Belgique

Axelle Red: « Le clivage français-néerlandais à Bruxelles est un faux problème »

C’est au “Refuge”, café branché à deux pas de la Place Saint Job à Uccle, qu’elle nous a fixé rendez-vous. Je lui demande si elle préfère s’exprimer en néerlandais ou en français. Elle hésite un moment, puis opte pour un mélange des deux, à l’image de Bruxelles, la ville polyglotte et multiculturelle qu’elle aime et qui lui ressemble. Son débit est rapide, son parler inclut des bouts de phrases en anglais. Alors qu’elle fête ses trente ans de carrière, elle ne tient pas en place et enchaîne les plateaux de télé et les tournées.

Chaleureuse et primesautière, Axelle Red parle volontiers de “ses quatre vies” à Bruxelles, la sienne et celles de ses trois filles Janelle, Gloria et Billie, étudiantes de 18, 20 et 24 ans. Y a-t-il quelque chose qui a incité Fabienne Demal, son nom pour l’état civil, à quitter Hasselt, la ville où elle est née en 1968 ? “Je suis arrivée à Bruxelles pour suivre une formation artistique, je rêvais de faire de la musique et je voulais me former aux États-Unis.” Polyglotte, elle saute d’une langue à l’autre. Son néerlandais, sans jeu de mots, est chantant… à l’image du patois de Hasselt. C’est dire la nostalgie qu’elle ressent en parlant de son enfance.

Son phrasé est impeccable. En même temps, elle avoue un fort penchant pour le dialecte limbourgeois. “Je parle le patois, le vrai, avec mon… chien”, s’amuse Axelle Red qui adore les bêtes. Encore une confidence : “Je vis à Uccle dans une ferme entourée d’animaux, des vaches, des poneys, des moutons, des poules… Ils m’apprennent à vivre, je les observe le matin quand ils me disent : bonjour ! Quelquefois, ils me donnent même des réponses à mes questions existentielles…”

”La fibre flamande est en moi”

Bruxelles est la ville d’élection d’Axelle Red. Dans les années nonante, l’artiste y décrocha une maîtrise en droit à la VUB, mettant ses pas dans ceux de son père, avocat et homme engagé dans la politique locale hasseltoise. Sa mère épaulait son époux dans diverses tâches. On parlait le néerlandais chez les Demal. La chanteuse n’est pas peu fière de ses origines flamandes : “Je chante en français mais je suis Belge et Flamande”, précise-t-elle. “Dès mon arrivée à Bruxelles, j’ai revendiqué cette identité mais je ne suis pas du tout flamingante.” La culture néerlandophone, germanophone, anglophone et francophone a bercé son enfance et son adolescence. “À la maison, nous regardions les chaînes allemandes et néerlandaises, comme l’émission Avro’s TopPop. À la mer, chez mon grand-père, nous regardions la BBC… En réalité, je suis la somme des influences culturelles que j’ai vécues. Quand je parle de mes origines, je dis que je suis à la fois hasseltoise, bruxelloise et citoyenne du monde”, précise la vedette.

Et la Belgique dans tout ça ? “La fibre flamande est en moi mais je revendique aussi une certaine belgitude. J’ai énormément d’amis, flamands et francophones. J’aime les chorégraphies d’Anne-Teresa De Keersmaeker. J’apprécie l’école de mode avant-gardiste d’Anvers. En France, on m’a demandé un jour : pourquoi aimez-vous tant l’avant-garde artistique en Belgique ? Je dis alors que la Flandre et Bruxelles sont traversées par un fort courant multiculturel qui nous pousse à être ouverts à tous les vents de l’esprit. Nous, Belges, apprécions ce qui vient de l’extérieur, nous intégrons cela dans nos créations. Cela fonctionne à condition de ne pas avoir d’œillères, de ne pas se replier sur ses certitudes. Cette fibre artistique, je l’ai transmise à nos filles. L’aînée, Janelle, a réalisé un travail de fin d’études sur le casse-tête environnemental à Bruxelles.”

