Belgique

Procès des attentats à Bruxelles: « Vous n’aurez pas ma haine », lance une victime aux terroristes

« Mettre des mots sur des maux m’a permis de faire le point », a soupesé le quinquagénaire, pour qui « les faits restent néanmoins incompréhensibles ». « On a tenté de m’assassiner », a-t-il répété, comme pour réaliser l’inintelligible.

Le matin du 22 mars 2016, l’attentat de Zaventem est déjà sur tous les écrans des passagers du métro lorsque ce navetteur monte à la station Delta. « J’ai eu un moment d’hésitation, bien trop court », se souvient-il. Pris par le flux des gens pressés, il est alors monté dans « la rame de l’enfer ». « J’ai vu un homme avec un grand sac à dos. Je me suis dit: ‘En voilà un qui a de la chance, il doit sûrement profiter de ses vacances pour partir en trek quelque part' », s’imagine ce randonneur occasionnel. L’homme au sac à dos changera de wagon in extremis à Maelbeek et déclenchera sa charge explosive à 09h11. Il s’appelait Khalid El Bakraoui.

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Avec la bombe se sont envolées « la croyance en un monde globalement bon et la joie de vivre », noircies de fumée et d’une « violence et d’une méchanceté sans nom », a déclaré le témoin. Ni l’amour, ni les plus beaux poèmes, pas même les couchers de soleil tant admirés et photographiés, les plus beaux ciels étoilés et clairs de lune n’effaceront cet « instant T » où l’horreur s’est invitée dans la vie de ce fringuant fonctionnaire, père de cinq enfants. « Le soir du 22 mars 2016, je suis en vie mais anéanti psychologiquement. »

Noué par la peur, l’homme est aveuglé par les fumées, assailli par les odeurs de brûlé, abasourdi par l’explosion métallique. « Les passagers se regardent hébétés, les portes condamnées ne s’ouvrent pas », décrit-il. « Je vois des visages anéantis, je me dis que je dois prendre le dessus pour moi et les autres. » Pour sa famille, aussi, qui a « décuplé (s)es forces ». Il parviendra à briser une fenêtre du wagon et à s’en extirper. Il prêtera ensuite son aide à d’autres victimes.

Hors de la voiture, c’est une « scène de guerre », « une boucherie » qui l’attend. « Plus rien ne bouge, le sol est extrêmement glissant. Dans ma fuite, je tombe sur deux corps. Je me retrouve couché sur eux, sur elles. » Plus tard, il s’en voudra de ce « contact dramatique avec la mort »: « je m’en veux d’avoir abîmé ces corps. Je les vois encore et toujours, j’aimerais m’excuser. Je suis entré dans leur intimité sans crier gare », exprime le quinquagénaire, désemparé. C’est pour ces victimes qu’il s’est juré de témoigner.

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« Le 22 mars a jeté à terre des corps, anéanti des pensées. Il m’a obligé à développer de la colère, à me montrer hypervigilant, à procéder au délit de sale gueule quand une personne s’approche », dénonce-t-il. « Il n’est pas possible que de tels actes aient été commis par des êtres humains sensibles et aimants », lance-t-il aux accusés. « Les victimes n’ont rien fait, elles n’avaient aucun lien avec les terroristes, rien à se reprocher. Ce sont des jeunes femmes, des jeunes hommes, des parents, des enfants, des frères, des soeurs balayées, décimées parce qu’elles passaient par là, un beau matin du 22 mars 2016. »

« Messieurs les accusés, certes vous être présumés innocents mais pourquoi? Pourquoi tant de mal et de haine? », a interrogé celui qui souligne sa chance d’avoir pu se relever malgré le traumatisme. « Ces actes m’ont touché en plein coeur, volé quelques années de ma vie mais n’ont volé ni mon âme, ni mon sourire, ni la chaleur de mon coeur, ni la volonté de faire le bien. Vous n’aurez pas ma haine. Votre salut dépendra de votre volonté de vous amender et de progresser. Je vous le souhaite ardemment », a-t-il conclu avant de se lever, frissonnant mais souriant. Au sortir de la salle d’audience, d’autres victimes viennent l’entourer. D’autres sourires fleurissent.