Belgique

Qatargate : Marie Arena sort du silence pour “se défendre de ce dont elle n’est pas accusée”

Depuis le début de l’année 2023, Marie Arena faisait le gros dos, attendant que s’éloigne d’elle l’orage déclenché par le scandale du Qatargate. Le nom de l’eurodéputée socialiste belge y est associé depuis décembre 2022, quand Le Soir et Knack ont révélé que la police et la justice belge menaient une enquête sur une affaire de corruption présumée et d’influence étrangère au sein du Parlement européen. S’il est tant question de Marie Arena, dans les rapports d’enquête et le récit qu’en fait la presse, c’est notamment en raison de la grande proximité qu’elle entretenait avec l’ancien eurodéputé italien Pier-Antonio Panzeri, présenté comme le cerveau du réseau de corruption.

Marie-la-guigne, encore au mauvais endroit, au mauvais moment

Marie Arena avait répondu aux médias, dont La Libre, dès les premiers jours de l’enquête, qu’elle était entièrement étrangère à cette affaire – une ligne dont elle n’a jamais dévié – puis s’était astreinte au mutisme médiatique. Suite aux perquisitions menées en juillet à son domicile et dans son entourage – lors desquelles les enquêteurs ont trouvé 280 000 euros en liquide dans l’appartement de son fils – l’élue a décidé de sortir du silence, et d’accorder un entretien en forme de contre-attaque, à La Libre, au Monde et au Soir, dans les bureaux de son avocate Maître Michèle Hirsch, vendredi matin, à Bruxelles.

Une situation paradoxale

C’est cette dernière qui introduit la discussion en soulignant une situation “paradoxale : La justice ne met pas en cause Marie Arena. Depuis le début de cette affaire, elle n’a pas été interrogée, pas même comme témoin. Elle n’a pas été inculpée. Elle n’a pas été privée de liberté. On n’a pas demandé sa levée d’immunité parlementaire. Et je suis amenée à conseiller à Marie Arena de vous rencontrer dans ce contexte-là pour qu’elle se défende devant vous de quelque chose dont la justice ne l’accuse pas”. Suite aux perquisitions, Mme Arena devrait être entendue, comme elle en a fait plusieurs fois la demande, avance son avocate.

guillement

Je n’ai rien à voir dans cette affaire et rien ne change par rapport à ce que je vous ai dit en décembre à ce sujet. Absolument rien.”

Marie Arena enchaîne : “Je n’ai rien à voir dans cette affaire et rien ne change par rapport à ce que je vous ai dit en décembre à ce sujet. Absolument rien.” Et d’ajouter que si elle se décide à sortir du bois, c’est pour ces “milliers de personnes qui ont voté pour moi, parce qu’ils avaient confiance dans les combats que je menais et qui ne comprennent pas que je ne réagisse pas aux attaques”.

La députée évacue d’emblée le sujet, le plus récent et le plus brûlant, en insistant sur le fait que l’argent trouvé chez son fils “n’a rien à voir avec elle, ni avec le Qatargate”. Elle oppose ensuite ses arguments aux suspicions dont elle fait l’objet.

”Je n’accepte pas les cadeaux”

Marie Arena oppose un démenti ferme aux allégations selon lesquelles elle ferait partie d’un groupe “piloté” par l’ancien eurodéputé social-démocrate (S&D) italien Pier-Antonio Panzeri qui, contre rétribution, favoriserait au sein du Parlement européen les intérêts d’États tiers comme le Qatar et le Maroc. Outre M. Panzeri, son bras droit Francesco Giorgi, la députée grecque Eva Kaïli, ses collègues du groupe S&D, le Belge Marc Tarabella et l’Italien Andrea Cozzolino ont été inculpés, ainsi que l’Italien Niccolo Figa-Talamanca, secrétaire général de l’ONG No peace without justice.