Koen Broucke, ce Flamand de Wallonie: “De plus en plus de Flamands découvrent les trésors wallons, tombent sous le charme et achètent une maison”

”Ce melting-pot… typiquement bruxellois”

La culture flamande est pour Axelle Red un chemin qui garantit la liberté d’expression. En même temps, s’imprégner de la culture francophone à Bruxelles est naturel pour elle. Les cultures francophone et néerlandophone s’épanouissent côte à côte dans la capitale. Ses filles ont été scolarisées au lycée français à Uccle. “On parle souvent des Flamands de Bruxelles qui fréquentent la rue Dansaert, un lieu très inclusif. Notre plus jeune fille, Billie, va souvent au café Kafka, très à la mode chez les néerlandophones dans ce quartier où se côtoient énormément de nationalités différentes. De gens de tous âges y parlent plusieurs langues. Un vrai melting-pot, c’est sensationnel, c’est cela Bruxelles ! Vous savez, rue Dansaert, on entend parler les artistes flamands en français, en néerlandais, en arabe, un savant mélange, on passe d’une langue à l’autre comme si de rien n’était. On se sent vraiment libre. Le clivage français-néerlandais qui, parfois, nous est imposé à Bruxelles, est un faux problème. Il ne se perçoit pas dans le secteur culturel.”

La chanteuse, qui est aussi ambassadrice de l’Unicef, adore la vie de quartier à Uccle et Linkebeek. Avec Filip, son mari, manager et le père de ses trois filles, elle habite aujourd’hui dans une ferme avec potager à Uccle, limite Linkebeek. C’est la vie à la campagne mais pas loin du centre de Bruxelles. C’est son refuge. Les champs autour sont situés sur la commune de Linkebeek, en Flandre donc. “Si un jour le pays se divise, il me faudra un passeport pour me rendre de ma maison à mon jardin, s’amuse la chanteuse. Les petites épiceries sont souvent tenues par des Flamands. À la foire de Linkebeek, j’ai demandé un jour : ‘Vous avez des croustillons ?’ ‘Zeg maar smoutebollen’, m’a répondu la vendeuse ! Amusant, non ?”

Faire plus pour retenir les Flamands

”Bruxelles est une ville fantastique mais il y a trop de niveaux de pouvoir qui ont des objectifs à court terme. Les autorités régionales, les dix-neuf communes à Bruxelles, cela ne marche pas, ce n’est pas efficace”, regrette Axelle Red qui affirme que les bonnes idées, bien intentionnées, sont vite recalées par le système en place.

Beaucoup de Flamands habitant en Flandre estiment que Bruxelles est une ville sale où règne l’insécurité. Partage-t-elle cet avis ? “Cette question me fait penser à ce couple d’amis flamands qui habitent Bruxelles et aiment beaucoup leur ville. Et pourtant, ils ont décidé… de la quitter. Pour eux, ce n’était plus tenable d’y vivre : manque d’espace, insalubrité, insécurité… Il faut faire plus pour retenir les Flamands qui sont sur le point de quitter Bruxelles. Je pense qu’il faudrait davantage aider financièrement les personnes dans le besoin pour qu’elles puissent rester habiter dans la capitale. »

”Je ne vois pas de raisons de retourner en Flandre. On s’est toujours senti très bien ici”

”Une étoile, un destin”

Axelle Red affirme ne pas avoir peur de se promener dans certains quartiers de la capitale considérés comme dangereux. « J’aime beaucoup Molenbeek. Mes filles y ont suivi des cours de karaté pendant un temps. L’une d’elles me disait : ‘Ne faut-il pas avoir peur ici ?’ J’ai répondu : ‘Mais tu as ta tenue de karaté !’ ‘Oui, me répond-elle, mais je n’ai que la ceinture blanche !’ (Rires)”

C’est d’ailleurs avec optimisme qu’elle envisage l’avenir. « Je suis favorable à l’intégration des personnes issues de l’immigration. Il faut réfléchir au problème du décrochage scolaire chez les jeunes dans des quartiers difficiles comme à Molenbeek. J’ai participé à l’initiative ‘Une étoile, un Destin’ qui vise à lutter contre l’échec scolaire et à motiver les jeunes à s’investir dans leur éducation et dans la société. Dans une école à Molenbeek, j’ai parlé aux jeunes de la confiance. Je leur conseille de ne jamais porter de jugement sur autrui. Dans le même esprit, j’ai participé à un grand rassemblement de jeunes de diverses convictions religieuses ou philosophiques à la basilique de Koekelberg. J’ai abordé le thème de la lutte contre toute forme de discriminations. C’était touchant de voir ces jeunes enthousiastes, engagés, ils sont notre avenir. L’avenir de Bruxelles, c’est un bon mix social dans l’enseignement, toutes générations confondues.”