France

Eau : Un demi-siècle plus tard, l’ONU se penche à nouveau sur la gestion de l’or bleu

La dernière fois, c’était à Mar del Plata (Argentine), en 1977… Voilà quarante-six ans donc que les Nations Unies n’avaient pas dédié un sommet international à l’eau douce, une ressource pourtant indispensable à la vie et loin d’être accessible à tous.

Le tir sera rectifié du 22 au 24 mars prochains à New York. Sandra Métayer, coordinatrice de Coalition de l’eau, fédération d’ONG françaises, prévient tout de suite : cette conférence n’accouchera d’aucun accord contraignant pour les 193 Etats participants. « On n’en est pas encore là sur l’eau, confie-t-elle. Ce qui n’enlève rien au fait que ce sommet est capital. » 20 Minutes fait le point de ce qu’il faut en attendre.

De quelle crise de l’eau parle-t-on ?

On ouvre le robinet, et ça coule… « Dans bon nombre de pays développés, on ne se posait guère plus de questions sur l’eau », pointe Marie-Hélène Aubert, présidente du Partenariat français de l’eau (PFE), qui regroupe les acteurs publics et privés du secteur. La pandémie de Covid-19 a montré quel point cette ressource est cruciale et le changement climatique à quel point elle est rare, même dans nos climats tempérés. Et la France n’échappe pas aux conflits d’usages. Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, doit d’ailleurs présenter cette semaine un « Plan eau » alors que le déficit de précipitations en ce début 2023 laisse de nouveau présager une année difficile.

Une crise de l’eau sans commune mesure avec celle que vivent un grand nombre de pays du Sud depuis des décennies. Avant même de parler d’usages, le Dr Jean Lapegue, référent « eau » d’Action contre la faim, rappelle que « 2,2 milliards d’humains – un quart de la population mondiale – n’ont pas accès à l’eau potable, et 3,6 milliards – la moitié – sont privés de toilettes convenables ». Autre chiffre marquant : « 27 % des enfants qui décèdent avant leurs 5 ans meurent de maladies hydriques (choléra, diarrhée, dysenterie…) ».

Pourtant, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement a été reconnu comme un droit humain en 2010. « L’assurer à tous est le sixième des dix-sept Objectifs de développement durable (ODD) de l’agenda 2030 qu’ont adopté les Nations unies en 2015 », reprend Jean Lapegue. On en est loin. « 107 pays ne sont pas en voie d’atteindre cet objectif », indique Sandra Métayer. L’aggravation des pressions sur l’eau et le changement climatique laissent même craindre, dans certaines régions, qu’on s’en éloigne.

Pourquoi l’eau n’avait pas eu sa conférence dédiée depuis quarante-six ans ?

Ça ne veut pas dire qu’on n’a pas parlé d’eau douce depuis près d’un demi-siècle dans les instances internationales. Marie-Hélène Aubert compte même une quinzaine d’organismes onusiens qui traitent de ses enjeux. « De l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à celle pour l’alimentation et l‘agriculture (FAO), en passant par le Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE) », liste-t-elle.

Mais c’est tout le problème de l’eau douce : elle est traitée par tout le monde, mais par aucune instance en particulier. « Il n’y a pas d’agence onusienne dédiée, pas plus qu’il n’y a de traité international contraignant ou de sommets réguliers comme les COP sur le changement climatique ou l’érosion de la biodiversité », regrette Sandra Métayer. Résultat : le sujet est rarement à la hauteur des enjeux. C’est d’ailleurs le point de départ de cette conférence à venir. « Depuis l’adoption de l’agenda 2030, les pays passent chaque année en revue quatre à cinq ODD pour faire un point d’étape, raconte Sandra Métayer. Celui dédié à l’eau date de 2018, on n’y avait consacré que quatre heures. Plusieurs représentants, dont l’Union européenne, s’en étaient émus. »

Qu’attendre alors de ce sommet new-yorkais ?

« L’objet officiel est de faire un bilan à mi-parcours sur la mise en œuvre des grands objectifs mondiaux sur l’eau », rappelle Marie-Hélène Aubert. Pas seulement l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. « Ce sera aussi l’occasion de revenir sur la gestion de cette ressource dans ce contexte de crise climatique et d’érosion de la biodiversité », illustre la présidente de la PFE.

Quoi qu’il en soit, ce sommet aboutira peut-être à des nouveaux engagements volontaires des Etats, consignés dans le Water action agenda. Mais rien de contraignant. Malgré tout, ces trois jours à New York pourraient entrer dans l’Histoire. Marie-Hélène Aubert et Sandra Métayer y voient en tout cas une opportunité unique pour réformer la gouvernance mondiale de l’eau… Et ainsi éviter que la prochaine conférence du genre n’ait lieu en 2069.

L’espoir est au moins que cette conférence acte la création d’un poste d’envoyé spécial des Nations unies sur l’eau, comme il en existe déjà sur d’autres enjeux clés. « Il aurait ce rôle primordial de s’assurer que l’eau est traitée comme elle le mérite dans toutes les instances et sommets de l’ONU », explique Marie-Hélène Aubert. « On aimerait aussi que cet envoyé spécial ait un mandat politique fort pour convoquer les Etats à des réunions intergouvernementales régulières et s’assurer qu’ils remplissent leurs engagements », ajoute Sandra Métayer. « 150 Etats soutiennent cette proposition », précise-t-elle. Plutôt bien parti, donc.

Quel rôle doit jouer la France ?

La Coalition de l’eau, Action contre la faim et le Secours islamique de France listent leurs demandes dans la campagne « S-Eau-S : des engagements, pas des abonnés absents ». « La première est qu’Emmanuel Macron s’y rende, ce dont nous n’avons pas la garantie à ce jour », commence Laura Le Floch, du Secours islamique de France.

Par ailleurs, la France s’est engagée à organiser avec le Costa Rica, en 2025, une Conférence des nations unies sur les océans. « Ce serait une très bonne chose qu’Emmanuel Macron annonce l’ajout d’un segment « eau douce » à cet événement », reprend Laura Le Floch. Et puis il y a les « One planet summit », ces sommets environnementaux réunissant un large panel d’acteurs – Etat, banques, ONG, entreprises –, que la France organise régulièrement depuis 2017. Le dernier s’est tenu au Gabon en février, axé sur la préservation des forêts. Là encore, Laura Le Floch verrait bien une déclinaison sur l’eau douce prochainement.

Ces ONG n’attendent pas seulement de la France qu’elle insuffle une dynamique internationale, mais surtout qu’elle montre l’exemple. « On n’a pas encore atteint l’ODD 6, rappelle Jean Lapegue. En métropole, 400.000 personnes vivant en habitats précaires ne sont pas raccordées à un réseau de distribution d’eau potable ou d’assainissement. C’est plus encore en Outre-Mer ».