France

Streaming : Clap de fin pour Salto, mais la France peut miser sur d’autres armes pour briller

« Merci à tous les abonnés Salto d’avoir partagé avec nous leur envie et leur enthousiasme pour une plateforme de streaming made in France. » Après deux ans et demi d’existence, le « Netflix à la française » n’est pas parvenu à retomber sur ses pattes après une pirouette pourtant notable : réussir à faire collaborer France Télévisions, TF1 et M6.

Après un lancement tonitruant le 2 octobre 2020, la plateforme de vidéo à la demande franco-française laisse ses quelque 800.000 abonnés sur écran noir tandis que les nouvelles souscriptions étaient déjà impossibles depuis la mi-février. Avec cette ultime pirouette, Salto voit s’envoler l’espoir français d’offrir au pays sa propre plateforme de vidéo à la demande sans pour autant faire pleurer dans les chaumières.

« Quand on vient challenger le monopole, les acteurs déjà installés depuis un certain temps qui ont une avance en termes d’image, d’abonnés, de gestions de catalogue, etc., c’est difficile de venir disrupter ce marché », assure pour 20 Minutes Séverine Barthes, maître de conférences à l’université Sorbonne Nouvelle et spécialiste des médias. Face aux quatre géants, Netflix, Amazon Prime Video, Apple TV+ et Disney +, la France est-elle résignée à squatter passivement les plateformes de streaming mondiales après cet échec ? Pas si sûr.

« Les mains attachées dans le dos »

La proposition de « télévision enrichie », un lieu unique où cohabitent replay télévisuel et offre exclusive des plus grands groupes de télé français n’aura pas survécu. Thomas Follin, le directeur général de Salto avait pourtant prévenu en octobre 2021 que « d’ici une dizaine d’années, Salto ne sera pas incontournable dans le monde, mais Salto sera incontournable pour tous les publics français ». Loupé.

« L’Autorité de la concurrence et les autorités de tutelles on fait courir Salto avec les mains attachées dans le dos », résume Séverine Barthes. Tout au long de sa courte existence, la plateforme a été freinée par des contraintes réglementaires propres à la France. Avec par exemple des quotas de programmes exclusifs vendus par les chaînes mères ou l’interdiction de promotion sur leurs chaînes linéaires.

Malgré des programmes diffusés en exclusivité sur Salto avant leur passage en télé, ils terminaient toujours par une diffusion gratuite sur les chaînes ou leurs sites de replay. Les 135 millions d’euros de budget et le catalogue de la plateforme n’auront pas suffi à attirer un nombre d’abonnés suffisant pour subsister. « Ils voulaient être au niveau de Netflix sans avoir les mêmes armes car Salto n’exploitait que le marché français », explique-t-elle encore. L’échec du projet de fusion entre M6 et TF1 aura été un coup de pied fatal pour la plateforme.

Un pari osé mais pas impossible

Pour autant, l’audiovisuel européen n’est pas condamné à mener des combats pot de terre contre le pot de fer des géants américains, estime Louis Wiart, professeur de communication à l’université Libre de Bruxelles et spécialiste de la socio-économie des plateformes culturelles. « Sur des situations spécifiques, on voit assez fréquemment des acteurs locaux tirer leur épingle du jeu sur des marchés nationaux », précise-t-il.

C’est le cas de Viaplay, une entreprise de vidéo à la demande créée en 2007 et dont le siège est basé à Stockholm. En 2020, elle occupait la deuxième position des services de streaming comptabilisant le plus d’abonnés en Suède mais aussi au Danemark et en Finlande. Un succès qui la positionne en concurrence directe avec Netflix sur ces marchés, selon l’Observatoire européen de l’audiovisuel. Même chose pour Voyo, une initiative roumaine similaire lancée en 2011 et occupant la seconde position en Roumanie et en Slovénie et la troisième en Croatie.

Ces deux plateformes ont bénéficié de plus de dix ans pour s’installer, contrairement à Salto, arrivé sur le tard. Séverine Barthes évoque un « mal français » qui laisse peu de temps aux choses pour s’installer. « Peut-être qu’en persévérant, cette initiative aurait pu s’installer mais en l’état, ils perdaient de l’argent. Cela prouve qu’il faut avoir des financiers derrière soi qui sont prêts à perdre de l’argent pour un gain qui n’arrivera peut-être jamais. »

Des plateformes « exportatrices »

Depuis plusieurs années, la production française a réussi à se faire une place dans le monde du streaming, sans attendre l’émergence puis l’effondrement de Salto. Netflix en tête, les services de streaming internationaux mettent en place ce que Louis Wiart appelle des stratégies de « glocalisation », contraction entre les marchés globaux et locaux. « Les plateformes s’adaptent aux marchés locaux mais produisent aussi localement pour exporter à l’échelle mondiale », détaille-t-il. Les productions françaises brillent à l’étranger grâce à la force de frappe de ces plateformes.

Ces stratégies ont été encouragées par la modification par l’Union européenne des directives SMA en 2018, imposant à ces entreprises un minimum de 30 % de productions européennes dans leur catalogue.

S’ils incluent et favorisent la production française, les géants du streaming sont aussi désormais en concurrence directe avec les acteurs locaux qui ne peuvent plus faire des productions francophones leur niche. Louis Wiart évoque un « effet collatéral » de la directive européenne.

« Nos programmes plaisent à l’étranger »

Avec ou sans Salto, l’audiovisuel français reste florissant. Notamment grâce à un cadre réglementaire très protecteur, obligeant les différents acteurs du secteur à investir dans la production française. Les plateformes étrangères deviennent alors des supports pour permettre à la France de rayonner au-delà de ses frontières, avance Séverine Barthes. « Est-ce plus important d’avoir une plateforme bleu-blanc-rouge comme Salto ou une production audiovisuelle forte qui fait qu’on a « Oussekine » sur Disney + ou « Lupin » sur Netflix », demande-t-elle.

Selon l’experte, la France devrait faire de sa faiblesse à n’avoir pas su prendre le grand train de la vidéo à la demande en marche une force, et tant pis s’il n’existe aucune plateforme bleu-blanc-rouge. « Nos programmes plaisent à l’étranger, il y a une vraie appétence pour contenus français qui offrent un point de vue différent, on a la chance d’avoir pu garder une industrie audiovisuelle forte et des savoir-faire valorisés à l’étranger… Profitons-en », conclut-elle.