France

Ariège : Une simple élection partielle dans les Pyrénées peut-elle faire sauter la Nupes ?

Bienvenue dans la première circonscription de l’Ariège, autour de Foix. Voilà au moins cent ans que l’on n’y a pas élu un député de droite. Même les mauvaises années, en 1968, en 1993 ou en 2017, les électeurs et électrices ont toujours choisi un ou une députée de gauche, et souvent largement. Le duel LFI-Nupes/PS dissident qui s’annonce ce dimanche, au second tour d’une législative partielle (organisée après l’annulation du scrutin de juin), vient confirmer le caractère exotique de la région, dans un pays où cela fait plus de dix ans qu’aucun candidat de gauche ne s’est hissé au second tour d’une présidentielle.

Et pourtant, c’est le drame. Car la sortante LFI, Bénédicte Taurine (qui n’est pas concernée par l’annulation du précédent scrutin), fait face à une dissidente socialiste anti-Nupes, Martine Froger, en rupture de ban avec la direction nationale. Dans le sillage de Carole Delga, présidente de la région Occitanie, les socialistes de l’Ariège sont particulièrement opposés à la stratégie d’alliance avec les insoumis. D’ailleurs en juin, un autre dissident PS, Laurent Panifous, a battu le député LFI sortant de la deuxième circonscription (Pamiers), Michel Larrive.

« Une opposition extrêmement radicale »

Panifous, qui siège dans le groupe de députés divers gauche et divers droite Liot (Liberté, indépendants, outre-mer et territoires), fait la campagne de Froger et confirme : « Nous sommes un territoire en résistance, et ça porte ses fruits. A l’Assemblée, j’essaye de porter une opposition constructive, pas inféodée à LFI, avec laquelle on ne partage rien. » Le député ariégeois espère ainsi prouver qu’on peut être de gauche hors de la Nupes, et décrit LFI comme « une opposition extrêmement radicale au niveau national comme au niveau local. Ils s’opposent à tous les projets ! Nous, on veut développer le territoire, pas eux. »

Une redite de l’épisode de juin dans la deuxième circonscription de l’Ariège a de vraies chances de se produire, car tout ce que la circonscription compte d’électeurs et d’électrices moins à gauche que Bénédicte Taurine a l’occasion de « se faire LFI ». « Ça va être très serré », reconnaît, un brin inquiet, un membre de la direction de la France insoumise, voyant déjà dans le résultat du premier tour une sorte de coalition anti-LFI : Martine Froger a gagné 8 points depuis juin, quand la candidate macroniste en a perdu 9, pour tomber à 11 % seulement. La majorité présidentielle ne s’y est d’ailleurs pas trompée et voit là un bon moyen d’enfoncer un coin dans la Nupes en appelant, dès dimanche soir, à voter pour Martine Froger. Une stratégie qui, comme le pensent certains, à l’instar du député LFI toulousain Hadrien Clouet, causera sa perte.

« Baratin »

« Elle n’a pas gagné », assure, confiant, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Mais à la Nupes, on s’attache déjà à relativiser une éventuelle victoire de Martine Froger. « Extrapoler le résultat me paraît incongru et aléatoire : c’est l’Ariège, pas la France, explique le spécialiste des élections au PS, Pierre Jouvet. Il n’y a pas beaucoup de circonscriptions en France où la gauche peut avoir deux candidats au second tour, on ne pourra pas tirer de conclusions… » Pourtant, le PS comme la Nupes tout entière se démènent à coups de communiqués pour soutenir Bénédicte Taurine. Jean-Luc Mélenchon lui-même avait fait le déplacement avant le premier tour.

Car il s’agit à tout prix d’éviter que l’idée d’une gauche hors Nupes ne se développe. « L’alternative à l’union de la gauche, c’est du baratin », cingle une écologiste. L’élément de langage est repéré à l’envie : « Si on casse la Nupes, on casse la possibilité d’avoir 151 députés de gauche, sans qui la réforme des retraites aurait été largement votée », assure Olivier Faure. Quel que soit le résultat de dimanche, l’ambiance n’est donc pas au changement de stratégie générale.

Parti dans le parti

Une question pourrait néanmoins créer du tumulte : où siégerait, en cas de victoire, la députée Froger ? L’opposition interne à Olivier Faure au PS rappelle qu’elle a envoyé un courrier dans lequel elle disait vouloir siéger au sein du groupe socialiste. « Elle a opportunément envoyé ce courrier avant le Conseil national qui devait statuer sur son cas. Mais elle veut aller chez Liot », analyse le premier secrétaire du PS. « Ce sont les députés socialistes qui auront la main, de toute façon. Je ne vois pas bien la cohérence d’être contre la Nupes et de venir dans un groupe qui porte dans son nom  »membre de l’intergroupes Nupes » », élude Pierre Jouvet. « Ça n’arrivera jamais ! », a balayé Mathilde Panot mardi, marquant toute sa confiance envers Olivier Faure et Boris Vallaud, le président du groupe socialiste.

A l’issue du congrès socialiste à Marseille, fin janvier, certains chefs de la France insoumise trouvaient qu’Olivier Faure ne tenait pas son parti et avait eu tort de composer avec les socialistes Nupes-sceptiques autour de Nicolas Mayer-Rossignol. Aujourd’hui, au moins officiellement, personne ne critique le député de Seine-et-Marne : « Il a fait le job, a pris les positions qu’il fallait, a demandé à Martine Froger de se désister… Il a fait tout ce qu’il pouvait faire », insiste Hadrien Clouet. Et puis « c’est l’Occitanie, c’est Carole Delga », entend-on ici ou là.

Carole Delga qui commence à être un parti dans le parti au PS. « C’est fort : au congrès, elle a réussi à mobiliser à elle seule plus de 10 % des militants qui ont voté dans le pays, si on regarde les résultats en Occitanie », analyse un stratège du camp Faure. « On sait tout ça », balaye Pierre Jouvet, considérant qu’une victoire de Froger ne changerait rien à la donne interne au PS. Lamia El Aaraje, une des porte-parole du courant de Nicolas Mayer-Rossignol, semble tout de même avoir déjà commandé des bouteilles de petit-lait : « C’est tout de même ubuesque que la direction du Parti socialiste demande à une socialiste de se retirer ! Mais si le groupe socialiste se croit assez fort pour se passer d’une députée de plus… »