Belgique

« Le CD&V a une attitude de marchand de tapis sur l’avortement qui est totalement indigne”

Un comité scientifique mandaté par la Vivaldi (la majorité gouvernementale) préconise d’étendre le délai légal pour un avortement de 12 à 18 semaines de grossesse. Vous y êtes favorable. Mais croyez-vous qu’un vote en ce sens pourra intervenir avant la fin de la législature, malgré les réticences du CD&V ?

Je l’espère, mais je suis sceptique parce qu’on est confronté au péché originel de la Vivaldi, à savoir d’avoir donné un droit de veto au CD&V sur cette question.

La Vivaldi ne se divise pas (encore) sur l’avortement

Le CD&V a tout de même fait un geste en proposant d’allonger le délai à 14 semaines.

Le CD&V reste dans cette logique de marchandage. Est-ce qu’on fait 14, 16, 18 semaines ? Comme si on marchandait le prix d’un tapis. C’est une attitude totalement indigne. Le CD&V sait que si sa proposition n’est pas acceptée, la proposition qui vise à allonger le délai à 18 semaines ne sera jamais votée.

Selon vous, pour le CD&V, c’est à prendre ou à laisser ?

Oui, ils l’ont dit. C’est leur ligne rouge. Le CD&V est dans une stratégie qui vise à cadenasser le débat, à forcer ses partenaires à accepter sa proposition, même si elle ne répond pas à la réalité de ces femmes qui, soit, doivent avorter à l’étranger si elles en ont les moyens (en cas de dépassement du délai de 12 semaines, NdlR), soit, doivent avorter dans la clandestinité.

Les évêques de Belgique s’opposent à la révision de la loi sur l’avortement. Selon eux, “la protection de la vie à naître est de la plus haute importance”. Qu’en pensez-vous ?

Les évêques de Belgique s’opposent à la révision de la loi sur l’avortement: « La protection de la vie à naître est de la plus haute importance »

Je pense qu’ils n’ont pas à s’immiscer dans des débats comme ceux-là qui ne doivent plus être vus comme des débats éthiques, mais comme des questions de santé publique. D’ailleurs, les experts commencent leur rapport en disant que l’avortement doit être un acte médical.

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Ce qui pose problème aux évêques de Belgique, ce n’est pas l’extension de la loi, c’est le droit à l’avortement en tant que tel.

Les experts disent aussi que les questions éthiques restent très prégnantes.

C’est une question sensible, mais je rappelle que la loi relative à l’avortement n’impose rien à personne. Une clause de conscience est prévue pour les médecins. L’enjeu ici, c’est d’offrir un cadre légal qui permette aux femmes d’avorter dans de bonnes conditions parce qu’une femme qui veut avorter, elle le fera de toute façon. Le rôle du législateur est de répondre aux besoins vitaux de ces femmes. Et puis, on ne doit pas se laisser piéger par l’argumentaire des évêques. Ils ont toujours été contre l’avortement. Ce qui leur pose problème, ce n’est pas l’extension de la loi, c’est le droit à l’avortement en tant que tel. Le Centre d’action laïque a rappelé dans un communiqué que, pour le pape François, avorter, c’est comme recourir à un tueur à gage… On voit bien la conception de l’Église catholique, qui me semble très éloignée de ce que plaident des catholiques progressistes comme le Mouvement ouvrier chrétien ou les experts du comité scientifique, dont certains sont issus d’universités catholiques (UCLouvain et KULeuven). On doit pouvoir suivre les experts et la science plutôt que des positions idéologiques héritées du passé et qui ont été réglées il y a trente ans.

Le débat a été réglé jusqu’à 12 semaines, pas jusqu’à 18 semaines. Il est logique de rediscuter des questions éthiques si l’on souhaite allonger le délai, non ?

Non, je ne pense pas. Ce débat éthique est censé avoir été réglé. Le législateur a trouvé un équilibre en 1990 entre les positions des socialistes, des libéraux et des partis chrétiens. C’était un compromis, donc déjà un marchandage. Aujourd’hui, on ne peut plus s’inscrire dans cette logique de marchandage parce que la science nous a apporté de nouveaux savoirs, et parce que nous avons le recul nécessaire sur la loi actuelle. On sait où cette loi présente des difficultés pour les femmes. On est dans un momentum historique qui doit nous obliger à avancer.