France

« Tuer sa fille, c’était qu’il pouvait faire de pire pour détruire son ex »

« Ça se voyait qu’il était violent. Il cherchait par tous les moyens à détruire son ex. Tuer sa fille, c’est ce qu’il pouvait faire de pire pour l’atteindre. » Au téléphone, la voix de Migueline Rosset s’étrangle. Une semaine a beau s’être écoulée depuis le meurtre de Chloé, 5 ans, poignardée dans l’appartement familial de Courbevoie, l’émotion de cette avocate spécialisée dans les violences conjugales reste vive. « Je la revois encore au cabinet, cette gamine, une petite fille pleine de vie. » Le principal suspect, son père, a succombé à ses blessures 48 heures après les faits. Alors que la police venait d’enfoncer la porte, Mickaël Rouffiac, directeur informatique de 41 ans, s’est asséné un coup de couteau à la gorge avant de sauter du 2e étage.

S’il n’a pas pu être entendu, les premiers éléments de l’enquête, ouverte pour assassinat, ne laissent guère de doute sur le contexte : l’enfant a vraisemblablement été tuée dans le cadre du conflit qui l’opposait à son ex-femme. « Depuis des années, ma cliente vivait dans un climat de violence psychologique, il y avait des caméras dans l’appartement, elle était géolocalisée. Mais depuis février, les violences étaient également physiques », assure Me Migueline Rosset. Selon nos informations, Mickaël Rouffiac avait été condamné le 16 mars à un stage de sensibilisation pour des violences sans incapacité. Quatre autres plaintes auraient également été déposées à son encontre ces deux derniers mois, trois pour violences, une pour viol.

Surtout, quelques heures avant le drame, le tribunal aux affaires familiales de Nanterre avait émis une ordonnance de protection, lui interdisant d’entrer en contact avec son ancienne compagne, transférant également à cette dernière l’autorité parentale. « La justice n’a pas failli, le cas de cette femme a été pris très au sérieux, note son avocate. Mais elle est tombée dans un piège. » L’audience s’était tenue la veille, le mercredi. Mickaël Rouffiac était reparti chez lui, avec sa fille. Jeudi après-midi, tout juste informé de la décision, il avait appelé son ex-compagne pour lui dire que conformément à l’ordonnance, il quittait l’appartement. Chloé sera retrouvée dans la nuit, gisant dans la baignoire. « Il était déterminé à briser sa femme, insiste Migueline Rosset. Il avait été jusqu’à appeler son employeur pour raconter qu’elle livrait des informations à leurs concurrents. C’était faux, bien sûr. Il voulait l’anéantir, il s’est servi de leur fille. »

L’Espagne, pionnière dans la reconnaissance des féminicides par procuration

« Il n’est pas rare, dans les affaires de violences intrafamiliales, que l’enfant devienne le moyen d’atteindre l’autre parent », souligne Me Anne Bouillon, avocate elle aussi spécialisée dans les violences faites aux femmes. Cela se manifeste généralement par la privation, du jour au lendemain, d’une activité extra-scolaire, d’un départ en vacances, de se rendre chez des amis ou même d’aller à un rendez-vous médical. Dans les cas les plus graves, les enfants sont enlevés, parfois conduits à l’étranger, pendant des mois voire des années. « L’infanticide pour punir la mère, c’est cette logique poussée à son paroxysme, ce sentiment de toute-puissance absolue, y compris de vie et de mort », insiste la conseil.

Depuis le 1er janvier 2022, l’Espagne, pionnière en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, a élargi sa définition des « féminicides » pour notamment prendre en compte ces meurtres de substitution, c’est-à-dire infligés à un proche, souvent un enfant, pour faire souffrir une femme. Si, sur le fond, cela ne change pas le traitement du dossier ou la peine encourue, cette incrimination permet de mieux appréhender le phénomène.

En France également, ces infanticides commis sur fond de violences conjugales apparaissent désormais dans les statistiques officielles. Selon le dernier rapport du ministère de l’Intérieur, en 2021, douze enfants de dix familles différentes ont été tuées « dans le cadre de violences conjugales sans que l’autre parent ne soit tué ». En 2020, on en dénombrait six. En 2019, 22. Des écarts qui illustrent la difficulté de comptabiliser ce type de meurtre car il convient, dans chaque cas, d’établir un lien direct avec le contexte de violences conjugales.

« Content de t’avoir fait vivre un enfer »

Dans certaines affaires, cependant, le doute n’est pas permis. En 2016, quelques heures à peine après que le corps sans vie de la petite Léa, 3 ans, a été retrouvé, son père, Cédric Mahieu, envoie à son ex-femme une lettre d’une indicible cruauté. « Tu as voulu une nouvelle vie. Maintenant, tu peux la refaire sans Léa (…). Sois la plus malheureuse possible. Je ne regrette rien. Content de t’avoir fait vivre un enfer », écrit l’homme, qui sera interpellé après plus mois de cavale. Me Luc Hintermann, qui défendait la jeune femme depuis sa demande de divorce, se souvient de chaque détail de ce dossier hors-norme. Du premier rendez-vous chez le juge, où sa cliente lui confie avoir accepté la garde alternée après que son ex-compagnon l’a menacée, jusqu’à ce funeste samedi de mai 2016.

« Un jour, elle m’appelle pour me dire que son ex-mari est arrivé très alcoolisé pour récupérer la petite et qu’elle a refusé de la lui confier. A ce moment-là, il a sauté sur le capot de la voiture alors qu’elle roulait », se remémore l’avocat haut-savoyard. Luc Hintermann parvient à obtenir rapidement un rendez-vous chez le juge aux affaires familiales. « Le drame, c’est que l’assignation a été portée chez lui un samedi où il avait la garde de Léa. » Le meurtre sera commis le jour-même. En 2019, Cédric Mahieu a été condamné à trente ans de réclusion criminelle. « Ce qui est frappant dans ce dossier, c’est qu’il aimait sa fille. Ma cliente pensait d’ailleurs qu’il pouvait lui faire du mal à elle, mais pas à leur fille. »

Faire souffrir « au-delà de l’imaginable »

De « féminicide par procuration », il a également été question fin mars à la cour d’assises d’Avignon, lors du procès de Sergio Gil Gonzalez. Cet Espagnol de 41 ans, alcoolique, était jugé pour l’assassinat de sa fille Sarah, 11 ans, retrouvée noyée dans le Rhône le 18 juillet 2020, les poignets et les chevilles entravés par des cordelettes. Sa femme l’avait quitté un an et demi auparavant après une énième scène de violence. Elle avait tourné la page, lui non. Ce jour-là, alors qu’il avait réclamé à passer du temps avec sa fille, il la suppliait encore de lui laisser une nouvelle chance. La réponse avait été ferme. « Non », écrit dix fois de suite dans un texto. Quelques heures plus tard, Sarah était tuée.

« Au procès, il a reconnu les faits mais n’a pas donné de vraies explications, il a juste parlé d’une pulsion », retrace l’avocat de la victime, Me Marc Geiger, pour qui la volonté de faire souffrir la mère est une « évidence ». « A l’audience, il a donné des détails sordides sur la manière dont elle est morte. Cela n’apportait rien, à part le fait d’atteindre un peu plus son ex-femme. » Et l’avocat de faire le lien avec le grand banditisme : « quand on veut faire souffrir quelqu’un, on tue sa famille pour le faire souffrir au-delà de l’imaginable. »