France

Enseignement supérieur : Pourquoi 30 % des élèves infirmiers abandonnent leur cursus en cours de route

Ils rendent leur blouse avant même d’être diplômés. C’est l’amer constat que dressait Emmanuel Macron le 6 janvier, lors de ses vœux aux personnels soignants : « 30 % des élèves [infirmiers] arrêtent en cours de formation et environ 10-15 % échouent à la fin. » Un phénomène corroboré par une enquête* de la Fnesi (Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières) publiée en mars dernier, qui indiquait que 59,2 % des étudiants infirmiers avaient déjà pensé à arrêter leur formation.

Des chiffres d’autant plus préoccupants que cette profession manque de bras. Le métier suscite pourtant un fort intérêt chez les lycéens de terminale : « La formation en Ifsi (Institut de formation en soins infirmiers) est la plus demandée sur Parcoursup : 100.000 candidats y ont postulé en 2022 pour 28.000 places », détaille Jérôme Teillard, chef de projet Parcoursup au ministère de l’Enseignement supérieur. 

Des erreurs d’orientation ?

C’est souvent dès les premiers mois après leur rentrée, que les élèves infirmiers lâchent la rampe. Interrogé par 20 Minutes, le ministère de la Santé évoque un taux d’abandon de 13 % « deux mois après la rentrée ». Ces arrêts précoces souvent synonymes d’erreurs d’orientation. « La fin du concours d’entrée en 2019 a changé la donne. Car le passer demandait de le préparer et donc d’être vraiment déterminé à embrasser la profession », note Magali Clausener, autrice de Devenir infirmière*. Tous les bacheliers qui postulent désormais aux Ifsi sur Parcoursup sont-ils réellement motivés, connaissent-ils vraiment le contenu de ces études ?

De fait, les élèves de terminale n’ont pas tous conscience des exigences de la formation avant de postuler. « Le niveau théorique de la formation est élevé. Et certains ont du mal en biologie ou en pharmacologie. Ils n’ont pas l’habitude de faire des travaux d’analyse, ont parfois des difficultés en raisonnement mathématiques ou pour rédiger. D’où les cours de soutien que l’on est parfois obligé de leur proposer », explique Michèle Appelshaeuser, présidente du Cefiec (Comité d’entente des formations infirmières et cadres).

Des problèmes financiers qui font obstacle aux études

Autre facteur expliquant la fuite des blouses blanches en cours de cursus : « les problèmes de précarité des étudiants », pointé par le ministre de la Santé, François Braun, en novembre. Ce dernier a notamment évoqué les « bourses versées en retard » par les régions. D’autant que le coût de ces études peut être élevé. « Tous les étudiants ne sont pas inscrits dans le public. Une inscription dans un Ifsi privé peut coûter jusqu’à 1.400 euros par an. A cela s’ajoutent le logement, l’alimentation, les livres, l’équipement… », énumère Magali Clausener.

Le soutien financier de la famille, quand il existe, n’est souvent pas suffisant. « Les jeunes qui s’orientent en Ifsi sont généralement issus de milieux peu favorisés. Ils travaillent souvent en parallèle de leurs études, ce qui est très difficile, car le programme de la formation est très dense », constate Violaine Massot, présidente de l’Esiop, une association qui vient en aide aux étudiants en soins infirmiers. Selon l’enquête de la Fnesi, 58,1 % des étudiants infirmiers déclarent ainsi travailler à côté de leurs études et parmi eux, 21,4 % doivent travailler les week-ends et 7,5 % travaillent 2 à 3 fois par semaine.

« Nous avons environ 35 heures de cours par semaine, auxquelles se rajoute le travail personnel (relecture de cours, partiels à préparer, mémoire…) Le fait d’exercer un job à côté est très fatigant et difficilement tenable à long terme », explique Kevin Brige, porte-parole de la Fnesi. Parfois les étudiants s’arrêtent juste pour souffler, car depuis 2007, il est possible d’interrompre son cursus pendant trois ans puis de le reprendre. Mais pour beaucoup, la pause censée être temporaire, devient définitive.

Des stages ou des parcours du combattant ?

Le renoncement des étudiants est aussi lié à « la maltraitance en stage », a déclaré François Braun. « Pour leur premier stage, en première année, ils vont se retrouver en Ehpad ou en gériatrie, c’est quasi systématique », observe le ministre. Des expériences pas toujours faciles :  « Ils pallient le manque d’aides soignants et on leur demande de faire les toilettes de patients, ce qui n’a rien d’évident lorsqu’on a jamais fait ça de ça vie », constate Violaine Massot. « D’ailleurs, beaucoup d’abandons ont lieu après le premier stage », ajoute Kevin Brige.

Découvrant la réalité du métier, ils pâtissent en plus de la crise de l’hôpital public : « Ils sont parfois malmenés et pressurisés. On leur demande d’intégrer toutes les consignes du premier coup et ils n’ont pas forcément de tuteur à qui se référer. Car les infirmiers en poste sont débordés et n’ont pas le temps d’apprendre leur métier aux élèves », relève Magali Clausener. Et là où ils pensaient confirmer leur vocation, ils repartent parfois avec un rêve brisé : « Certains professionnels ne les encouragent pas à continuer dans le métier, étant donné les difficultés que traverse l’hôpital », relate Michèle Appelshaeuser.

Un futur lifting en prévision

Face à ce gâchis humain, le gouvernement a bien compris qu’il fallait réagir. Pour limiter les erreurs d’aiguillage, un travail a été mené sur la plateforme Parcoursup : « Cette année, nous avons ajouté un onglet Ifsi sur Parcoursup, qui contient des vidéos de professionnels racontant leur métier, ainsi qu’un test d’autopositionnement, permettant à un lycéen de vérifier s’il répond aux attendus de la formation », explique Jérôme Teillard.

Emmanuel Macron a aussi appelé à « revoir l’organisation et le fonctionnement » des études d’infirmier d’ici cet été. François Braun a confirmé aussi que le cursus serait rénové. En évoquant d’abord sa volonté de s’attaquer aux stages. « Lors du premier stage, on doit faire briller leurs yeux, Ils doivent être en réa, aux urgences, dans des services très pointus », a-t-il déclaré, en précisant que les stages à très forte pression devraient être plutôt proposés en fin de cursus, quand les élèves sont déjà aguerris.

Violaine Massot, aussi, estime que les stages devraient être mieux ficelés : « Il faut que de réels objectifs soient fixés, que des tuteurs soient formés pour leur mission d’encadrement et qu’on leur dégage du temps pour cela. » De son côté, Michèle Appelshaeuser considère qu’il faudrait réfléchir à ne pas mettre de stage en première année pour laisser le temps aux étudiants de s’acclimater à la formation. Mais c’est aussi le contenu de la formation qu’il faudrait revoir, selon la Fnesi : « Certains enseignements ne servent à rien. Il faudrait revoir le référentiel de formation », insiste Kevin Brige. Ce qui permettrait aussi d’alléger le volume horaire du cursus et de le recentrer sur l’essentiel.