France

Mort d’Yvan Colonna : Symbole révolutionnaire et future icône pop ?

Son visage, figé à la peinture, peuple d’innombrables murs de l’île. Yvan Colonna, décédé il y a un an des suites de son agression en prison, est assurément devenu un symbole Corse. « Il était déjà un héros, il est devenu un mythe », explique un homme d’une quarantaine d’années au soir d’une veillée en hommage au militant indépendantiste organisée à Cargèse, son village natal.

Le paradoxe des objets culturels

De là à faire « du berger de Cargèse » un symbole révolutionnaire romantique façon Che Guevara, il n’y a qu’un pas aisément franchissable. Au risque de retrouver bientôt son portrait sur des tote bags ou des serviettes de plage aux motifs douteux. « Il va y avoir et il y a déjà des formes de marchandisations de l’identité corse », relève Sébastien Quenot, maître de conférences à l’université de Corse. De fait, des boutiques proposent déjà des t-shirts et autres accessoires aux slogans et images jouant sur ce registre. « Souvent conquise, jamais soumise », « La clémentine corse, un goût explosif depuis 1976 » [année de création du FLNC, avec une clémentine représentée en grenade], « Vous n’auriez pas du feu ? » [avec une bombe à mèche figurée]. Autant de tee-shirts qu’il est possible d’acheter aujourd’hui.

Cette folklorisation, voire « popculturisation », de la lutte menée par le FLNC à des fins mercantiles se nourrit de nombreux fantasmes et participe d’un paradoxe : « S’il n’y a pas d’identité culturelle sans objets culturels, ceux-ci contribuent aussi à en restreindre l’image », poursuit l’universitaire. Du côté des étudiants corses, on n’est pas vraiment emballé à l’idée de goodies FLNC ou de t-shirts à l’effigie de Colonna.

« Cela dégrade l’image de protection de notre patrimoine pour lequel le FLNC lutte. Mais même les Corses en jouent et cela peut amener un peu de dynamisme économique », estime Liam, étudiant en art à Corte. Jade, sa camarade, n’est « franchement pas d’accord. Ça serait plus un produit pour touristes mais cela marquerait un manque terrible de culture ». Dominique, étudiant en éco-gestion conclut, lapidaire : « Ça me ferait chier ».

Reste que la figure d’Yvan Colonna est désormais bien devenue malgré elle le visage mythique de la lutte nationaliste corse, l’incarnation du martyr révolutionnaire. « Avec son décès, c’est lui qui est devenu la victime, le martyr. Il était déjà un symbole depuis sa cavale, mais aujourd’hui c’est encore plus fort et quelque part plus complexe. Car, avec le slogan « Gloria à té Yvan », on ne sait pas si l’on célèbre l’innocence d’Yvan Colonna (qui a toujours nié l’assassinat de préfet Erignac) ou la mort du préfet. Et à la rigueur, ça n’a plus vraiment d’importance », observe Sébastien Quenot.

Ainsi naissent les mythes qui s’enracinent dans un imaginaire collectif révolutionnaire, avec une forme d’idéalisation et de nostalgie propre à ceux-ci. Pas certain que cela aide, in fine, à faire la résolution d’un conflit entre la Corse et l’Etat français. « Pour avancer, sans doute faudrait-il réussir à sortir de cette logique sacrificielle, trouver d’autres symboles que celui du martyr à proposer à la jeunesse », comprend le chercheur. Et réduire en ça la lutte du FLNC et la figure Yvan Colonna à un objet de consommation culturel activant le ressort d’un certain romantisme révolutionnaire ne semble pas non plus être une solution.