France

Basket : Dans les méandres de l’enquête administrative visant le coach mis en examen pour viol sur mineur

Dans le cabinet du juge d’instruction, ce 30 novembre 2022, Ludovic Pouillart ne cache pas son étonnement. L’enquête administrative menée contre lui n’a, semble-t-il, jamais abouti. En tout cas, assure-t-il au magistrat, il n’a jamais été recontacté depuis son rendez-vous au service Jeunesse et Sport du Bas-Rhin, rattaché au ministère des Sports. C’était en juillet 2021, soit un an et demi auparavant. « On m’avait dit qu’on allait me donner des nouvelles dans les six mois. Ils m’ont dit qu’ils pouvaient m’enlever mon diplôme et depuis, pas de nouvelle, pas de courrier, rien. » Les faits qui lui sont reprochés sont pourtant loin d’être anodins : comme le révélait récemment 20 Minutes, cet entraîneur de basket – qui coachait jusqu’à récemment l’équipe masculine du club d’Orchies (Nord) – a été mis en examen lors de cette audition fin 2022 pour « viol sur mineur de 15 ans par une personne abusant de l’autorité que sa fonction lui confère ».

L’affaire remonte à 2002, lorsque Ludovic Pouillart entraînait, en parallèle de sa carrière de joueur professionnel, des ados du pôle espoir de Caen. L’une des joueuses, Valérie L., a porté plainte contre lui, presque dix-huit ans plus tard, en juin 2020, pour atteinte sexuelle sur mineur. Elle l’accuse d’avoir profité de son jeune âge pour obtenir des relations sexuelles. « Il disait qu’il était amoureux, que j’étais la femme de sa vie. J’avais 14 ans et demi. Il insistait bien pour que je n’en parle à personne. Il me disait que, si j’en parlais, il aurait des soucis », précise-t-elle aux enquêteurs. C’est à la suite de cette audition qu’une enquête administrative a été diligentée, en parallèle des investigations judiciaires.

De courtes auditions… et puis plus rien

Ludovic Pouillart, qui n’a eu de cesse de nier les accusations portées à son encontre, a été le premier a être entendu par les autorités administratives. Sa convocation est arrivée dans sa boîte aux lettres en juin 2021 : rendez-vous le 12 juillet, au siège, à Strasbourg. Les vacances en famille sont légèrement repoussées pour qu’il puisse s’y rendre. Pourtant, à en croire ses déclarations en garde en vue, l’entretien a non seulement été court, mais il n’a pas porté uniquement sur l’affaire en question. « Il a davantage été évoqué des faits de harcèlement sur l’année 2002 », assure-t-il aux enquêteurs en octobre 2021. Certes, plusieurs clubs ont reçu des lettres anonymes relatives à ses méthodes de travail, mais dans l’enquête judiciaire, aucun élément relatif à cette question ne transparaît. Quatre mois plus, Valérie L. est à son tour auditionnée par le service Jeunesse et Sport pendant près d’une heure. Elle non plus n’a jamais eu le moindre retour.

Et pour cause : selon le ministère des Sports, deux ans après son ouverture, l’enquête administrative est toujours en cours d’instruction. En parallèle des investigations, le préfet du Nord s’est décidé, le 6 mars 2023 – soit 20 mois après l’audition de Ludovic Pouillart – à prendre des mesures conservatoires dites « d’urgence » : une interdiction temporaire d’exercer auprès des mineurs a finalement été émise pour une durée de 6 mois, « qui pourra éventuellement être prolongée compte tenu de l’état d’avancement et des suites de l’enquête pénale », précise la préfecture.

Violaine Chabardes ne cache pas son étonnement devant de tels délais. « D’habitude, ces arrêtés sont pris très rapidement, dans les semaines – parfois même les jours – qui suivent le signalement. On ne suit absolument pas le temps judiciaire, puisqu’on ne cherche pas à établir la culpabilité mais la protection d’éventuelles victimes. » Cette ancienne policière sait de quoi elle parle : elle est à la tête du pôle accompagnement des victimes au sein de l’association Colosse aux pieds d’argile, spécialisée dans les violences sexuelles dans le milieu du sport.

Pourquoi près de deux ans avant des mesures « d’urgence » ?

Comment expliquer ce qui s’apparente à une forme d’inertie de l’administration dans ce dossier ? Était-ce parce qu’au moment de la convocation de Ludovic Pouillart devant le pôle Jeunesse et Sport, l’information judiciaire était alors ouverte pour un délit et non un crime, à savoir atteinte sexuelle sur mineure ? Elle sera requalifiée en janvier 2022 pour viol sur mineure par une personne abusant de son autorité. Et l’entraîneur mis en examen onze mois plus tard. « Je ne pense pas que ce soit lié, estime Violaine Chabardes. L’atteinte sexuelle est un délit suffisamment grave pour que des mesures conservatoires soient prises, cela se confirme dans de très nombreux dossiers. » D’autant qu’aucune mesure n’a été prise lors de la requalification ou la mise en examen. De manière totalement indépendante, la Fédération française de basket a, par exemple, pris des mesures conservatoires lors de la mise en examen.

Pourquoi, alors, l’administration a-t-elle attendu encore plus de trois mois avant de prendre ces mesures « d’urgence » ? Difficile à dire. Travailler sur les méandres d’une telle enquête administrative revient peu ou prou à chercher, comme Astérix dans les 12 Travaux, le laisser-passer A38. A savoir être renvoyé de service en service. Et trouver porte close à chaque fois. Qu’est-ce qui a finalement poussé la préfecture à prendre ces mesures conservatoires qui interviennent, presque ironiquement, trois jours après que le club dans lequel il exerçait l’a suspendu ? Sans tirer de conclusion hâtive, il est également surprenant de constater que cet arrêté a été pris moins de 10 jours après nos révélations.

Un dossier passé de service en service

De nouveaux actes d’enquête ont-ils été menés entre temps, ou est-ce tout simplement lié au fait que le dossier a beaucoup voyagé ? Si l’enquête a été ouverte dans le Bas-Rhin, où vivait à l’époque Ludovic Pouillart, elle a été transférée en mars 2022 en Seine-Maritime, lorsqu’il a quitté l’Alsace pour rejoindre l’ouest de la France. Rien d’étonnant à cela : il revient au département dans lequel réside le mis en cause de traiter ce type de dossier. Où en était l’enquête avant ce transfert ? Impossible à dire. A Strasbourg, le rectorat – car oui, pour faciliter les choses, le service est, depuis peu, sous la coupe du ministère de l’Education – élude toutes les questions, notamment celles sur l’absence de mesures conservatoires.

En Seine-Maritime, on confirme du bout des lèvres que le dossier est effectivement passé entre leurs mains, mais impossible d’en savoir plus. Nos appels et incessants textos resteront lettre morte. Mais Ludovic Pouillart n’est resté que quelques mois dans ce département avant de déménager dans le Nord. Nouveau transfert de dossier, et même silence assourdissant. Après trois semaines de ce qui pourrait s’apparenter à du harcèlement de notre part, la préfecture finit par nous indiquer que des mesures conservatoires – évoquées plus haut – ont été prises. Impossible, en revanche, d’en savoir plus sur le cheminement du dossier. Quant au ministère des Sports, il renvoie… vers la préfecture du Nord. A croire qu’il est finalement plus facile de trouver le laisser-passer A38 que de comprendre ce qu’il s’est joué dans cette enquête administrative.