combats. Kochiy plisse ses yeux bleus perçants en expliquant : « Je suis né dans la région. A présent, mon village n’existe même plus. » La vie civile des soldats de la 3e brigade de chars « de fer » s’est lentement effacée pour laisser la place à « l’expérience du feu » et à une litanie d’anecdotes guerrières. « On a été ciblés par des drones caméras plusieurs fois mais les obus sont tombés à côté de notre char », raconte le commandant de l’équipage avant d’ajouter sous les rires : « On est immortels ! » Plus loin, perché sur l’un des T-72, Yaroslav explique que son unité n’a pas eu autant de chance.

« On a perdu notre char »

Agé de 31 ans, il est aussi chef d’équipage et travaille avec Borel, qui conduit et Andriy, qui tire. Les trois hommes ont perdu leur char en septembre dernier, alors qu’ils se battaient près de Marïnka, dans l’oblast de Donetsk. « On a essuyé un tir alors qu’on menait une attaque. On n’a pas repéré son origine mais on a vite compris qu’on était en feu, se souvient le trentenaire. J’ai donné l’ordre d’évacuer mais Borel était coincé. »

Dans un T-72, le conducteur se situe à l’avant du véhicule, sous le canon, et dispose de sa propre trappe pour entrer et sortir. Mais « le canon était tombé sur l’ouverture », se souvient Borel. Andriy s’est alors précipité pour dégager son collègue et est parvenu à l’extirper du char en flammes. « Puis, on a rampé pour rejoindre un blindé de l’infanterie à l’arrière, à environ 200 mètres de là. Il y avait des explosions partout autour de nous et des débris au sol », décrit Yaroslav. Andriy, intoxiqué par la fumée, « commençait à s’évanouir » mais « on l’a fait ramper quand même », lance Yaroslav dans un sourire. Les trois hommes ont ensuite tristement assisté à l’explosion de leur char : « c’est la seule fois qu’on a perdu notre char et on prie Dieu que ce soit la dernière. »

Les chars russes et les caméras thermiques françaises

En pleine invasion, chaque char est précieux pour les forces ukrainiennes. Le nombre de tanks dont dispose la brigade est un secret mais « ce n’est pas suffisant », assure Mykola. Les soldats s’agacent surtout des caméras thermiques dont sont équipés les chars russes et qui ont été vendues par des entreprises françaises. « Sur l’optique, on est fâchés. Ces chars ont été conçus il y a quarante ans mais ces technologies ont cinq ou sept ans et sont vraiment essentielles. On voit sur un kilomètre, ils voient sur quatre kilomètres avec l’équipement français », soupire Yaroslav. « Mais si vous ne voulez pas nous envoyer de caméras thermiques, envoyez-nous des chars Leclerc, on se débrouillera », s’esclaffe le commandant de l’équipage.

En attendant, les forces ukrainiennes pillent les chars russes vaincus, trouvant parfois de nombreuses pièces de rechange. « On s’est arrangés avec la Russie bien avant nos alliés européens sur la livraison de chars », rit Andriy. Les membres de la brigade comptent bien continuer à accumuler les victoires et repousser l’ennemi village par village. Les chars ukrainiens sont en première ligne dans les offensives. « On ne sait pas encore quand on sera redéployés. Mais ce sera forcément dans des zones de combat », assure Yaroslav, la main posée sur le char qui accompagnera fidèlement les hommes dans leur prochaine mission pour libérer le pays.