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Guerre en Ukraine : Les drones donnent des ailes à la résistance de Kiev

Petits objets volants compacts ou aéronefs bourrés de technologies, les drones attirent de plus en plus la lumière depuis le début de la guerre en Ukraine. Mercredi, Moscou a accusé Kiev d’avoir tenté d’attaquer le Kremlin grâce à deux drones, qui auraient été abattus par les forces russes. Jeudi, des raffineries de pétrole ont été attaquées par des drones dans le sud-ouest de la Russie. Manœuvre psychologique ou mise en scène, l’attaque du Kremlin montre l’implication de ces aéronefs sans équipage dans cette guerre européenne.

Les médias russes ont partagé de nombreuses vidéos de l’incident près du Kremlin. Dans l’une des vidéos partagées, on peut voir un engin exploser au sommet de la coupole du Palais du Sénat, l’un des principaux bâtiments du Kremlin. Moscou considère qu’il s’agit d’« une tentative d’acte terroriste et [d’] un attentat contre la vie du président » russe. De son côté, Kiev a démenti toute implication et le président ukrainien Volodymyr Zelensky a ajouté : « Nous n’avons pas attaqué [Vladimir] Poutine […] Nous défendons nos villages et nos villes ».

Techniquement « faisable » pour Kiev

La ministre française des Affaires étrangères a estimé que l’attaque était « pour le moins étrange », jeudi sur France Inter et le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a déclaré de son côté prendre « tout ce qui sort du Kremlin avec beaucoup de précaution ». Mais si l’auteur de l’attaque n’est pas connu avec certitude et que Catherine Colonna a estimé le fait que des drones parviennent jusqu’au Kremlin était « assez peu compréhensible », c’est toutefois techniquement possible. « C’est faisable », assure Yves Boyer, membre du think tank international TAG. « Une frappe depuis l’Ukraine est envisageable mais il est aussi possible qu’il s’agisse d’un groupe ukrainien infiltré en Russie qui a monté directement le drone sur le territoire russe à une centaine de kilomètres du Kremlin », explique cet expert en sécurité et défense.

« La Russie fait 9.000 km d’ouest en est. Les drones ont de quelques kilomètres à quelques centaines de kilomètres de portée. A titre de comparaison, les missiles de croisière peuvent parcourir jusqu’à 3.000 km. Tiré depuis l’Ukraine, un drone peut donc pénétrer dans l’espace aérien russe mais ne peut pas couvrir tout le pays en un seul vol. Un mode opératoire faisant décoller un drone depuis l’intérieur du pays faciliterait la tâche », abonde Lucas Le Bell. D’autant que « plus on survole longtemps, plus on risque de se faire repérer », rappelle le cofondateur de l’entreprise CerbAir, qui conçoit et produit des systèmes de lutte contre les drones utilisés à des fins malveillantes.

Or, le siège du pouvoir russe se trouve à quelque 500 kilomètres de la frontière ukrainien. Et, en matière de drone, « l’autonomie dépend de leur taille, plus l’aéronef est petit, plus elle est réduite », explique Yves Boyer. Les drones UJ-22 ont une longue portée et peuvent potentiellement atteindre la capitale russe, par exemple. L’un de ces engins de la firme Ukrjet s’est écrasé près des installations de Gazprom, à proximité du village de Goubastovo, à une centaine de kilomètres du Kremlin en février dernier.

Un « dommage symbolique »

Si les drones ont été assemblés directement sur le territoire russe, il pourrait s’agir d’aéronefs de taille moyenne. « Ces drones peuvent attaquer des objectifs à 100 voire 200 kilomètres », note Yves Boyer avant d’ajouter : « ce sont toutefois des drones avec des charges très réduites ». « En termes d’efficacité, c’est inutile. Si vous voulez détruire l’Assemblée nationale en France, par exemple, ce ne sont pas 20 kg d’explosifs qui vont suffire », illustre le membre du think tank international TAG. Pourtant, la symbolique est forte. « L’effet est uniquement politique, ça permet de montrer que les Russes peuvent être vulnérables », explique l’ancien professeur à Polytechnique.

« Les dommages sont, sans surprise, très superficiels. C’est un dommage symbolique », renchérit Lucas Le Bell, avant d’ajouter : « si ce sont les Russes, c’est une opération qui vient légitimer l’action de la Russie en Ukraine ». Car le Kremlin est un symbole – probablement même le symbole le plus important – du pouvoir russe. Reste qu’il est extrêmement difficile de prouver l’origine de cette attaque, ce qui constitue d’ailleurs l’un des avantages de l’utilisation de drones. Ces aéronefs ont endossé un rôle central dans la guerre en Ukraine. A l’origine cantonnés à la reconnaissance, ils ont muté depuis le début du conflit et sont surutilisés dans ce conflit.

Des « usages détournés du drone »

« Cette guerre marque la révélation de l’utilisation des drones à des fins cinétiques. Auparavant utilisés dans des opérations de reconnaissance ou d’espionnage, ils sont ici utilisés à des fins de bombardements », décrypte Yves Boyer. De plus, les Ukrainiens ont appris à composer avec ce qu’ils avaient. « Les drones civils sont bricolés pour être utilisés. Les Ukrainiens utilisent beaucoup de drones de petites tailles, parfois bricolés avec des systèmes de largages pour effectuer des frappes chirurgicales sur certains composants de chars, comme l’optique par exemple », décrypte Lucas Le Bell.

Les drones sont aussi bien plus économiques que les missiles. « Ces drones font office de missile à bas coût, ils valent entre 10.000 et 20.000 euros quand les missiles, eux, valent de centaines de milliers d’euros à des millions », explique le cofondateur de CerbAir. « Si le drone est intercepté, il y a un coût financier – mais assez faible – et aucun coût humain puisqu’il n’a pas de pilote », note Yves Boyer. En Ukraine, des bijoux de technologie côtoient sur le champ de bataille des drones de loisirs bricolés. « Avant, c’était des opérations très coûteuses, réservées à un club limité de pays qui avaient les moyens et l’expertise », souligne Lucas Le Bell. Mais aujourd’hui, l’utilisation de ces aéronefs pose une question de « sécurité intérieure ». « La créativité est sans fin dans ces usages détournés du drone et, demain, ils pourraient être utilisés par des terroristes », prévient le cofondateur de CerbAir.