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Primoz Roglic avant le Giro 2023: “Remco n’a déjà plus rien à prouver”

Primoz, on imagine que vous êtes, vous aussi, fin prêt pour le Giro.

”Oui, je me sens prêt. Ce défi s’annonce passionnant et sympa.”

Le Giro évoque-t-il en vous de bons souvenirs ? En 2019, vous l’aviez terminé à la troisième place. C’était votre premier podium dans un grand tour.

”Même si j’avais dû me contenter de la troisième place, je considérais ce résultat comme une victoire personnelle. À l’époque, je ne savais pas très bien quelle était ma valeur. Mon but était simplement de tirer le maximum de mes possibilités en donnant le meilleur de moi-même. Ces trois semaines en Italie m’ont un peu servi de déclic. Mon meilleur niveau n’était pas encore suffisant pour gagner un grand tour mais bien pour y jouer un rôle important.”

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C’est aussi au Giro que vous avez signé votre premier grand succès en gagnant un contre-la-montre à Chianti en 2016.

”Cela reste un excellent souvenir. Ce Giro avait également commencé par un chrono à Apeldoorn mais j’avais été devancé par Tom Dumoulin (NdlR : pour quelques centièmes de seconde). Du coup, c’était mon obligation de gagner le second contre-la-montre, non ? À ce moment, c’était la plus belle victoire de ma carrière et la découverte que j’étais un bon spécialiste du chrono.”

Quel regard jetez-vous sur les trois chronos de ce Giro-ci ? En Belgique, on s’attend à ce que Remco Evenepoel aille plus vite que vous. Pourtant, vous êtes champion olympique de la discipline.

”On verra bien. De toute façon, ce sera tout ou rien dès le premier jour de course. Cela rend ce Giro très intéressant.”

Durant de longues semaines, vous avez côtoyé Remco Evenepoel dans un hôtel de Tenerife puisque vous étiez tous les deux en stage au Teide.

”Oui, c’est vrai que nous y étions en même temps. Mais on ne s’est pas vus beaucoup. Je dirais une fois au petit-déjeuner et à peine autant le soir. Et on ne s’est pas croisé à l’entraînement. Vous pensez peut-être que nous avons cherché à nous affronter pour voir qui était le plus fort. Mais non ! Nous avons 21 jours pour le faire à partir de samedi.”

guillement

« Je me suis même demandé si je voulais continuer à être coureur. »

Quel souvenir gardez-vous de votre chute à Tomares lors de la Vuelta 2022 ?

”Je n’en garde rien de bon, je peux vous l’assurer. Plein de pensées négatives m’ont traversé l’esprit. Je me suis même demandé si je voulais continuer à être coureur. Mais une fois que j’ai commencé à récupérer, je me suis rassuré et j’ai eu les réponses à mes interrogations.”

Avez-vous vraiment songé à arrêter votre carrière après cette chute ?

”Disons que je me suis posé des questions. J’ai pris le temps qu’il fallait pour digérer et revenir dans le peloton. Mais ce ne fut pas simple. Après mon opération de l’épaule, je suis resté une très longue période sans pouvoir bouger mon bras. Aujourd’hui, je suis vraiment soulagé d’avoir retrouvé un usage tout à fait normal de mon épaule parce que, durant des semaines et des semaines, elle se déboîtait au moindre mouvement. Heureusement, je suis droitier et mon bras droit fonctionnait très bien. Dans le cas contraire, ma vie de tous les jours aurait été très compliquée. Dans l’ensemble, j’ai pu traverser assez facilement cette période d’inactivité.”

guillement

« La résilience ? C’est quelque chose que tu dois travailler. »

Dans cette épreuve, vous avez une fois de plus fait preuve de résilience. D’où vous vient-elle ?

”C’est quelque chose que tu dois travailler. J’essaie toujours de me rappeler qui je suis et d’où je viens. Avoir les bonnes personnes à côté de moi, c’est primordial aussi. J’ai une super famille, tout le monde est en bonne santé. Cela me permet de mettre tout le reste en perspective. Ma femme n’attache aucune importance au fait que je sois cycliste ou pas. Elle sait qui je suis, ce que je représente.”

Mais n’êtes-vous pas quand même un peu spécial, Primoz ?

”J’adore comme vous parlez de moi. Sans jugement, hein ! Je ne suis ni grand ni costaud. Je suis qui je suis, point. On voit que vous ne me connaissez pas. Donc, vous vous faites votre propre idée de moi. Je suis juste un gars normal. Mais si les gens veulent me voir autrement, ça ne me dérange pas.”

Vous avez beaucoup d’autodérision. Après votre chute au Tour 2021, on vous a vu servir des bières au bord de la route aux supporters slovènes…

”C’était marrant, non ? En faisant preuve d’humour, vous traversez plus facilement les moments très compliqués de votre vie. Je m’en souviendrai pendant ce Giro. Il s’annonce très difficile mais si je l’aborde avec légèreté, cela m’aidera à avancer au jour le jour.”

Pendant votre revalidation, vous avez posté sur Instagram une photo de vous avec le livre de l’alpiniste espagnol Kilian Jornet. Vous inspire-t-il particulièrement ?

”Je me tourne toujours vers des gens qui peuvent m’apprendre des choses. Que ce soit à travers les livres ou les rencontres. C’est un privilège pour moi de connaître de telles personnes. Ce livre était, en tout cas, très intéressant. Plus tard, je pourrai m’inspirer de Jornet. J’ai déjà dit à ma femme que j’aimerais escalader l’Everest après ma carrière. Ce qu’elle en pense ? Que je suis fou.”

guillement

« Je reste persuadé que je peux gagner le Tour. »

C’est vous qui avez demandé à la direction de Jumbo-Visma de prendre le départ du Giro cette année. Doit-on en conclure que vous avez fait une croix sur le Tour de France ?

”Non, pas du tout. Je reste persuadé que je peux gagner le Tour.”

Mais la Grande Boucle ne vous a jamais fait de cadeau ?

”Oui et non. Moi je ne suis pas aussi catégorique que vous.”

Croyez-vous au karma ? Le Tour vous doit-il quelque chose ?

”Si tel est le cas, j’attends toujours qu’il se manifeste…”

Que doit-il se passer pour que vous gagniez le Tour ?

”Rien de spécial. Le plus important est que je puisse en prendre le départ.”

Justement, pourquoi avoir opté pour le Giro cette fois-ci ?

”Parce que je ne l’ai jamais gagné non plus. Remporter les grands tours constitue mes plus beaux défis.”

Maintenant, vous devez faire face à une exceptionnelle jeune génération de coureurs…

”Oui, c’est vrai. Remco fait partie d’une génération de super talents. C’est dommage pour nous, les vieux, mais les jeunes sont de plus en plus forts. Ils nous poussent dans le dos. J’essaie de me dire que nous sommes comme le vin : meilleurs avec l’âge.”

Il y a dix ans, à vos débuts, vous étiez épaté par les coureurs qui roulaient trois semaines d’affilée.

”Oui, j’avais dit ça durant la Settimana Coppi e Bartali, ma première course à étapes. Après deux jours, je ne pouvais plus monter les escaliers de l’hôtel. J’étais mort. Je me souviens que je m’accrochais péniblement au peloton. J’avais 24 ans. Depuis, j’ai beaucoup appris et je me suis énormément entraîné.”

Et vous avez gagné beaucoup de courses.

”Chaque bon résultat me conforte dans l’idée que je peux peut-être réussir une carrière sympa. Si tu regardes en arrière, c’est difficile de croire que j’ai réussi un tel parcours. Aujourd’hui, je peux juste être très content de ce que j’ai réalisé.”

Remco gagne, lui aussi, pas mal et il sera votre principal adversaire ici.

”J’essaie de ne pas me focaliser sur un seul rival. Je me concentre sur ce que j’ai à faire. Mais Remco n’a déjà plus rien à prouver.”