France

A Bordeaux, une faille permet-elle de contourner l’encadrement des loyers ?

Ses vices cachés ne le sont pas restés longtemps. L’encadrement des loyers a été mis en place le 15 juillet 2022 à Bordeaux, après d’autres grandes villes de France comme Paris, Lyon et Lille. Des loyers médians de référence, calculés par quartiers en fonction notamment de la localisation, de la taille des logements, et de leur année de construction, doivent permettre de maîtriser la hausse des prix des logements.

Mais, au-delà du loyer de référence majoré (de 20 % maximum), le propriétaire a la possibilité d’appliquer « un complément de loyer ». Le problème c’est que les conditions de cette dérogation à la grille des loyers encadrés ne sont, elles, pas du tout réglementées et donnent lieu à des dérives dont l’ampleur est difficile à évaluer, huit mois seulement après la mise en place de la mesure.

« Un studio avec terrasse à 800 euros »

« J’ai consulté des annonces dans lesquelles des sanitaires refaits à neuf ou un accès au tram justifiaient un complément de loyer, alerte Marina, 47 ans, une locataire bordelaise inquiète de l’évolution du marché. Un studio de notre résidence (sur la rive droite bordelaise) avec terrasse est reloué à 800 euros, car le complément de loyer est de près de 200 euros, alors qu’il était aux environs de 500 euros en loyer encadré. » Résultat : pour cet exemple, le prix du bien est plus élevé qu’avant la mise en place de l’encadrement des loyers, un comble…

« On y a recours [au complément de loyer] vraiment à titre exceptionnel et quand on est autorisés à l’appliquer uniquement, assure Eric Goya, agent immobilier FNAIM à Bordeaux. Ce n’est pas tous les jours qu’on a un appartement avec une vue exceptionnellement dégagée, ce n’est pas systématique mais au cas par cas. C’est notre devoir de respecter les directives ». Il précise qu’une vue dégagée ou une grande terrasse font droit à l’application d’un complément mais pas une place de parking ou un garage « ce qui est à mon sens paradoxal ». Et les propriétaires ne disposent d’aucun barème pour leur indiquer combien « vaut » une vue remarquable ou une terrasse. A ce jeu, certains en profitent pour survaloriser leur bien, encouragés par l’absence de contrôles.

Les collectivités n’ont pas de pouvoir de contrôle

Stéphane Pfeiffer, adjoint au Logement et à l’Urbanisme de la ville de Bordeaux le reconnaît sans détour, le complément de loyer est la principale faille de ce dispositif. « Plusieurs métropoles dont Bordeaux sont en train de préparer un courrier pour interpeller le ministère du Logement car, au-delà de savoir comment on le fixe, il n’est pas défini précisément dans la loi. » Il estime que ce complément de loyer est « clairement un moyen de contourner l’encadrement ». Pour lui, les opposants à ce dispositif de régulation ont orienté la rédaction de la loi. « Il y a eu un compromis avec les représentants des propriétaires et des agences immobilières, estime l’élu. C’est une vraie faille et si on ne l’encadre pas, il remet en cause le dispositif ».

Le dispositif national échappe aux collectivités qui n’ont aucun moyen de contrôle. Le locataire a la possibilité de saisir la commission de conciliation dans les trois mois suivant la signature de son bail pour contester ce complément. Mais, cela revient à reporter la charge de cette régulation sur les locataires, qui sont bien réticents à entrer en conflit avec leurs propriétaires, d’autant que le marché locatif est très tendu. Pour preuve, quatre contentieux sont arrivés jusqu’au bureau de la commission départementale de conciliation pour Bordeaux et seulement une centaine, dont la plupart porte sur les compléments de loyers, depuis quatre ans, dans la capitale.

Stéphane Pfeiffer, rappelle que hors encadrement des loyers, un propriétaire n’a pas toute liberté pour augmenter le loyer de son bien. Les hausses (au moment d’une première location ou après des travaux de rénovation) doivent se conformer à l’indice de référence des loyers (IRL). Il s’établit par exemple à 3,6 % en 2023.

« Déjà beaucoup de logements à des prix corrects »

« J’ai en tête quelques cas où on a dû baisser le montant des loyers pour coller à l’encadrement des loyers, mais ce n’est pas la majorité, beaucoup étaient déjà proposés à des prix corrects, relève Eric Goya, notre agent immobilier. Mais je trouve aussi que certains petits logements sont pénalisés, ils étaient à des prix raisonnables et leurs montants ont baissé de 50 à 60 euros. »

L’observatoire local des loyers, piloté par l’A’urba, n’a pas encore rendu son premier rapport après la mise en place de l’encadrement. Mais, du point de vue d’Eric Goya l’accès au logement ne s’est pas amélioré dans ce laps de temps : « on reste dans une pénurie d’offres locatives, et le plafonnement ne joue pas là-dessus. »

Pour Marina, bordelaise depuis 1995, c’est la déception et le sentiment de trahison qui dominent. La nouvelle majorité écologiste avait promis de renverser la table à Bordeaux après des décennies de règne de la droite. L’arrivée de la LGV avait contribué à faire grimper les prix et à tendre un peu plus le marché locatif, repoussant les plus modestes en périphérie de la métropole. La mise en œuvre de l’encadrement, une des promesses de campagne du candidat Hurmic (EELV) a douché ses espoirs. Elle trouve les écologistes un peu « naïfs » sur un sujet qui visiblement dépasse les compétences locales. L’expérimentation de ce dispositif se poursuit jusqu’en 2026 dans la capitale girondine.