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Faut-il à tout prix franciser les nouveaux sports olympiques ?

« Sérieux, passe-passe, phase forte et préparation, c’est une blague ? ! », nous lance une collègue fan de breakdance, breaking, break, bref l’un des derniers sports à s’inviter pour les JO à Paris en 2024. « Vraiment le pire, c’est passe-passe », s’esclaffe-t-elle. Mais d’où tient-elle ces traductions inconnues des Bboys et des Bgirls pour qui danser est un art de vivre ? De la brochure spéciale « break » sortie par FranceTerme, le site qui publie les différents développements et enrichissements de la langue française. L’équipe derrière FranceTerme a également sorti la version « surf », et devrait sous peu le faire pour l’escalade, le paralympisme, le skate, le rugby ou encore le ski freestyle.

« L’important, c’est de faire sortir ces sports du cercle des initiés, et en particulier dans la perspective des JO », défend Etienne Quillot, chef de la mission du développement et de l’enrichissement de la langue française. Sur le papier, la volonté est louable mais franciser à tout prix est-il une bonne solution ? Car comme le clame France Pierron, journaliste et animatrice sur la chaîne L’Equipe, « quand on fait du break, on veut être un Bboy et faire partie d’un crew, c’est ce qui fait rêver ». « Faire partie d’une équipe ce n’est pas le même sport », ajoute-t-elle.

« Une action de service public de la langue »

« La délégation à la langue française et aux langues de France du Ministère de la Culture réfléchit à ce qu’il est important de nommer en français, expose Etienne Quillot. L’idée est de faire comprendre à tout le monde ce dont il s’agit. C’est une action de service public de la langue ». Elle existe depuis plus de cinquante ans ; le dispositif, interministériel et interinstitutionnel, est coordonné par la délégation générale à la langue française et aux langues de France du ministère de la Culture. « Il y a des groupes d’experts pour chaque domaine et notamment dans le secteur du sport, décortique le chef de la mission du développement et de l’enrichissement de la langue française. Parmi eux se glissent des spécialistes du domaine, soit des représentants associatifs, des sportifs, des représentants d’organisations ou de fédérations. »

Les Jeux à Paris sont l’occasion de mettre un coup de projecteur sur FranceTerme, « pour que ceux qui font le lien entre les pratiquants et le public de non-initiés apportent de la connaissance des enjeux de la discipline ». En français ? « Pourquoi pas ? C’est une bonne initiative pour mieux comprendre et décortiquer les termes spécifiques et le vocabulaire de chaque discipline, et mieux l’expliquer au public, avant ou après les compétitions, considère France Pierron. Mais pas dans le feu de l’action où c’est mieux de garder l’anglais ! »

Compliqué d’imaginer en effet traduire en français un D-spin 1080 en ski freestyle, ou un layback en surf. « Je ne crois pas que ce soit très judicieux, confie également Johanne Defay, la surfeuse déjà qualifiée pour les Jeux de 2024. Pour ma part, je ne comprends pas ce que veut dire « rouleau de cap » (la traduction proposée pour point break), et j’ai encore moins l’image d’une vague qui déferle le long d’une côte avec ce terme-là. »

Garder un côté américain strass et paillettes

Pourtant, c’est un des objectifs de la mission du développement et de l’enrichissement de la langue française : « On fait en sorte que les journalistes sportifs et les commentateurs des sports soient concernés se servent de nos travaux », même si à la base, le dispositif d’enrichissement de la langue française travaille pour l’administration et ses agents. Pour y parvenir, elle lance des actions de promotion conjointes entre la délégation générale de la langue française et aux langues de France, qui gère le site FranceTerme et le ministère des Sports, implique le CNOSF (comité national olympique et sportif français) et le Cojop (comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques) dans le groupe d’experts des sports. « D’un sport à l’autre, les anglicismes ne sont pas toujours utilisés dans le même sens », argumente encore Etienne Quillot.

Néanmoins, lors de la première phase de vente des billets par pack, qui a fait couler tant d’encre, point de break au menu mais bien du breaking. « C’est le terme retenu il y a plusieurs années par le CIO lorsque son arrivée a été actée dans le programme olympique pour 2024 mais on souhaite pouvoir le changer », espère Etienne Quillot. Un désir que France Pierron, qui anime notamment « La station L’Equipe », le multiplex des sports d’hiver sur la chaîne de sport éponyme, ne partage pas : « Il faut garder ce côté « américain strass et paillettes » et ne pas vouloir franciser à tout prix, ça peut parfois ringardiser un vocabulaire hyper cool ». Pour la surfeuse française, Johanne Defay, l’important est d’avoir de « bons commentateurs, qui expliquent concrètement nos sports avec des termes simples et pratiques, éventuellement en donnant quelques traductions ».

« Mais, ajoute-t-elle, aujourd’hui, c’est primordial de parler anglais. Sur les réseaux sociaux, les gens n’ont pas de problème donc pourquoi en regardant les JO, on ne pourrait pas utiliser des termes anglais ? ». Sans parler des nombreuses novlangues qui pullulent mélangeant allègrement français et anglais et dont la GénZ est friande. « Et puis, c’est une façon très détendue d’apprendre l’anglais à nos gamins », renchérit France Pierron. Quoi de mieux que de le faire pendant les JO ?

Et le judo dans tout ça ?

Escalade, skate, surf et break donc… FranceTerme ne s’investit-il finalement que dans des sports arrivés récemment dans le monde de l’olympisme ? Des sports encore confidentiels, peu connus du grand public ? Le judo aura-t-il un jour sa brochure pour traduire les mouvements de ce sport typiquement japonais ? « La question s’est posée il y a quelques années, mais comme ce sport ancestral a toujours utilisé le japonais et exclusivement le japonais, l’idée a été abandonnée », révèle Etienne Quillot. « Le surf et le break sont les premiers à avoir été bouclés. Mais l’escalade aura sa publication dans les semaines à venir. Et courant mai, sera étudié le vocabulaire des sports paralympiques dont certains sont propres au paralympisme et ont besoin d’être nommés et connus», concède-t-il. Sans oublier le skate et le… rugby.

« Avec deux compétitions d’envergure en France, le Mondial à 15 à l’automne 2023 et celui à 13 en 2025, c’est le bon moment, ajoute le spécialiste. Certes, c’est un sport anglo-saxon mais qui a une longue histoire en France, où les pratiquants ont toujours cherché des expressions et des termes français pour désigner gestes et figures. Il faut l’entretenir pour que l’anglais ne reprenne pas le dessus ». Décidément, la grande rivalité France-Angleterre dans le rugby est partout.

« Les Jeux olympiques en France, c’est une fenêtre exceptionnelle, une vraie chance pour la délégation à la langue française de faire connaître les termes français nouveaux, pas seulement sur le sport mais également l’environnement, la cybersécurité, la culture, l’économie, etc., poursuit l’expert de la langue française, qui cite déjà les disciplines de ski cross et de ski acrobatique comme objectifs post-JO. Il faut faire en sorte que le français reste fonctionnel et puisse continuer d’exprimer la modernité, c’est fondamental dans le sport mais aussi dans tous les domaines scientifiques et techniques ». Pour le show à l’américaine, on repassera en 2028 à Los Angeles. Ce qui n’empêchera pas les arbitres des compétitions d’escrime de lancer les combats par le traditionnel « En garde ! Prêts ? Allez ! »