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Guerre en Ukraine : Issu de salive ou de fragments d’os, l’ADN reconnaît les corps non identifiés

« Nos analyses sont le dernier recours pour identifier un corps. » Entre bombardements et batailles meurtrières, l’invasion russe en Ukraine a fait de nombreuses victimes. Nombre d’entre elles, découvertes bien après leur mort ou défigurées par la guerre, sont difficiles à identifier. C’est le rôle du centre médico-légal de recherche scientifique du ministère des Affaires intérieures de l’Ukraine. L’institut situé à Kiev et ses 23 laboratoires, disséminés sur le territoire, sont chargés de comparer l’ADN des victimes à celui de leurs proches, qui cherchent désespérément des réponses.

« L’une de nos principales missions, c’est l’identification des soldats et civils morts à cause de la guerre, grâce à des analyses ADN », confirme Sergiy Krymchuk, le directeur de la structure. Le centre médico-légal de recherche scientifique du ministère des Affaires intérieures, membre du Réseau européen des instituts de police scientifique (ENFSI), est reconnu pour son expertise génétique. Créé en 1998, il est capable d’effectuer « 70 différents types de recherches criminalistiques ». Et le laboratoire chargé d’analyser les données biologiques est particulièrement sollicité depuis le début de l’invasion russe.

« Les os se décomposent au toucher »

« La quantité de travail a drastiquement augmenté depuis le début de la guerre. On reçoit énormément de données génétiques », souligne Anna Povkh, la cheffe du laboratoire. Si les belligérants refusent de communiquer ouvertement sur le nombre de morts, de timides estimations circulent. Au moins 7.110 civils ont été tués, d’après les estimations minimales des Nations Unies. Quant aux pertes des forces armées ukrainiennes, les États-majors occidentaux estiment qu’elles se chiffrent au moins à 30.000. « Pour identifier quelqu’un, on peut se baser sur ses dents, son crâne, ses tatouages, ses proches ou ses documents », énumère Konstantin Doubonos, le premier adjoint du centre.

« Malheureusement, il existe de nombreux cas où on ne peut pas reconnaître la personne. Nos analyses sont le dernier recours », explique-t-il. Dans les couloirs du laboratoire de l’institut, des analystes en blouse blanche ou verte s’affairent. Derrière une vitre impeccable, des fragments osseux sont posés sur un quadrillage. Ils appartiennent à une victime de Boutcha, décédée dans l’incendie d’un bus. « Les os sont tellement détériorés par les flammes qu’ils se décomposent au toucher, c’est du charbon. C’est un travail très délicat mais nous avons réussi à établir un profil donc nous allons pouvoir l’identifier », développe Rouslan Abassov. A côté, un immense réfrigérateur contient des dizaines d’échantillons humains, scellés dans des sacs plastiques hermétiques et opaques.

Les fragments osseux d'une victime en cours d'identification dans le laboratoire de Kiev.
Les fragments osseux d’une victime en cours d’identification dans le laboratoire de Kiev. – Diane Regny

Du signalement au nouvel enterrement

« Dans l’immense majorité des cas, on réussit », se félicite Rouslan Abassov. Depuis février 2022, le centre a reçu 23.000 demandes. 19.000 ont déjà été honorées. Le centre médico-légal de recherche scientifique du ministère des Affaires intérieures a pris la mesure de l’importance de son travail dès le début de l’invasion russe. « Nous avons ouvert 13 nouveaux centres en six mois », précise Sergiy Krymchuk qui ajoute qu’ils ont « commencé immédiatement ». « Aujourd’hui, nous avons dix laboratoires qui font toutes les expertises et 13 centres qui ont des systèmes de « Rapid Hit » qui permettent de prendre un échantillon sur un être vivant », détaille le directeur du centre. En cas de disparition, la famille se rend dans les bureaux de la police de son oblast pour effectuer un signalement.

Les enquêteurs prennent des échantillons des proches et les apportent au laboratoire de l’oblast. L’identité génétique des proches est alors ajoutée à la base de données du centre et comparée à celles des dépouilles qui ont déjà été identifiées – généralement grâce à un fragment d’os. Après un « match », le laboratoire notifie immédiatement l’enquêteur qui a rencontré la famille et celui en charge du dossier du mort. « Pendant les analyses, les corps sont stockés dans des morgues. Nous avons aussi des réfrigérateurs spéciaux car même un os doit être conservé au frais. Mais il y a parfois trop de corps. Alors pour éviter une catastrophe sanitaire, ils sont parfois enterrés avec un numéro [apposé sur la croix] afin de les exhumer et de procéder à un nouvel enterrement en cas d’identification », relate Konstantin Doubonos.

« Toute la logistique perturbée par la guerre »

L’institut médico-légal, qui emploie 4.000 personnes dans tout le pays, a dû rapidement s’adapter. « Toute la logistique a été perturbée par la guerre », reconnaît Sergiy Krymchuk. De nombreux employés ont fui le pays. 211 sont partis au front. Trois y sont morts. La formation de nouvelles recrues prend entre « trois et six mois ». En travaillant à ouvrir de nouveaux centres, l’institut a aussi dû faire face à la défaillance de ceux qui existaient avant la guerre. « De nombreux appareils sont tombés en panne », note Rouslan Abassov.

« Depuis le début de l’automne, l’électricité est devenue notre principal problème. Très souvent, les laboratoires contiennent des réactifs qui doivent être maintenus à de très basses températures, à -4 °C voire -20 °C », explique-t-il. Malgré ces difficultés, l’institut continue à regarder vers l’avenir. A l’heure actuelle, seuls dix de ses laboratoires sont « complets » et peuvent donc identifier des corps comme prendre des échantillons sur les vivants. « C’est bien. Mais nous voulons que les 23 laboratoires soient capables d’effectuer toutes les expertises. Dans un avenir proche, nous espérons rendre complets trois à cinq laboratoires », déclare Sergiy Krymchuk. Afin d’être toujours plus efficaces dans l’identification des victimes que la Russie laisse dans son sillage.