« Mon père disait : « Quand on monte au mât il faut garantir qu’on n’a pas un trou à la culotte ». Moi, je suis toujours montée. J’ai toujours été dans le combat sur les valeurs et cette question des responsabilités est essentielle pour moi. J’ai toujours veillé à être irréprochable », affirme Marie Arena. Elle assure ne recevoir de cadeaux, ni du Qatar, ni de personne, si ce n’est “le vase monstrueux”, reçu lors du voyage effectué en 2022 dans le petit État du Golfe “que j’ai failli mettre à la bulle à verre, quand je suis rentrée”.

Elle défend avoir jamais cherché à protéger le Qatar des critiques qui le visaient en raison des violations des droits de l’homme et des travailleurs dans le cadre de la préparation de la Coupe du monde 2022. En novembre 2022, le ministre qatari du Travail Ali ben Samikh Al-Marri avait auditionné par la sous-commission Droit de l’homme (Droi) du Parlement européen, que présidait Marie Arena. L’exercice n’avait pas été une promenade de santé pour le ministre, secoué par de nombreux élus et l’ONG invitée à s’exprimer. Selon les écoutes citées par la presse, Mme Arena avait répondu à M. Panzeri “qu’elle était satisfaite”, du déroulement de l’audition lorsque celui-ci l’avait appelée juste après. Elle lui avait demandé à son tour ce qu’en pensait le ministre. “Panzeri, il a fondé Fight Impunity et pour moi à ce moment-là, c’est quelqu’un qui veut continuer à travailler sur la question des droits de l’homme”, et qui est en contact avec tout le monde, justifie-t-elle, invitant à ne pas tirer de conclusions hâtives “quand on repasse le film à l’envers”. Elle n’avait, assure-t-elle, aucune raison d’imaginer que Panzeri était payé et en service commandé pour Doha.

Elle assume également de s’être opposée à la mise au vote d’une résolution du Parlement européen sur les violations des droits de l’homme au Qatar, parce qu’elle privilégiait “un travail de fond en commission”. “On fait le show en plénière”, soupire-t-elle. “Et aujourd’hui, qui parle encore des droits de l’homme au Qatar ?”.

Pas l’amie du Maroc

L’ancienne présidente de la sous-commission Droi, dont elle a démissionné, ajoute qu’on peut difficilement la soupçonner d’avoir “roulé pour le Maroc”. Lors de son premier mandat de députée européenne, elle siégeait à la commission du Commerce international, au sein de laquelle avait tenu une position “minoritaire” d’opposition à la conclusion des accords de pêche et d’agriculture entre le Maroc et l’Union européenne, parce qu’ils englobaient le territoire contesté du Sahara occidental, contre l’avis de la justice européenne. Ce qui lui avait valu, à l’époque, des pressions des autorités marocaines, sur laquelle son avocate ne souhaite pas qu’elle s’étende. “Donc je ne suis pas identifié comme étant l’amie du Maroc”, insiste Marie Arena.

Panzeri, l’ami qui a trahi

Elle se distancie clairement en cela de Pier-Antonio Panzeri, qui était l’homme des Marocains à Bruxelles. L’élie de 56 ans était très proche, depuis son premier mandat, de ce syndicaliste italien de douze ans son aîné, membre comme elle du groupe des socialistes et démocrates au Parlement européen, auquel elle a succédé à la tête de la sous-commission Droi. Un homme qui pensait-elle, partageait ses combats et les poursuivait au sein de l’ONG Fight Impunity, qu’il avait fondée en 2019 et qui lui servait en fait de couverture.

Qui Pier-Antonio Panzeri, le pivot du Qatargate

Lorsque l’Italien est arrêté, en décembre 2022, “j’ai conseillé un avocat pour Panzeri, parce que le jour même, j’étais encore convaincue qu’il était un ami” , rembobine-t-elle. Un ami passé aux aveux, en échange d’un statut de repenti. “Panzeri n’est plus mon ami. Je ne veux pas le voir. J’espère que je ne me reverrai plus jamais de ma vie. Et je lui en voudrais, je pense, tout au long de ma vie.”

guillement

Panzeri n’est plus mon ami. Je ne veux pas le voir. J’espère que je ne me reverrai plus jamais de ma vie. Et je lui en voudrais, je pense, tout au long de ma vie.”

Depuis le début de l’affaire, la presse se contorsionne pour trouver des euphémismes afin de ne pas écrire noir sur blanc ce que tout le monde chuchote et qui aurait été glissé aux enquêteurs par certains inculpés : Marie Arena et Pier-Antonio Panzeri auraient eu une liaison amoureuse. Interrogée à ce sujet, la Belge répond “Non” sans détour. “Si j’avais eu une relation avec Panzeri, avec les écoutes téléphoniques, les micros placés chez lui et avec ce que la Sûreté de l’État peut mettre en place comme filature, la presse n’aurait pas dû trafiquer une photo qu’elle a publiée où, soi-disant, j’étais en voyage amoureux avec [lui]”, défend-elle. Le document publié est un selfie d’elle et M. Panzeri, tout sourire, dont, en réalité, une troisième personne a été escamotée, comme on le voit sur la photo originale présentée par Me Morgan Bonneure, qui assiste Me Hirsch dans la défense de Marie Arena.

“Mais encore aurais-je eu une relation que j’aurais encore beaucoup plus de mérite parce que malgré les confidences sous l’oreiller, j’ai tenu une position qui était à l’opposé de la position qu’il défendait”, enfonce Marie Arena.

De ce que la presse révèle de ses déclarations à la justice, Pier-Antonio Panzeri exonère entièrement Marie Arena. “Je m’en fous”, cingle-t-elle. “Je n’ai pas besoin de Panzeri pour me préserver”.

Le juge Claise se déporte de l’enquête

Ni que personne d’autre ne la protège, complète-t-elle. À ceux qui sous-entendent qu’elle a bénéficié de la mansuétude du juge Claise, avant que celui-ci ne doive se déporter en raison des liens d’affaires entre son fils et celui de Mme Arena, celle-ci rétorque :Le juge Claise, je ne l’ai jamais vu, je ne le connais pas. Certaines parties aujourd’hui ont tout intérêt à attaquer le juge Claise. C’est leur unique défense.”

”D’où viennent les fuites dans la presse ?”

La députée européenne est agacée par la multiplication des fuites dans la presse qui ont pour effet d’alimenter le soupçon quant à son implication dans le scandale de corruption. “Nous avons décidé de déposer une plainte (jeudi dernier, NdlR) contre X avec constitution de partie civile pour violation du secret professionnel et de l’instruction”, fait savoir Me Bonneure. “Manifestement ce sont des sources proches de l’enquête [qui propagent ces fuites].

Quelle est la source de la Sûreté [de l’État]” qui affirme que Mme Arena a reçu des cadeaux, interroge Me Hirsch, qui se demande qui pourrait avoir intérêt à discréditer sa cliente ? “Je ne fais pas de la politique ni pour avoir des ennemis mais je n’en fais non plus pour avoir des amis”, expose Marie Arena.

Elle rappelle que ses positions dans divers dossiers traités au Parlement européen ont irrité les États concernés – la République démocratique du Congo à l’ère Kabila, la Chine et le Maroc, entre autres. La Belge s’est fortement impliquée dans l’élaboration de la législation européenne sur la due diligence – la responsabilité des entreprises – actuellement en négociation entre le Parlement européen et les États membres. “Ce n’est pas possible de demander à un État tiers de respecter les droits de l’homme, de ne pas appliquer la peine de mort, de ne pas et en même temps avoir des relations commerciales avec des entreprises européennes qui ne respectent pas les droits de l’homme dans ces pays”, martèle-t-elle.

Marie Arena ne dira pas qu’elle était une cible pour des États ou des milieux d’affaires, mais laisse entendre que “tout est possible”. Elle souligne qu’elle avait été approchée pour succéder, après son mandat de députée, à l’Irlandais Eamon Gilmore en tant que “représentant spécial droits de l’homme au niveau européen”. Que son nom soit associé au Qatargate plombe sa candidature. Par ailleurs, sa voix au Parlement européen est devenue presque inaudible. Elle voulait poursuivre son action politique dans le domaine de la défense des droits de l’homme. “Aujourd’hui, ce n’est pas possible. Donc c’est extrêmement frustrant. Ça me rend dingue.”