France

Paris : « Violent », « arbitraire »… Le récit de l’intervention de la police mardi soir devant un bar queer

C’est beaucoup d’incompréhension et un sentiment d’injustice qui animent aujourd’hui Antoine. Mardi soir, après la manifestation contre la réforme des retraites à laquelle il a défilé avec le Pink Bloc (un cortège de visibilisation des luttes LGBT dans la mobilisation), un de ses amis a été arrêté par des policiers alors qu’ils discutaient devant un bar queer et féministe du XIe arrondissement de Paris.

Plusieurs vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux, dont une a été notamment relayée par l’élu insoumis Antoine Léaument, montrant une scène déroutante. On y voit un groupe de personnes tenter d’empêcher une voiture de police de partir et le véhicule des autorités qui avance dans la foule en jetant, par la fenêtre, des grenades de désencerclement et lacrymogènes. 20 Minutes revient sur cet épisode de la soirée grâce aux témoignages de personnes sur place au moment des faits.

Il était environ 20h40 quand Léa (le prénom a été modifié) est arrivée à vélo devant ce bar rue de Montreuil, près de Nation. En arrivant, elle dit manquer de se faire renverser par des camions de CRS qui remontent la rue « très rapidement », semblant quitter les lieux de la 10e manifestation nationale contre le projet gouvernemental. Devant le bar parisien, « une foule de gens clairement politisés qui semblaient revenir de la manif’ se sont mis à siffler et à crier ACAB », raconte la jeune femme à 20 Minutes. « ACAB » est un slogan antipolicier qui veut dire « All cops are bastards », (tous les flics sont des bâtards).

Une personne interpellée pour « outrages »

« C’était un phénomène de foule compact », ajoute-t-elle. Antoine confirme : « Nous étions dans le bar avec des camarades du Pink Bloc après être allés à la manifestation. Quand les cars de CRS sont passés, il y a eu des slogans lancés, un peu comme souvent quand des camions de flics passent, mais il n’y a pas eu d’affrontement. » Une voiture de police s’est toutefois arrêtée, selon Léa. Des agents « armés de boucliers » en sont sortis et ont fait face à l’établissement pendant « environ cinq, dix minutes ». A ce moment-là, la Parisienne s’est éloignée, craignant une charge de la police vers la foule qui se tenait en terrasse du bar. Elle décrit « un moment de grande tension. » Puis, les policiers sont repartis et « la soirée a repris son cours », poursuit-elle.

Ce n’est que plus de deux heures plus tard, à 23h30 selon la préfecture de police de Paris jointe par 20 Minutes, qu’une voiture de police passe à nouveau devant le bar. Désormais, la foule est moins compacte, il y a moins de monde. « A 23 heures, une vingtaine de personnes étaient à l’extérieur, debout un verre à la main, en train de fumer », précise une serveuse à L’Humanité. Une des personnes présentent se fait alors menotter et interpeller. « On était quatre amis en train de discuter devant le bar, dans le noir et mon ami était de dos, on n’a pas lancé de slogan à ce moment-là, les policiers ont pris la première personne qui était devant, la plus proche de la voiture, mon ami », affirme Antoine.

« C’était très violent »

La préfecture de police de Paris n’évoque, elle, pas deux passages de la police, simplement un « groupe » qui s’est mis « à siffler » et « une personne qui commettait un outrage sur personnes dépositaires de l’autorité publique. » Sur cette question, le parquet de Paris répond que « les investigations sont en cours. » Il ajoute que la personne interpellée a été placée en garde à vue pour des faits d’outrages à personnes dépositaires de l’autorité publique.

Elle en est sortie mercredi « vers 19 heures », précise Antoine, et est convoquée au tribunal en octobre prochain, toujours selon son ami. Ce scénario est également décrit dans un billet du collectif Inverti.e.s publié sur le blog de Mediapart : « A plusieurs reprises, plusieurs camions policiers sont passés devant le bar et nous avons chanté des slogans auxquels ils ont répondu par de timides provocations. Deux heures après, alors que la situation était complètement calme, les policiers sont revenus avec la détermination de nous punir. Ils ont menotté une personne du bar prise au hasard. » « De ce que j’ai vu, il n’y avait strictement aucune raison pour l’interpeller », raconte une autre témoin à Libération.

En protestation, la foule se met alors autour du véhicule de police, un groupe tente de l’empêcher d’avancer en se mettant devant, selon les images. « On voulait savoir à quel commissariat ils l’emmenaient », précise Antoine. On peut voir dans la vidéo que la voiture commence tout de même à démarrer et puis accélérer. « Tout est allé très vite, se souvient Léa. J’ai vraiment eu l’impression que j’allais voir quelqu’un se faire écraser sous mes yeux, c’était très violent. » Léa n’a pas pu confirmer s’il s’agit des mêmes policiers que ceux qui se sont arrêtés deux heures plus tôt.

Des grenades lacrymogènes et de désencerclement

Sur les images tournées depuis la fenêtre d’un riverain, on voit également des grenades lancées depuis l’intérieur du véhicule. Selon Maxime Sirvins, journaliste spécialiste des forces de l’ordre et auteur du site Maintientdelordre.fr, ce sont deux grenades lacrymogènes qui apparaissent dans la vidéo. Une photo publiée par Antoine Léaument montre les restes d’une grenade lacrymogène et d’une grenade de désencerclement. « La fumée de la lacrymo est rentrée dans le bar, on est alors allés vers le fond de l’établissement », raconte encore Léa.

Selon les témoins, deux personnes ont fait un malaise et ont été recouvertes de couvertures de survie. Ni les pompiers, ni la préfecture n’ont pu répondre à nos questions concernant la cause de ces malaises et leur gravité. Selon Antoine, une des personnes a toutefois été emmenée par les secours.

« On a un sentiment d’injustice »

Une deuxième personne a, dans la foulée de la première, également été interpellée après avoir couru derrière la voiture de police et placée en garde à vue pour « des faits de violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique », précise le parquet de Paris. Elle « tentait de faire sortir la personne du véhicule » et a « commis des dégradations sur la voiture de police », ajoute la préfecture de police de Paris.

Pour Léa, cette soirée a été le théâtre d’une violence inattendue. « On n’était pas dans un contexte de manifestation. On était dans un bar, pas avec des gens qui mettent le feu aux poubelles, ça m’a beaucoup secouée. On voit le côté arbitraire du maintien de l’ordre, tu sais plus ce qui risque de t’arriver », souffle-t-elle. Pour Antoine, « la principale violence, ce n’est pas qu’on a failli se faire écraser ou les grenades lancées par les vitres, mais le fait qu’une personne a été choisie au hasard pour l’exemple. On a un sentiment d’injustice. »