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Alexeï et Masha, l’histoire tragique d’un père et d’une fille pourchassés pour un dessin en Russie

L’histoire de cette petite famille monoparentale, tragique, témoigne de l’empressement des autorités à traquer toute voix critique envers la guerre que la Russie mène contre l’Ukraine depuis plus d’un an. Elle commence un jour d’avril 2022 dans la petite ville d’Iefremov, à 300 km au sud de Moscou. Masha a alors 12 ans et réalise un dessin en classe d’art : une femme main dans la main avec son enfant qu’elle défend face à des missiles en vol. Deux slogans accompagnent ces traits, sur les drapeaux ukrainien et russe : respectivement “Gloire à l’Ukraine” et “Non à la guerre”. Ses professeurs sont choqués, la directrice de l’école la dénonce aux autorités. Père et fille n’auront plus de moments de repos, entre les brimades, les arrestations, les interrogatoires, les perquisitions et les poursuites.

Dès le lendemain, Masha et Alexeï sont arrêtés par la police, qui accuse le père d’avoir discrédité l’armée russe sur les réseaux sociaux. Un délit pour lequel il se voit condamné à une amende de 32 000 roubles (380 euros). L’adolescente, qui se fera interroger plusieurs fois par des agents des services de sécurité, se fait harceler à l’école et décide de poursuivre son instruction à domicile. Pour les services sociaux, l’affaire est entendue depuis mai : la famille est à risque, la mère ne voit plus sa fille depuis belle lurette et le père n’a pas contraint Masha à retourner à l’école. Le Kremlin rajoutera une couche, ce 29 mars, en accusant Alexeï de “remplir ses obligations parentales de façon déplorable”. C’est ce qui sera jugé ce jeudi.

Dans un foyer pour mineurs

Entre-temps, les ennuis se poursuivent. La police fait une descente à leur domicile le 30 décembre 2022, renverse les meubles, emporte l’équipement électronique et toutes les économies pour près de 4 500 euros, rapporte le site d’information Meduza. Le 1er mars 2023, Alexeï Moskalev est à nouveau interpellé et accusé d’avoir discrédité l’armée sur les réseaux sociaux, en commentant les crimes commis par les soldats russes contre les civils à Boutcha et la mort de 53 prisonniers de guerre ukrainiens dans la prison d’Olenivka. Lui, nie avoir écrit des messages politiques “négatifs” ou “offensants”, arguant que ses comptes ont été piratés. Mais rien n’y fait.

Il est assigné à résidence et sa fille est maintenue dans un foyer pour mineurs et privée de contact avec son père, suscitant une forte émotion à Iefremov et au-delà. Une pétition en ligne, signée par près de 150 000 personnes, réclame même le retour de la jeune fille auprès d’Alexeï.

À l’audience du tribunal, le 27 mars, il déclare, selon ses propos rapportés par le site Mediazona : “Si vous demandez maintenant ‘quelle est votre attitude à l’égard de l’opération spéciale en Ukraine ?’, je pense que 90 % des personnes présentes dans cette salle diront qu’elles sont contre. Et je serai d’accord avec elles. Que dire d’autre sur ces morts, sur ces gens qui sont tués, ces adultes et enfants qui meurent ? Vous ne pouvez que le condamner, quelle autre attitude pourriez-vous avoir ? ” Un baroud d’honneur.

guillement

Que dire d’autre sur ces morts, sur ces gens qui sont tués, ces adultes et enfants qui meurent ? Vous ne pouvez que le condamner.

Le 28 mars, il est reconnu coupable d’avoir “discrédité” les forces armées russes et condamné à deux ans de prison. Pour l’ONG Memorial, colauréate du prix Nobel de la paix dissoute par les autorités, Alexeï Moskalev doit être “considéré comme un prisonnier politique”. Mais lui n’est plus là pour entendre le verdict : il a pris la fuite dans la nuit. La cabale n’aura cependant pas duré longtemps. L’homme est repéré et arrêté près de Minsk, en Biélorussie, dès le lendemain.

Masha, elle, lui a écrit une lettre, rendue publique le 29 mars : “Je t’aime beaucoup, tu n’es coupable de rien, je serai toujours de ton côté”, “je suis sûre que tout ira bien et que nous serons de nouveau ensemble”. À voir si le tribunal qui doit statuer sur la déchéance des droits parentaux d’Alexeï Moskalev l’entendra, préférera l’envoyer en orphelinat ou… chez sa mère. Olga Sitchikhina est très opportunément réapparue sur les écrans radar, ce jeudi, avec la volonté de sortir sa fille de “la politique, de l’anti-propagande et des dessins”. Une piste qui permettrait aux autorités de sauver la face.