Suisse

Le trésor caché d’une ancienne star de la peinture

De 1962 à 1965, Luigi Pericle – ici avec son épouse – a vécu des années fastes, se traduisant notamment par la conduite d’une Ferrari qui avait appartenu à Rossellini et Bergman. @Museo comunale di arte moderna, Ascona

Lorsqu’ils ont acheté à Ascona, au Tessin, une maison abandonnée depuis plus de quinze ans, les époux Andrea et Greta Biasca-Caroni ont fait une découverte sensationnelle: plus de 4000 œuvres de la main de Luigi Pericle, un artiste italo-suisse aujourd’hui oublié, mais qui avait connu la gloire dans les années 1960.

Ce contenu a été publié le 09 avril 2023


minutes

Luigi Pericle, il maestro ritrovatoLien externe (Luigi Pericle, le maître retrouvé) publié par Nino Aragno Editore. Un ouvrage en italien et en anglais comprenant plusieurs contributions et édité par Andrea Biasca-Caroni, l’homme qui, avec sa femme Greta, a acheté la maison de Pericle et a fait l’incroyable découverte.

Mais reprenons notre histoire au début. Luigi Mascheroni, journaliste et auteur de l’une des contributions du livre, décrit ainsi Luigi Pericle: «peintre, écrivain et savant d’origine italienne, il est né par destin astral à Bâle en 1916, a grandi en âge et en sagesse au pied du Monte Verità à Ascona et est mort en août 2001 sans laisser d’héritiers au sens de personnes physiques, mais en nous léguant un patrimoine culturel exceptionnel en œuvres d’art et en pages écrites».

Plusieurs vies

Luigi Mascheroni aime dire que Pericle a eu trois à quatre vies. Dans la première – nous sommes au tournant des années 1940 et 1950 – il connaît le succès en tant qu’illustrateur. Une de ses créatures, Max la marmotte, lui apporte une notoriété internationale et une sécurité financière. Ce sont les années au cours desquelles il collabore en tant qu’illustrateur avec, entre autres, le Washington Post et le Herald Tribune.

Archivio Luigi Pericle

Sa deuxième vie commence avec son déménagement à la fin des années 1950 avec sa femme Orsolina Klainguti (peintre grisonne, épousée en 1947) à Ascona, au pied du Monte Verità, l’endroit idéal pour entamer une phase de renouveau. Luigi Mascheroni écrit qu’«il ne s’agit pas seulement un changement de domicile, mais d’une transformation de l’existence». Dans cette deuxième vie, Pericle passe du statut d’illustrateur à celui de peintre. En 1959, il abandonne l’art figuratif et s’oriente vers l’abstractionnisme informel, même si, comme le dit la critique d’art Bianca Cerrina Feroni (également auteur d’une contribution), «les œuvres de Pericle ne sont pas faciles à cataloguer».

Ce sont des années éblouissantes et brillantes pour Pericle. Toute sa vie publique est concentrée dans la courte, mais intense période qui va de 1962 à 1965. Il connaît un succès fulgurant à Londres, alors capitale mondiale de l’art, dans le «Swinging London des Beatles et des Rolling Stones, des minijupes de Mary Quant», comme le raconte le critique d’art Angelo Crespi dans sa contribution. Dans la capitale britannique, Pericle expose avec des artistes comme Antoni Tàpies, Jean Dubuffet, Sam Francis et Pablo Picasso. Quatre expositions sont organisées au cours de ces années, deux individuelles et deux collectives.

Puis, soudainement, en 1965, au terme d’une exposition itinérante à travers le Royaume-Uni, Pericle met fin à sa vie mondaine et se retire dans sa maison d’Ascona. Là, il continue à peindre et se consacre avec une passion croissante à l’étude de doctrines telles que la théosophie, la kabbale, les philosophies orientales, l’astrologie, l’alchimie… Et sa peinture suit ce chemin spirituel: son art devient une quête de la vérité.

Luigi Pericle meurt à Ascona en 2001 sans laisser d’héritiers directs. Sa maison passe dans le domaine public et pendant quinze longues années, elle est abandonnée à son sort, conservant un trésor qui attend d’être découvert. Et c’est ici que commencent notre histoire et la quatrième vie de Pericle.

La découverte d’un trésor

La maison Pericle à Ascona se trouve légèrement en aval du jardin de l’hôtel Ascona, qui appartient à Greta et Andrea Biasca-Caroni. Le couple veut acheter la maison et en faire son foyer. Cela prendra des années; quinze pour être exact.

«Je connaissais Luigi Pericle, raconte Andrea Biasca-Caroni. C’était un de mes voisins, mais je ne connaissais pas l’artiste Pericle». Dans cette villa abandonnée, 4000 œuvres sont retrouvées. Mais aussi une bibliothèque de plus de 1500 volumes allant de l’astrologie à la théosophie, en passant par la littérature, l’égyptologie et les philosophies orientales.

Les autorités communales, propriétaires de la villa jusqu’à sa vente au couple, connaissait bien sûr l’existence de ces œuvres. Mais des expertises avaient montré que celles-ci n’avaient pas de valeur. Les autorités ont donc vendu la villa avec ton son contenu et à la condition que les nouveaux propriétaires se chargent de la débarrasser.

Greta et Andrea Biasca-Caroni réalisent peu à peu qu’ils ont découvert un véritable maître. C’est ainsi que commence leur travail de redécouverte. L’objectif est de faire connaître au monde un grand artiste oublié (peut-être par la volonté de l’artiste lui-même).

Pour faire revivre l’artiste, on a d’abord créé les archives Luigi Pericle, puis on a organisé plusieurs expositions: une première à la Fondazione Querini StampaliaLien externe de Venise, puis au Museo d’arteLien externe (Masi) de Lugano et tout récemment encore à l’Estorick CollectionLien externe de Londres. Une exposition au titre emblématique: Luigi Pericle a rediscovery. Entre-temps, des livres ont également été publiés, le dernier en date étant justement Luigi Pericle, il maestro ritrovato.

Six ans après sa redécouverte, Luigi Pericle reste encore mystérieux à certains égards, mais il a été possible d’en apprendre davantage sur un artiste totalement inclassable qui n’était ni seulement un peintre ni seulement un penseur. «En regardant ses œuvres, écrit Bianca Cerrina Feroni, nous nous trouvons face à quelque chose de mystérieux, qui n’est pas immédiatement reconnaissable, mais qui n’est pas non plus complètement inconnu.»

Traduit de l’italien par Olivier Pauchard

Articles mentionnés

En conformité avec les normes du JTI

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative