Belgique

Pour les avocats d’Abdeslam et Abrini, aucune peine ne peut leur être infligée: « Ce n’est pas comme les Daltons qui prennent 4000 ans de prison »

Le parquet réclame le maximum au procès des attentats de Bruxelles

L’objectif de la défense est de faire appliquer l’article 62 du code pénal qui stipule qu’en cas de concours de crimes (plusieurs infractions commises avant que l’une d’entre elle ne soit jugée) la peine la plus lourde s’applique. Or, selon Mes Paci et Bouchat pour Salah Abdeslam et Mes Eskenazi et Pinilla pour Mohamed Abrini, les peines les plus lourdes sont celles infligées lors du procès des attentats à Paris.

« En Belgique, contrairement aux États-Unis, on additionne pas indéfiniment les peines. (…) Ce n’est pas comme les Daltons dans la BD bien connue, où ils prennent 4.000 ans de prison », a commencé Me Delphine Paci. « On est un État de droit qui a pris la mesure de ce que sont vraiment les condamnations pénales. » Salah Abdeslam a déjà été condamné à la perpétuité incompressible en France. « Tout symbole qu’il est, il n’a en réalité, comme tous les autres êtres humains, qu’une seule vie. Deux perpétuités ça a quelque chose d’absurde », en plus d’être illégal, a-t-elle ajouté.

Le ministère public avait requis la veille la réclusion à perpétuité pour les six hommes reconnus coupables d’assassinats et tentatives d’assassinat dans un contexte terroriste. Dans son argumentaire, il avait évoqué un « concours idéal d’infraction » (toutes les infractions ont été commises dans la même idée, avec le même motif) pour les attentats à Paris et à Bruxelles ainsi que pour la fusillade de la rue du Dries. Selon lui, dans ce cas, le code pénal stipule que le juge ne doit pas tenir compte des condamnations prononcées à l’étranger.

Salah Abdeslam: « Mon avenir, ma réinsertion, c’est en Belgique. Me renvoyer en France, c’est la mort »

Mais la défense de Salah Abdeslam pointe deux problèmes dans l’argumentaire de l’accusation. « On vous dit qu’il s’agit d’un fait pénal unique et qu’on peut donc prononcer deux peines mais cela le place dans une situation moins favorable que s’il n’y avait pas d’unité d’intention et crée donc une discrimination », a expliqué Me Paci. De plus, selon l’avocate, demander deux peines pour un fait pénal unique revient à bafouer le principe de « non bis in idem » (on ne peut pas être condamné deux fois pour les mêmes faits).

Les trois derniers procès (Paris, la fusillade de la rue du Dries et les attentats à Bruxelles), « c’est un choix des parquets », a redit Me Paci. « Pour Paris, les trois quarts des actes matériels retenus ont été commis en Belgique, pour la rue du Dries : on est en plein dans notre période infractionnelle,… S’il y avait eu qu’un seul procès, il n’y aurait eu qu’une seule peine », a-t-elle rappelé.

« Le parquet vous demande d’écarter l’élément juridique en utilisant des arguments démagogiques », a poursuivi la pénaliste. « Dire que les victimes de Bruxelles valent moins que celles de Paris si vous ne prononcez pas de peine, ce n’est pas digne d’un débat d’assises. Salah Abdeslam a bien été reconnu coupable. »

La femme de loi s’est ensuite attachée à démontrer pourquoi la peine infligée en France était quoiqu’il arrive plus lourde que celle qui pourrait être infligée en Belgique. « On ne vient pas demander la pitié, on vient demander l’application de la loi », a assené Me Paci en conclusion, avant que la défense de Mohamed Abrini ne s’aligne sur son argumentaire.

Au-delà des arguments techniques et juridiques semblables à ceux avancés par la défense de Salah Abdeslam, Mes Eskenazi et Pinilla ont eux aussi accusé le parquet d’user d’arguments démagogiques. « Le parquet nous a accusé de hiérarchiser les morts », a regretté Me Pinilla.

« C’est mal comprendre la fonction de juger que d’estimer que la sanction est ‘la cerise sur le gâteau' », a dénoncé Me Eskenazi. « Ils ont été déclarés coupables. (…) La déclaration de culpabilité rétablit les victimes dans leur droit, c’est pour ça que lors du débat sur les peines, elles ne sont pas présentes », a-t-il rappelé.

« La fonction de la peine, c’est de réaffirmer le respect de l’État de droit et de la démocratie. Et bien le respect de la démocratie ça commence par le respect du droit », a conclu Me Pinilla.

De son côté le parquet a assuré que les demandes de la défense n’étaient « pas immorales, mais erronées en droit ». Pour la procureure Paule Somers, la cour n’est pas compétente pour trancher cette question et renvoie vers le collège. « L’intention délictueuse est bien une question de fait (et non une question juridique, NDLR) qu’il revient au collège d’examiner », a-t-elle précisé. « J’ai l’impression que la défense pose mal la question pour faire croire que sa réponse est la bonne », a ajouté la magistrate.

Les procureurs ont ensuite réaffirmé leurs arguments développés la veille lors de leur réquisitoire, à savoir qu’il s’agit dans ce cas d’un concours idéal d’infraction et que les décisions de justice étrangère ne doivent donc pas être prises en compte. Ils ont également affirmé que le calcul de la peine la plus lourde était biaisé car Salah Abdeslam a demandé à purger sa peine en Belgique et que Mohamed Abrini y sera également emprisonné. Dans ce cas la période de sûreté ne s’appliquera pas, car elle n’existait pas en Belgique au moment des faits et n’est pas rétroactive.

En fin de débat, la parole a été donnée aux accusés concernés, seul Salah Abdeslam a souhaité s’exprimer. « Je vous demande de ne pas écouter le parquet, vous êtes compétente madame, vous pouvez faire valoir nos droits », a-t-il lancé à la présidente de la cour, Laurence Massart.