France

Gironde : « Si je suis expulsée je suis à la rue », lance une retraitée de 62 ans, qui paye ses loyers, près de Bordeaux

C’est sûr, elle n’a pas l’air d’être la voisine idéale mais risque aujourd’hui, à la faveur de la trêve hivernale, de se retrouver à la rue, à 62 ans. Dominique Delage, auxiliaire de vie à la retraite et chrétienne évangéliste, a l’habitude de prier à haute voix, ce qui a le don de gâcher la vie de ses voisins depuis son emménagement, en avril 2019, dans la résidence sociale des Olibets de Talence, près de Bordeaux.

Elle est sous le coup d’une expulsion dans les prochains jours, sans qu’aucune proposition de logement ne lui ait été proposée jusqu’à présent. Si elle paye ses quittances de loyers, ce sont des nuisances sonores répétées dans sa résidence qui lui valent un avis de quitter les lieux. Bouleversée, elle a du mal à organiser ses pensées et à s’y retrouver dans les différentes démarches administratives qu’elle doit lancer, même si elle est épaulée par une assistante sociale.

Un bail résilié par décision de justice

Après une pétition signée par huit locataires excédés et gênés dans « la jouissance paisible » de leurs logements, l’affaire va jusque devant le tribunal qui décide le 8 septembre 2022 de la résiliation du bail. On lui reproche différents troubles du voisinage « insultes, prêches et prières, impossibilité de profiter du balcon sans subir des remarques racistes, homophobes et misogynes, jets d’épluchure dans les espaces verts », mentionne la décision du tribunal judiciaire de Bordeaux. Si elle réfute des propos xénophobes, elle reconnaît qu’elle a « été un peu loin en faisant des remarques homophobes. Il faut les laisser tranquilles, faire leur vie. Je suis prête à demander pardon ».

« C’est l’Etat (au titre du droit au logement opposable DALO qu’elle a sollicité) qui prendra la décision d’orienter son dossier vers un bailleur ou un autre, précise Emilie Degrugillier, la directrice adjointe de l’agence Bordeaux Atlantique de CDC Habitat, le bailleur social de sa résidence. Nous, en tant que bailleurs, ne faisons qu’appliquer une décision de justice. » L’association droit au logement (DAL) de la Gironde qui l’accompagne espère obtenir au moins un délai auprès du bailleur le temps que la réponse intervienne.

« Toutes les mesures en matière de prévention de l’expulsion ont été prises pour ne pas en arriver là et cela a duré de nombreux mois », assure Emilie Degrugillier, qui explique que le règlement général sur la protection des données (RGPD) ne permet pas de rentrer dans les détails de la situation personnelle de cette locataire. « Les voisins n’ont pas été associés aux tentatives de conciliations, ce n’est pas normal », note la représentante du DAL, puisqu’il s’agit de nuisances dénoncées par le voisinage. Elle estime, en entrant dans le logement où l’on sent que la locataire est débordée par les événements, qu’elle « a besoin d’aide ».

« Si je ne prie pas, je tombe »

Après la destruction de la barre D dans laquelle elle vivait au sein de la Cité de la Benauge, elle a été relogée à Talence. « Je priais déjà à voix haute, cela ne posait pas de problème, raconte la sexagénaire mais depuis que je suis ici, comme nous sommes les uns sur les autres et que c’est de la brique, que ce n’est pas isolé, j’ai beaucoup de reproches ». Quand on lui demande si elle a essayé de faire moins de bruit en priant, elle répond « je n’ai pas songé à acheter un amplificateur ou un micro. Je prends les choses avec humour sinon je deviendrais folle. »

On sent à l’écouter une fragilité et une certaine solitude même si sa fille l’aide au mieux dans ce moment difficile. « Le pasteur de mon église nous avait conseillé de lire à voix haute pour mémoriser la parole de dieu et j’ai peut-être pris ça trop à cœur, concède-t-elle. Si je ne prie pas, je tombe… » Elle raconte aussi ses déboires matériels depuis son arrivée dans le logement et le peu de réactivité qu’ils ont suscité, de son point de vue, chez son bailleur : une chaudière qui fuit et inonde son appartement, une porte de parking défectueuse qui génère du bruit près de sa chambre à coucher et une invasion de rats pour laquelle elle a appelé une entreprise de dératisation. « La présence de rats aurait dû donner lieu à un relogement à ce moment-là », pointe le DAL. Sur ces points, des conciliations ont été tentées sans succès.

La sexagénaire s’inquiète du sort de ses trois chats, juchés un peu partout dans l’appartement, cherchant une solution d’adoption pour deux d’entre eux. « Je ne pourrai sûrement pas les emmener avec moi quand je devrai partir », glisse-t-elle.