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« Tous les acteurs de l’adoption internationale d’un enfant doivent regarder la réalité en face »

Trafic de bébés depuis le Brésil, kidnapping d’enfants au Vietnam, adoptions irrégulières à Madagascar, avocats véreux en Roumanie… Aviez-vous idée, avant d’entamer votre étude historique, que les pratiques illicites en matière d’adoption d’enfants à l’étranger seraient aussi répandues et fréquentes en France ?

Yves Denéchère : Malheureusement oui. Cela fait quinze ans que nous travaillons sur l’adoption internationale. Ces pratiques illicites ne nous ont pas étonnés.

Fábio Macedo : Les signalements sont tellement nombreux qu’on peut s’interroger sur l’ordinaire des pratiques illicites et leur caractère systémique. Les nombreuses pratiques illicites mises en lumière dans tel pays, à tel moment, avec tels intermédiaires, constituent certes des cas spécifiques mais aussi génériques comme une réalité banale de l’adoption internationale.

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Quelles sont les pratiques illicites les plus répandues ?

Y.D. : Il existe une grande zone grise qui va de la simple irrégularité administrative jusqu’au crime comme le vol ou l’achat d’un enfant, en passant par des délits condamnables par la loi (faux et usage de faux, corruption, abus de confiance vis-à-vis des mères, fausses déclarations de naissance). Pendant des décennies, jusqu’à la convention de La Haye en 1993 voire jusqu’aux années 2000, le phénomène est demeuré considérable en raison d’un manque de normes internationales et de politiques efficientes des États et des autorités régulatrices.

F.M. : Les deux formes de pratiques illicites les plus répandues, à mes yeux, sont le problème du consentement de la famille biologique de l’enfant : quand une mère (ou un père) abandonne et fait adopter son enfant, son choix est-il libre et éclairé, oui ou non ? Le deuxième problème, qui va de pair, est la falsification de l’état civil de l’enfant pour faciliter son adoption.

Quels sont les pays où ces pratiques étaient les plus répandues ?

F.M. : Le Salvador, le Vietnam, la Roumanie, Madagascar… la liste est longue. Le Brésil est un cas intéressant, car il y a un avant et un après. Jusqu’au milieu des années 2000, une série de scandales a éclaté dans plusieurs États du pays avec des trafics d’enfants, des avocats véreux, des filières clandestines. Mais une nouvelle législation et des nouvelles politiques publiques ont permis de faire pratiquement disparaître les cas d’adoptions internationales entachées de pratiques illicites. On peut citer également le Guatemala où la quantité de dérives et de crimes liés à l’adoption internationale d’enfants a été particulièrement élevée jusque dans les années 2000, pendant et après la guerre civile où des enfants ont été enlevés à leurs parents puis adoptés par des Occidentaux.

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Y.D. : Le risque de dérives en matière d’adoption internationale est particulièrement important dans les États en guerre ou en guerre civile ou subissant une catastrophe naturelle, qui connaissent une crise sociale ou économique et un système de corruption, et dans les pays où la faillite de l’autorité est manifeste. Cette faiblesse des pays de départ de l’adoption est accentuée par la pression exercée par les pays d’accueil. La question des responsabilités est donc très complexe et ne doit pas être caricaturée. De nombreux acteurs ont aussi joué un rôle dans ces dérives, qu’ils s’agissent d’intermédiaires, d’associations, de particuliers. Tous les acteurs doivent regarder en face la réalité de l’adoption internationale.

Et aujourd’hui, y a-t-il désormais une véritable éthique de l’adoption en France et moins, voire plus, de dérives ?

Y.D. : Attention, en France, il y a toujours eu l’expression d’une éthique de l’adoption. Seulement, elle ne s’est pas toujours traduite par des actes. Ceci étant dit, l’ampleur du phénomène aujourd’hui est bien moindre que dans les années 2000, tout simplement car à l’époque, 4 000 enfants arrivaient chaque année sur le sol français pour y être adoptés et ils n’étaient plus que 232 l’an dernier, soit vingt fois moins. Pour autant, il est difficile d’avoir la certitude absolue que l’adoption d’un enfant étranger en France n’est pas entachée d’irrégularités. La question peut encore se poser, même s’il y a davantage de chance qu’elle se passe de manière licite.

F.M. : On observe un déplacement vers d’autres formes d’obtention d’un enfant, comme la PMA (procréation médicalement assistée) et la GPA (gestation pour autrui) qui génèrent d’autres problèmes liés au manque d’encadrement du droit international et au flou juridique pouvant rappeler ce qui s’est passé avec l’adoption.