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Biodiversité : Comment l’Inde a-t-elle réussi à faire repartir à la hausse sa population de tigres ?

Une hausse de 6,74 % en quatre ans. Dit ainsi, ça peut paraître peu… Mais quand elle concerne les populations de tigres vivant à l’état sauvage en Inde, on prend. D’autant plus que les bonnes nouvelles sur le front de la biodiversité sont rares ! Le 9 avril dernier, le pays commémorait les 50 ans de son programme de conservation du grand félin, le « Tiger Project », avec des chiffres enthousiasmants, communiqué par le Premier ministre lui-même, Shri Narenda Modi.

Le pays compte désormais 3.167 tigres, contre 2.967 au dernier recensement officiel, en 2018. Surtout, en 2006, l’Inde n’en dénombrait plus que 1.411. Certes, ces chiffres sont à mettre en perspective. En 1900, la population du fauve était estimée à 100.000 individus dans toute l’Asie. Et avec ces 3.167 tigres, l’Inde héberge aujourd’hui environ 75 % de la population mondiale sauvage. C’est tout dire.

Une population qui a réellement doublé ?

L’animal reste dans la catégorie « en danger » sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). « Sur notre échelle d’évaluation de la conservation, « en danger » est l’avant-dernière étape avant qu’on ne considère une espèce éteinte à l’état sauvage, explique Florian Kirchner, responsable « espèces » au comité français de l’UICN. Le tigre est dans cette catégorie depuis quarante ans. »

Et il est encore bien trop tôt pour l’en sortir. Sa population indienne a-t-elle d’ailleurs réellement doublé depuis 2006 ? Pas si simple, à écouter Stéphane Ringuet, responsable du programme « commerce d’espèces sauvages » pour le WWF France. « Cette hausse constatée est en partie due à l’amélioration des techniques de suivi des populations animales ces dernières années, notamment avec les caméras pièges, explique-t-il. L’Inde a mis beaucoup d’énergie et de moyens pour les déployer depuis 2006. »

Et ce biais n’existe pas qu’en Inde. Florian Kirchner renvoie aussi au programme de conservation ITHCP que met en œuvre l’UICN depuis 2014. Sa première phase a consisté à subventionner douze projets de protection du fauve dans autant de territoires répartis dans six pays, principalement d’Asie du Sud (Inde, Nepal, Bouthan, Bangladesh…). « Sur ces douze territoires, les populations de tigres ont augmenté en moyenne de 40 % entre 2015 et 2020, reprend Florian Kirchner. Là encore, cette hausse s’expliquait essentiellement par l’amélioration des techniques de suivi. »

« Des efforts dans la durée et à tous les niveaux »

Ceci dit, ce biais technologique mis de côté, « le déclin dramatique des populations de tigres sauvages tel qu’on a pu observer jusqu’au début des années 2000 semble stoppé », pointe Florian Kirchner. « Personne ne conteste une reprise des effectifs de tigres sauvages dans le monde depuis plus d’une dizaine d’années », abonde Stéphane Ringuet. Et sur ce point, les deux hommes s’accordent : le mérite en revient aux politiques de conservation mise en place par plusieurs pays du territoire historique du tigre. « L’inde en tête », glisse l’expert du WWF. « Non seulement le pays fait l’effort de mobiliser toutes les parties prenantes, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, mais ces efforts sont aussi continus depuis 1973 », détaille-t-il.

Une cinquantaine de réserves ont notamment vu le jour. Pas rien quand la principale menace qui explique le déclin du tigre depuis les années 1900 est la perte de son habitat, grignoté par les activités humaines. Une autre est le braconnage et le commerce illégal auquel le grand félin n’échappe pas. Sa peau, ses os, ses moustaches même sont très prisés de la médecine traditionnelle chinoise. Là encore, « l’Inde est très mobilisée dans la lutte contre ce trafic et pousse ses voisins à en faire une priorité », souligne Stéphane Ringuet.

L’Inde ne fait donc que récolter le fruit de ses efforts. Et il n’y a guère de secrets pour Stéphane Ringuet : « A partir du moment où il a un territoire suffisamment grand, des proies pour se nourrir, un point d’eau, le tigre peut très vite se reproduire ».

Des populations de plus en plus isolées ?

Mais l’inverse vaut aussi et le responsable du programme « commerce d’espèces sauvages » du WWF met en garde sur le statut encore très fragile du tigre en Inde. « On le voit bien dans sa répartition à travers le pays, pointe-t-il. Ce sont plein de petits confettis comme autant de zones de présence. Mais elles sont isolées les unes des autres. Un enjeu fort est de créer des corridors écologiques entre elles, mais aussi avec les réserves des pays voisins pour faciliter le brassage des populations. Les marges de progression sont importantes »

L’UICN identifie elle aussi cette fragmentation des populations comme une autre menace. L’ONG ajoute les représailles après les attaques de tigres contre les personnes et/ou le bétail. Stéphane Ringuet craint même qu’elle ne prenne de l’ampleur à l’avenir dans un pays où les populations de tigres et d’humains augmentent conjointement. « Avec les probabilités de contacts et de conflits, précise-t-il. Si on regarde d’ailleurs dans le détail les grandes zones de présence du tigre en Inde, peu d’entre-elles semblent pouvoir permettre une progression importante de la population de tigres. »

« Le tigre n’occupe plus que 7 % de son territoire »

Mais si l’Inde pourrait avoir atteint un plateau, ce n’est pas le cas ailleurs dans cette région du globe. Florian Kirchner rappelle que « le tigre n’occupe plusque 7 % du territoire qui fut le sien par le passé ; il allait alors de l’Asie centrale au Vietnam et de l’île indonésienne de Sumatra jusqu’à la rive russe du fleuve Amour. » Sur cette large zone, Stéphane Ringuet met le doigt sur l’Asie du Sud-est en particulier. « Le Vietnam, le Laos, le Cambodge n’ont plus de tigres. En Thaïlande, en Indonésie, en Malaisie, les populations sont très fragiles, liste-t-il. Ce sont notamment dans ces pays que les marges de progression sont importantes. »

En se servant de l’Inde comme modèle ? Florian Kirchner comme Stéphane Ringuet restent prudents sur les comparaisons. « Les contextes, les pressions ne sont pas forcément les mêmes », indique ce dernier. Le responsable du programme « commerce d’espèces sauvages » pour le WWF retient tout de même une leçon : « Quand les efforts sont continus et réalisés conjointement à tous les niveaux et avec toutes les parties prenantes, ça finit forcément par payer ».