France

A la rencontre de l’homme qui murmure à l’oreille des chamelles

A Feignies, près de Maubeuge, dans le Nord, l’exploitation agricole de Julien Job se distingue des autres. Sa ferme est unique en France, et si vous passez devant un jour, vous allez vite vous en rendre compte à la vue des bêtes qui paissent tranquillement dans ses pâturages. 20 Minutes est allé à la rencontre de ce passionné d’animaux, seul producteur français de lait de chamelle.

Baptisée la Camélerie, la ferme de Julien Job est perdue aux milieux de prés verdoyants que traverse une minuscule route, sur laquelle il est difficile de se croiser. Si l’adresse ne comporte pas de numéro, il est néanmoins impossible de se tromper, deux imposants chameaux vous indiquant mieux qu’un GPS l’arrivée à votre destination. Evidemment, il pleut à torrents, et l’endroit, qui pourrait être bucolique, est transformé en champ de boue. Mais l’on oublie vite de faire attention à ses chaussures lorsque l’on tombe presque nez à nez avec une paire de lamas, un couple d’ânesses miniatures, quelques zébus et autres mammifères. « Les chameaux sont à l’intérieur. Ils râlent pour sortir et ils râleraient pour rentrer parce qu’il pleut », nous lance le propriétaire des lieux en nous conduisant sous une immense tente de Bédouins. « On y fait des repas quand il fait beau », précise-t-il.

« Des camélidés, il y en a partout dans le monde »

Quand on se montre étonné de voir des chameaux dans le Nord, Julien casse tout de suite les clichés : « Des camélidés, il y en a partout dans le monde. On oublie qu’en France aussi on a utilisé les dromadaires, notamment pour construire des voies ferrées », assure-t-il. Sauf qu’en France, comme dans d’autres pays, notamment l’Australie, on a délaissé cet animal après l’avoir remplacé. A la base, Julien Job est négociant en animaux atypiques, essentiellement pour les zoos : fauves, zèbres, singes et, donc, chameaux. « Il y a quinze ans, j’ai importé une chamelle blanche de Russie pour un parc français. Elle est arrivée blessée alors on l’a gardée », se souvient-il. C’est elle qui lui a donné l’amour des camélidés. « Ça me fascine de voir tout ce que l’on peut faire avec un chameau, insiste Julien. C’est plus robuste, plus docile qu’un cheval et beaucoup moins cher à élever. »

Balader les touristes, location pour le cinéma ou la télévision, vente de spécimens. Tout ou presque, sauf la boucherie. Et, désormais, le lait. On quitte la tente pour se rendre dans un bâtiment d’où proviennent d’intenses blatèrements. Dans des enclos tapissés de paille, plusieurs dizaines de chamelles nous regardent d’un œil curieux. « Ici, on a toutes les femelles qui viennent de mettre bas avec leurs petits et sont encore pleines. Là, c’est un bébé qui est né hier », explique Julien, en désignant un beau gaillard affalé contre le flanc de sa mère. C’est aussi à cet endroit que se passe la traite, chaque jour à 18 heures. En matière de rendement, on est loin des vaches, avec seulement cinq litres par animal et par jour. « C’est une des raisons du prix élevé du lait, environ 15 euros le litre », reconnaît l’éleveur. Mais il n’y a pas que la rareté qui justifie le prix.

Une discrète production de 25.000 litres annuels

Rare et précieux liquide, que l’on goûte avec respect. Néanmoins, nos papilles ne sont pas déboussolées, parce que comparé au lait de vache, la différence n’est pas dans le goût. « Le lait de chamelle est pauvre en lactose et en mauvais cholestérol et donc mieux toléré. Il contient trois fois plus de vitamines C et dix fois plus de fer », liste Julien. On lui prête aussi des vertus médicinales, comme le confirme le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) : « Le lait de chamelle constitue […] un remède contre de nombreuses affections » et est utilisé « dans le traitement de la tuberculose humaine, du diabète sucré, des affections hépatiques, des troubles respiratoires, des diarrhées des enfants, des calculs biliaires, des troubles nerveux, de la fatigue générale et des ulcères gastriques ».

Sauf qu’avec ses 80 bêtes, et à raison d’un seul bébé tous les deux ans, la Camélerie n’est pas près d’inonder la France avec sa production annuelle de 25.000 litres. « Tout est à faire, la filière n’existe pas et je ne suis pas sûr que cela intéresse les agriculteurs de s’y mettre. C’est trop différent de ce qu’ils font et pas assez rentable », constate Julien. Il y en a qui ont pourtant flairé la bonne affaire et qui ont des chameaux à foison : « J’étais allé en Arabie saoudite pour leur expliquer mes techniques de pasteurisation du lait et je suis revenu avec la proposition de les aider à vendre en France le lait de 6.000 chamelles », explique Julien. Mais que les vaches se rassurent, les camélidés seront encore à des années-lumière d’approcher leur capacité de production, chiffrée à 23 milliards de litres en France en 2020.