Belgique

Charles Michel et Didier Reynders, des destins croisés dignes d’une série Netflix

Dans les heures qui suivent ce drame, Louis Michel, qui vivait jusque-là dans l’ombre du Liégeois, prend très rapidement la main sur le PRL, l’ancêtre du MR. Didier Reynders, héritier politique de Jean Gol, très apprécié de ce dernier, aurait pu prendre sa succession. Mais il était comme tétanisé par le chagrin et la soudaineté des évènements. De cette OPA, un antagonisme historique a émergé entre le clan Michel et le clan Reynders. Il s’égrène depuis près de trente ans, en une succession de guerres intestines et de réconciliations intéressées.

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Durant les premières années de l’ère Louis Michel, cette animosité se fait discrète. C’est l’heure du libéralisme social et des majorités “arc-en-ciel” nouées en 1999 à tous les niveaux de pouvoir avec les socialistes et les écolos. Louis Michel devient chef de file du MR au fédéral, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères. Didier Reynders obtient le prestigieux et très sensible portefeuille des Finances. Au même moment, Charles Michel, le fils de Louis, fait ses armes à Namur. Fin 2000, à 24 ans, il devient ministre wallon des Affaires intérieures et de la Fonction publique. Le gentil Jean-Marie Séverin, son prédécesseur, avait dû lui dégager la voie…

En 2000, Charles Michel débarque au gouvernement wallon. Jean-Claude Van Cauwenberghe (PS) ne s'attendait pas à de telles difficultés avec le jeune libéral.
En 2000, Charles Michel (tout à droite sur la photo) débarque au gouvernement wallon. Jean-Claude Van Cauwenberghe (PS) était alors ministre-Président de l’exécutif régional. ©D.R.

L’heure de Didier Reynders

En 2004, les élections viennent bouleverser ce précaire équilibre libéral. S’il a pu se maintenir au pouvoir au fédéral, le MR est balayé dans les entités fédérées. Louis Michel quitte la politique belge pour la Commission européenne, une fin de carrière dorée. L’heure de Didier Reynders est advenue. Il reprend les rênes du parti près de 10 ans après la mort de son mentor et cumule le titre de vice-Premier et de président du MR.

Face à cette centralisation des pouvoirs, Charles Michel, accusé d’avoir poussé à bout l’ancien partenaire socialiste à la Région wallonne, semble en mauvaise posture. “Charles, sa carrière est derrière lui”, aurait ironisé Didier Reynders à cette époque… Il connaîtra une traversée du désert de trois années avant de revenir aux affaires en 2007 comme modeste ministre fédéral de la Coopération au développement.

De gauche à droite, Louis Michel, Commissaire européen en charge du Développement et de l'Aide humanitaire et Didier Reynders, vice-Premier Ministre, ministre des Finances et Président du Mouvement Réformateur.
En 2007. Louis Michel est alors Commissaire européen en charge du Développement et de l’Aide humanitaire et Didier Reynders, vice-Premier Ministre, ministre des Finances et Président du Mouvement Réformateur.

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La contestation : le groupe Renaissance

Deux ans plus tard, la colère gronde au sein du MR, la roue libérale tourne en faveur des Michel. Des contestataires organisent à bas bruit la révolte. Ils attendent un signal du clan Michel pour passer à l’attaque. En septembre, sur la RTBF, Louis Michel décoche une première flèche dans la cible reyndersienne. “Ici et maintenant, on ne peut pas dire que Didier Reynders soit un atout pour le MR”, sort l’ancien patron des libéraux.

Dans un hôtel bruxellois nommé “Renaissance”, les frondeurs se retrouvent discrètement. Ces libéraux ont un point commun : ils estiment que Didier Reynders exerce son pouvoir présidentiel de manière trop exclusive. Ils pensent que Didier Reynders aurait dû remettre son mandat présidentiel en jeu après l’échec aux élections régionales de 2009. Humainement, ses traits d’esprit mordants font les délices des journalistes politiques mais Didier Reynders a parfois blessé des élus. Certaines cicatrices ne s’effacent pas facilement…

Ce vent de contestation pourrira les rapports internes au sein du parti pendant plus d’une année. Après un nouveau recul du MR aux élections fédérales de 2010, Didier Reynders renoncera à la présidence libérale. Une victoire très serrée (55 %-45 %) lors d’un scrutin interne face à Daniel Bacquelaine donnera les clefs du parti à Charles Michel en janvier 2011. Depuis cette position stratégique, ce dernier conquerra, en 2014, le poste de Premier ministre.

Lieux de négociations : le Renaissance, théâtre du putsch contre Reynders

Charles Michel et Daniel Bacquelaine
Charles Michel et Daniel Bacquelaine ©Belga

L’inversion des rapports de force

Lors de la constitution de la majorité “suédoise” (2014-2018), Charles Michel impose son statut de numéro un libéral et s’empare du “16”. Didier Reynders, qui se serait bien vu Premier ministre, doit se contenter du poste de vice-Premier. Il se montre toutefois loyal à Charles Michel. Le nombre important de postes ministériels qu’obtient le MR dans le gouvernement fédéral contribue, il est vrai, à apaiser les tensions intralibérales. Cette séquence marque une inversion définitive des rapports de force au sein du MR : la dynastie Michel l’a emporté sur la dynastie Gol-Reynders.

Par ailleurs, Didier Reynders, qui est aussi le chef de la diplomatie belge depuis 2011, est souvent absent car absorbé par son lourd agenda international. Il a également besoin de l’appui de son vieux rival Charles Michel. En 2014, le poste de Commissaire européen lui est passé de peu sous le nez mais ces mandats seront remis en jeu en 2019. Didier Reynders se montre patient et évite d’enfoncer Charles Michel en tant que capitaine d’une coalition fédérale difficile associant le MR comme seule formation francophone à la N-VA.

Par un jeu de miroirs, les itinéraires de Charles Michel et de Didier Reynders vont à nouveau suivre une même direction européenne. En 2019, coup sur coup, les deux hommes qui se sont toujours opposés s’envolent pour des cieux supranationaux. Charles Michel devient président du Conseil européen tandis que Didier Reynders obtient, enfin, le job de Commissaire dont il rêvait.

La candidature de Didier Reynders comme commissaire européen est acceptée: revivez son audition

2024, année électorale. Leurs destins se croisent à nouveau. Charles Michel aura attendu le dernier moment pour annoncer qu’il prenait la tête de la liste européenne du MR en vue du méga-scrutin de juin. Il impose son choix à Didier Reynders, qui était lui aussi intéressé par cette place. Ce dernier doit, à nouveau, digérer un affront. À nouveau, il doit laisser Charles passer devant lui. Et il ne peut trop ouvertement s’en plaindre. Didier Reynders a besoin de l’appui de son parti – et de son meilleur ennemi – pour organiser au mieux la suite de sa carrière : il brigue désormais le poste de secrétaire général du Conseil de l’Europe.

Belgium, Brussels, 2023/12/04. EU Commissioner for Justice Didier Reynders arrives at an European Justice Home Affairs Interior Ministers Council at the EU Council headquarters. Photograph by Valeria Mongelli / Hans Lucas. Belgique, Bruxelles, 2023/12/04. Le commissaire europen la Justice Didier Reynders arrive a un Conseil des ministres europens de la Justice, de l Intrieur et de l Intrieur au sige du Conseil de l UE. Photographie de Valeria Mongelli / Hans Lucas. (Photo by Valeria Mongelli / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)
Didier Reynders, Commissaire européen, lors du récent sommet européen début décembre. ©Valeria Mongelli / HANS LUCAS