France

Starship : La privatisation des fusées a-t-elle tenu ses promesses ?

« Houston, nous avons un problème. » Avec l’échec en décembre du lancement de la fusée Vega C et la fin de vie programmée d’Ariane 5, dont la remplaçante Ariane 6 tarde à arriver, l’Europe va bientôt se retrouver en manque de lanceurs. Et avec la faillite de Virgin Orbit début avril, condamnée par l’échec d’une mission LauncherOne, c’est une autre piste pour envoyer ses petits satellites en orbite sans dépendre d’un autre pays qui s’éteint. Reste le projet néo-zélandais RocketLab de petit lanceur, et le Falcon 9 de SpaceX pour les missions plus classiques. Pour voir plus grand, c’est aussi vers SpaceX qu’il faut se tourner, avec le premier lancement attendu de Starship ce jeudi, après un report pour problèmes techniques. Les options sont donc limitées. La privatisation de l’accès à l’espace a-t-elle tenu toutes ses promesses ?

« Tous les lanceurs ont connu des échecs », signale l’ancien astronaute Jean-François Clervoy, interrogé par 20 Minutes. Une manière de tempérer les attentes sur l’arrivée de la prochaine génération de fusées, qu’elles soient lancées depuis des avions ou avec le super-lanceur d’Elon Musk. « Ses trois premiers lancements ont été des échecs », rappelle-t-il, et « sans un investisseur pour financer le quatrième essai, Space X n’existe pas ». Le milliardaire américain venait d’inventer un créneau, qui répondait en tout point à une attente du gouvernement américain.

Mission réduction des coûts

« Les lanceurs privés ont été enfantés par la Nasa pour qu’elle puisse se concentrer vers des missions plus lointaines » il y a 20 ans, raconte Jean-François Clervoy. Une orientation précoce, avec une belle enveloppe de 900 millions de dollars pour le premier contrat signé avec Elon Musk. Dans une émulation entre riches passionnés, Richard Branson, via Virgin, Jeff Bezos et d’autres se sont lancés, « à leurs risques et périls ». Pour l’ancien astronaute français, la privatisation du monde des lanceurs « pousse à l’innovation, réduit la part du contribuable et créé des ambassadeurs de l’espace ».

Le prochain étage de la fusée de la privatisation consiste d’ailleurs à faire rentrer la recherche privée dans les missions publiques… et notamment au sein de l’ISS. « La Nasa cherche à obtenir des missions privées vers l’ISS pour en réduire les coûts fixes », annonce sans détour Jean-François Clervoy. Une manière de « financer la recherche publique sur fonds privés », selon lui. Mais attention à ne pas mettre la charrue avant les bœufs, le vol avant la mission, le privé avant le public. La Nasa a ainsi prévu trois missions avec Axiom Space, lors desquelles un module appartenant à Axiom doit s’amarrer à l’ISS avec un équipage mixte. L’objectif : permettre à Axiom de mener ses recherches avec les ressources de l’ISS (et les conditions de l’espace), et à la Nasa de mener des expériences supplémentaires à bord du module.

Nouvelle répartition des rôles ?

Un échange « gagnant-gagnant » qui se fait aux conditions de l’ISS, selon la compatibilité des créneaux. Ailleurs, le risque que la balance penche trop du côté privé est pointé du doigt. Ainsi, les ingénieurs du Cnes se sont mobilisés au printemps 2022 contre un nouveau contrat d’objectifs et de performance, dénonçant l’abandon d’une partie de la recherche spatiale au secteur privé. Avec 1,5 milliard d’euros à investir dans les start-up, « notre rôle serait de donner de l’argent aux industriels sans aucun contrôle », craignait Damien Desroches, ingénieur délégué CGT, interrogé à l’époque par France Info. Autant d’argent public donné au secteur privé, provoquant dès 2022 l’arrêt de certains programmes de recherches, comme le projet C3IEL, un microsatellite développé avec Israël.

De son côté, la direction du Cnes avait affirmé viser des missions vers Mars. C’est donc un partage de l’espace entre les Etats et le privé qui se dessine : aux entreprises le décollage et le voyage jusqu’à la mise en orbite de satellites, aux organismes publics les grandes missions de recherche au-delà. Ce qui laisse toute latitude pour commercialiser l’accès aux frontières de l’espace. « Il n’y aura jamais de démocratisation de l’espace », modère Jean-François Clervoy, « le billet ne sera jamais sous le million d’euros » pour de simples raisons de carburant, d’infrastructures et de coût de la capsule. S’offrir une virée dans l’espace restera donc « réservé à des gens très riches et audacieux ». Trois d’entre eux veulent déjà monter à bord de Starship et aller bien plus loin que l’ISS : le milliardaire américain Jared Isaacman, qui doit faire partie du premier vol avec équipage de Starship, Yusaku Maewaza et Dennis Tito, qui rêvent d’aller autour de la Lune. Dans une fusée privée, les agences spatiales pourront-elles longtemps réserver tous les sièges ?