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Pourquoi adore-t-on autant que l’on déteste les messages vocaux ?

« Fais-moi un vocal pour me raconter ta soirée d’hier », « c’est long à expliquer, je te fais un vocal », « tu ne vas pas croire ce qui m’est arrivé, je te résume en vocal »… Bon, on pourrait continuer longtemps, mais on va s’arrêter là, vous avez sans doute compris l’idée. A la réception de ces messages, un sentiment étrange nous envahit : si on a hâte que Claire nous raconte sa soirée de jeudi – et il y en a des choses à dire –, on a déjà quelques sueurs froides à l’idée d’écouter ce vocal de 4 minutes 17, ponctués de silence, de « euuuuuh », « je reprends », « je me suis égaré », « enfin, tu as compris quoi ».

Et c’est là, toute l’ambivalence des messages vocaux : on les aime autant qu’on les déteste. Car si cette fonctionnalité, apparue en 2013 sur WhatsApp et en 2018 sur Instagram, irrite la terre entière (aucune exagération, promis), elle s’est répandue comme une traînée de poudre dans nos échanges. Mais diable, pourquoi Claire envoie-t-elle un message vocal long comme le bras plutôt que d’écrire un SMS ou tout simplement d’appeler ?

A mi-chemin entre le SMS et l’appel

D’abord, on ne va pas se mentir, c’est quand même très pratique. Un simple pouce posé sur le sigle micro de votre clavier de smartphone, et hop, vous voilà en train de dérouler votre vie, façon podcast de France Culture (qu’on adore). Car le message vocal, c’est un peu la solution hybride à mi-chemin entre le SMS et l’appel téléphonique. « Quand on appelle quelqu’un, si cette personne ne décroche pas, on laisse un message vocal sur son répondeur. La note vocale, c’est entre les deux », explique Alexandre Eyries, enseignant-chercheur HDR en science de l’information et de la communication à l’université de Lorraine. « Ça permet d’avoir un échange sans être dans l’interaction directe », ajoute le spécialiste.

D’autant qu’à l’inverse du SMS, pour Claire, faire un audio, c’est un peu nous faire vivre sa soirée, comme si on y était, façon « one women show » : il y a le ton, les rires ou les émotions que l’on peut difficilement transmettre à l’écrit, malgré la multitude d’émojis qui existe. Et si son vocal est clair comme de l’eau de source, c’est probablement parce que Claire (vous l’avez ?) s’y est peu peut-être reprise à plusieurs fois pour l’enregistrer, l’un des avantages de cette fonctionnalité.

Pas parce que son doigt a glissé, stoppant l’enregistrement (top 10 des choses les plus énervantes du monde), mais parce qu’un vocal peut permettre d’éliminer tout doute du fameux passif-agressif que l’on peut avoir avec un message écrit : « Un SMS, ça peut entraîner des incompréhensions, voire des quiproquos. Avec la note vocale, il y a un côté plus vivant, voire intime, d’une proximité presque physique, ça donne l’impression d’une conversation qui n’en est pas vraiment une », estime le chercheur.

Une certaine liberté pour le récepteur

En enregistrant son récit de 4 minutes 17, Claire nous aura aussi permis de ne pas saigner des yeux à la lecture de son orthographe et de sa syntaxe parfois douteuse (on a tous une Claire dans nos vies, ne mentez pas). Mais Pierre, l’un de nos lecteurs, n’est pas de cet avis : « J’ai vraiment les messages vocaux en horreur. Pour moi c’est signe que la personne ne maîtrise pas l’orthographe, la syntaxe et la grammaire et qu’elle a la flemme de faire des efforts. Encourager cette pratique contribue à l’abaissement généralisé du français, les gens ne faisaient déjà plus d’efforts avec les correcteurs automatiques, mais avec les vocaux, ils ne font même plus semblant », déplore le jeune homme de 24 ans.

Mais sans l’invention de la note vocale, Claire aurait eu deux choix : écrire un SMS probablement aussi long comme le texte de la réforme des retraites ou nous passer un coup de téléphone qui nous obligera à poser un RTT. Mais l’appel peut être considéré comme un procédé intrusif, une injonction à répondre : « C’est parfois difficile de mettre un terme à une conversation téléphonique, elle peut s’éterniser, ça peut être embarrassant d’y couper court », estime Alexandre Eyries.

Heureusement, on peut remercier la Silicon Valley d’avoir inventé le vocal. Car, absolument rien de vous oblige à écouter le monologue de Claire maintenant (à part votre sens de l’amitié, mais ça, c’est votre choix), et encore moins à lui répondre dans la foulée. « Il y a un côté asynchrone, c’est-à-dire une temporalité décalée entre le moment où le vocal est émis et celui où on le consulte et où on y répond », analyse l’enseignant-chercheur. « L’envoyeur laisse une certaine liberté au récepteur. Il y a une forme de rationalisation du temps social, on laisse la personne choisir sa temporalité », ajoute-t-il.

Narcissisme et égocentrisme

Soyons maintenant honnêtes quelques minutes. Sur les 4 minutes 17 d’enregistrement de Claire, combien concentrent vraiment des informations utiles ? C’est sur ce point-là que les anti et les pro-messages vocaux se déchirent (toujours sans aucune exagération, ce n’est pas notre style). Comme on vous le disait en préambule, les auteurs d’audios ont la fâcheuse tendance à se laisser emporter dans un monologue sans fin, ponctué de digressions, de silences et de « euuuuuuuh » interminables. « Le message vocal a effectivement un côté très agaçant, il est souvent très long pour dire peu de choses. On a l’impression de perdre du temps là où un SMS aurait pu être plus rapide et concis. On bloque du temps à son interlocuteur », reconnaît Alexandre Eyries. 

D’autant plus qu’écouter une note vocale nécessite tout de même de se mettre dans certaines dispositions : « Il faut trouver du calme pour l’écouter, de se concentrer. Le pire, c’est que le plus souvent, on est obligé de passer par un concentre d’informations inutiles pour accéder à l’information », estime Zinedine, 28 ans. En nous envoyant son monologue, Claire est-elle vraiment dans le partage ? Pas si sûr. « Il y a un petit côté égocentrique, voire narcissique, quand on laisse un message vocal. Je profite des audios pour te raconter ma vie, mais je ne te laisse pas me raconter pas la tienne. C’est un plaisir égoïste, car c’est l’assurance de ne pas être interrompu », considère l’enseignant-chercheur. Un avis partagé par Paul, 24 ans : « Un message vocal, c’est clairement égoïste, c’est confortable pour celui qui l’envoie mais tout l’inverse pour le récepteur ».

En d’autres termes, les messages vocaux, c’est un peu les photos de vacances aux Seychelles qu’a envoyés votre tante Suzanne sur le groupe familial WhatsApp. Vous n’avez rien demandé, vous n’aviez pas spécialement envie de les voir, mais vous les recevez quand même et vous allez y répondre par politesse, au risque de mettre un froid au prochain repas de Noël. 

On va prendre un risque et peut-être se faire des ennemis, mais à 20 Minutes, on aime les vérités, même si elles font mal : non, personne n’a envie de vous entendre enregistrer ou écouter un message vocal dans le métro de bon matin, ni dans la salle d’attente du médecin. Oui, vous auriez pu résumer ce message vocal de deux minutes en une phrase. Et non, une note vocale de plus de 30 secondes, ça n’est pas accepté socialement.