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L’affaire Lukaku, tournant majeur de dix années inefficaces de lutte contre le racisme en Italie

Trois semaines après le match aller, on ne se souvient que très peu du penalty égalisateur inscrit par le Diable rouge. La seule image restée en mémoire est celle de sa célébration, déclencheuse d’une polémique sans précédent qui pourrait finalement avoir permis de faire bouger les lignes. Enfin !

Le football italien s’attelle depuis des années à régler cette gangrène du racisme venu des tribunes. Mais sans véritable succès, même si une réelle évolution a été réalisée. Avant 2013, seules des amendes dérisoires étaient distribuées aux fautifs. Mais l’affaire Kevin Prince-Boateng, hautement médiatisée, a donné un grand coup de pied dans la fourmilière.

De vraies sanctions depuis 2013

Lors d’un match de préparation face à une équipe de D4, le Ghanéen du Milan AC a décidé de quitter la pelouse après avoir été visé par des insultes racistes. Puis des faits similaires, notamment avec Mario Balotelli comme victime, ont suivi dans les semaines suivantes. Ce qui a contraint la Serie A à créer une échelle de sanctions.

Depuis ces événements d’il y a dix ans, les clubs risquent des fermetures partielles de tribune, voire des huis clos complets. Pire encore : des retraits de points et même une menace de relégation planent au-dessus d’eux en cas d’incidents graves répétés. Pourtant, le problème n’a, semble-t-il, été qu’à peine freiné. Avec parfois même des situations rocambolesques.

En 2017 par exemple, Sulley Muntari a réclamé auprès de l’arbitre d’arrêter un match de Pescara pour faire taire les fans de Cagliari qui imitaient des cris de singe. Mais plutôt que de faire valoir son pouvoir de suspendre une rencontre, l’arbitre a sanctionné le Ghanéen d’une deuxième carte jaune – et donc d’une rouge – pour avoir quitté le terrain sans avoir suivi les procédures. Dans la foulée, Cagliari a échappé à toute punition.

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©Printscreen Dailymotion

Plus tard, la Lazio et l’Inter ont été reconnus coupables par la division disciplinaire après de nouveaux cris abusifs. Mais un sursis a été accordé à la sanction de fermeture de tribune, qui n’a donc finalement pas été exécutée.

Et ce ne sont pas les quelques campagnes “anti-racisme” organisées par la ligue qui ont changé les mentalités. Celle de 2019 – avec l’utilisation de trois têtes de singe – a même plutôt eu le don de provoquer un énorme bad buzz, à cause de son message difficilement lisible et assez maladroit.

La même année, les vingt clubs de l’élite ont publié une lettre pour reconnaître l’existence de ce grave problème de racisme dans le football italien. Ils réclamaient ainsi “une politique antiraciste complète et robuste en Serie A, de nouvelles lois et réglementations plus strictes et un plan pour éduquer les acteurs du jeu sur le fléau du racisme”.

guillement

”J’espère que la ligue agira vraiment pour de vrai cette fois. »

Quatre ans plus tard, le fléau ne s’est pas arrêté. Mais l’affaire Lukaku pourrait enfin donner un sérieux coup de boost. En plus de la grâce présidentielle symbolique pour lever sa suspension, Lukaku a vu un vaste élan de soutien et de dénonciations se créer autour de lui. Et surtout, de vraies sanctions devraient tomber.

Inter Milan's Romelu Lukaku is issued a red card during the Italian cup semi final first leg soccer match between Juventus and Inter Milan, at the Allianz Stadium, in Turin, Italy, Tuesday, April 4, 2023. (Marco Alpozzi/LaPresse via AP)
Lukaku sanctionné lors du match aller à Turin. ©LaPresse

”J’espère que la ligue agira vraiment pour de vrai cette fois, car ce beau jeu devrait plaire à tout le monde”, a demandé le Diable rouge. Même si la durée n’a pas encore été communiquée, les autorités italiennes imposeront des interdictions de stade à au moins 171 supporters de la Juve.

Même si la fermeture partielle du stade turinois a de son côté été levée grâce à la bonne collaboration du club et la lourde suspension de deux supporters, l’affaire aura aussi permis de faire naître une nouvelle réflexion. Gianluca Rocchi, le désignateur des arbitres italiens, demandera par exemple une plus grande attention à ses confrères tout en invitant les joueurs à leur signaler les chants ou propos racistes.

Des voix s’élèvent également en faveur de l’obligation d’équiper tous les stades d’un système de surveillance vidéo afin de repérer les fautifs. Des cours de sensibilisation dans les écoles et auprès des jeunes pourraient aussi être organisés. De quoi enfin faire évoluer les mentalités ?