Belgique

Mon employeur a modifié mes responsabilités, sans mon accord. Je pense qu’il veut me pousser vers la sortie sans me licencier

L’employeur peut, au nom de son “droit de modification”, apporter des changements aux tâches et missions du travailleur. Plus le travailleur est hiérarchiquement élevé, plus il devra se montrer souple par rapport à ces modifications.

Tout n’est cependant pas permis au nom de ce droit de modification. L’employeur et le travailleur sont liés par un contrat de travail soumis au principe de la convention-loi : ce que les parties ont convenu les lie et ne peut être défait que moyennant un nouvel accord des parties.

Dans un contrat, chaque mot compte

Il y a donc une tension entre le droit de modification de l’employeur et l’obligation de respecter la convention des parties. .

Le travailleur ne pourra se plaindre de la situation que si l’employeur a excédé son droit de modification, ce qui sera le cas s’il modifie sans l’accord du travailleur et de façon importante un élément essentiel du contrat de travail. Chaque mot compte.

À noter : les parties peuvent décider dans le contrat de travail que tel élément en principe essentiel (par ex. le lieu ou l’horaire de travail) ne l’est pas pour elles. Dans ce cas, l’employeur peut le modifier sans l’accord du travailleur.

Quelles sont les décisions que l’employeur ne pourrait imposer au travailleur ?

Par exemple : une rétrogradation, une diminution de salaire ou une réduction de l’équipe dirigée par le travailleur. De même, la modification du lieu de travail de plusieurs dizaines de kilomètres, sans compensation adéquate et sans justification raisonnable, peut être considérée comme illégale. Sauf si les parties avaient précisé dans leur contrat que le lieu de travail était un élément accessoire.

Que peut faire le travailleur si la modification imposée est illicite ?

Le travailleur devrait, en premier lieu, ouvrir le dialogue avec son employeur et, si besoin, lui envoyer une lettre de mise en demeure sans tarder pour lui demander que ses conditions de travail soient respectées.

Si l’employeur persiste ou ignore la demande, les quatre principales options du travailleur sont les suivantes.

Le travailleur peut s'adresser au Président du Tribunal du travail.
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La procédure en référé devant le Président du Tribunal du travail

Le travailleur peut s’adresser au Président du Tribunal du travail pour obtenir, au terme d’une procédure rapide (dite “en référé”), que le Président ordonne le maintien des conditions de travail. Ceci peut quand même prendre quelques semaines.

Cette option est actionnée si le travailleur souhaite s’opposer à la modification imposée mais quand même poursuivre la collaboration. Le travailleur doit alors agir rapidement car une trop longue inaction de sa part peut être considérée comme une acceptation de la modification souhaitée par l’employeur. Or, si la modification est acceptée, alors elle est légale.

L’acte équipollent à rupture ou le licenciement implicite

Cette expression étrange consiste pour le travailleur à considérer qu’en modifiant de façon importante un élément essentiel du contrat de travail, l’employeur a posé un acte qui est équivalent (”équipollent” suivant l’expression consacrée) à une rupture de contrat. L’employeur aurait donc procédé à son licenciement implicite en ne respectant pas le contrat.

Cette prise de position est risquée.

En effet, le travailleur doit alors cesser immédiatement de travailleur (puisqu’il s’estime licencié) et exiger le paiement d’une indemnité de rupture, le plus souvent en s’adressant au tribunal puisque l’employeur ne partagera pas son point de vue. Cependant, si le tribunal considère ensuite que la modification litigieuse était légale, le travailleur sera alors considéré comme ayant démissionné sans préavis. Conséquence : c’est lui qui sera condamné à payer une indemnité de rupture à son employeur.

Le travailleur ne doit donc invoquer l’acte équipollent à rupture que dans le cas de modifications caractérisées d’un élément essentiel du contrat imposées par l’employeur. Une fois encore, le travailleur devra agir rapidement pour ne pas être considéré comme ayant accepté cette modification.

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La résolution judiciaire du contrat

Le travailleur peut aussi demander au tribunal qu’il prononce lui-même la fin (la “résolution”) du contrat. Il doit alors prouver que la modification illégale est une faute à ce point grave que le juge doit rompre le contrat aux torts de l’employeur. Ce qui est particulier, dans cette option, c’est que le travailleur poursuit la collaboration pendant toute la procédure qui peut durer plusieurs années.

Si le tribunal prononce la rupture du contrat, l’employeur est condamné au paiement de dommages et intérêts, d’un montant souvent égal à l’indemnité de rupture qui aurait été due en cas de licenciement.

En revanche, si le tribunal ne suit pas l’argumentation du travailleur, le contrat se poursuit. Le travailleur n’a alors rien “perdu” (sauf les frais de défense et une éventuelle indemnité de procédure), ce qui rend cette option moins risquée que celle de l’acte équipollent à rupture.

Enfin, une demande en résolution judiciaire provoque le plus souvent une discussion entre les parties, menant à un accord amiable sur la poursuite du contrat ou sur la fin de la collaboration.

La conciliation ou la médiation

Même si ces approches sont encore peu développées en pratique, le travailleur peut également inviter l’employeur à essayer de régler la situation par des modes alternatifs de règlement des conflits comme la conciliation ou la médiation.

Si le travailleur introduit une procédure judiciaire (cf. ci-dessus), il peut demander au juge qu’il invite les parties à une réunion, qui se tient dans le bureau du juge, et au cours de laquelle le juge examine avec les parties si un accord amiable peut être dégagé.

Le travailleur peut aussi proposer à l’employeur une médiation ou demander au juge qu’il impose à l’employeur de tenter une médiation. Si le juge estime cette demande pertinente, il peut imposer aux parties de rencontrer un médiateur qu’elles auront choisi ou que le juge aura désigné. En dehors des tribunaux et avec l’aide du médiateur, les parties tentent alors de parvenir à un accord amiable. L’employeur qui estimerait que la médiation est vouée à l’échec (par ex. car les prétentions du travailleur sont tout à fait irréalistes) peut indiquer, dès la première réunion avec le médiateur, qu’il ne souhaite pas poursuivre la médiation. En pratique, cependant, une médiation entamée, même à reculons par l’une des parties, débouche souvent sur un accord.

Qui sont Anne-Valérie Michaux et Alice Van Buylaere, les auteures de cette chronique ?

Anne-Valérie Michaux (du cabinet Reliance) est avocate depuis 20 ans au barreau de Bruxelles. Elle y pratique exclusivement les matières liées aux ressources humaines.

Alice Van Buylaere (du cabinet Reliance) est avocate-stagiaire au barreau de Bruxelles.

Le titre initial de la chronique est : « Mon employeur a modifié mes responsabilités et missions, sans mon accord. Je pense qu’il veut me pousser vers la sortie sans me licencier. Comment réagir, me protéger ? »

Les avocates Anne-Valérie Michaux et Alice Van Buylaere
Les avocates Anne-Valérie Michaux et Alice Van Buylaere ©DR

Droit de savoir

Cette série est un partenariat entre La Libre et l’Ordre français du barreau de Bruxelles.

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