Belgique

Les bombes en Syrie, ce moment où tout aurait basculé pour cet accusé du procès des attentats de Bruxelles : “Je n’ai jamais ressenti une telle haine »

Son passé en atteste. Avec le Belge Bilal El Makhoukhi, rentré en décembre 2013 et le Suédois Osama Krayem, il est le seul à avoir combattu en Syrie dans les rangs de l’État islamique. À l’automne 2015, avec Krayem, qui ne s’exprimera pas au procès, il a été déployé par l’État islamique en Europe, suivant pour le retour le chemin des réfugiés.

C’est aussi un homme qui, comme il l’a déjà exprimé au cours de ce procès “n’a rien à perdre”. À aujourd’hui 29 ans, il a déjà été condamné à 20 ans de prison pour la fusillade survenue lors de l’intervention policière, rue du Dries à Forest. Il s’est vu infliger 30 ans supplémentaires lors du procès des attentats du 13 novembre 2015, jour où il a pourtant fait un aller-retour éclair Bruxelles – Aéroport de Schiphol. Il a été arrêté avec Salah Abdeslam quatre jours avant les attentats du 22 mars 2016.

Mais il ne faut pas se fier aux apparences. C’est peut-être celui dont le cheminement intellectuel depuis son séjour est le plus complexe. Il est vraisemblablement celui qui a mené la plus profonde introspection, comme en atteste sa réponse à la question, en apparence toute simple, que la présidente a posée aux accusés : “Quel est le sens des attentats ?”

Pour répondre, Sofien Ayari est revenu sur son départ de Tunis où il est né. En 2014, après avoir entamé des études supérieures d’électricité, à Djerba, il rejoint la Syrie. “Quand je suis parti de chez moi, je suis parti en Syrie, je ne suis pas venu ici”, insiste-t-il. Et d’ajouter qu’il n’a pas voulu non plus voulu frapper la Tunisie où il y avait des boîtes de nuit, des touristes, des ventes d’alcool pendant le ramadan.

”Si je n’avais pas été d’accord avec ça, je me serais fait sauter dans une boîte de nuit. Je n’ai pas frappé cela. Ce qui m’a changé c’est Homs et Raqqa”, en Syrie.

Et de poursuivre : “À Homs, c’était un front, c’était des combattants, c’était la guerre”. Il a été grièvement blessé : “Un type a effacé la moitié de ma mâchoire. Je ne lui en veux pas. Il y a une logique qu’on peut comprendre”, dit-il en se frottant la barbe.

Le traumatisme des bombardements

Il est hospitalisé à Raqqa, la “capitale” de l’État islamique. “Là-bas, il n’y a pas de guerre. Mais j’y ai découvert une autre réalité. Cela a été un point de bascule pour moi”. Ce sont les bombardements, qu’il ressent d’abord sur son lit d’hôpital.

”Je n’ai jamais ressenti une haine pareille, une telle colère, une telle incompréhension. J’étais fou de rage. J’avais le cœur brisé. Je ne comprenais pas”, dit-il, expliquant qu’il ne s’y est jamais fait. “Cette haine, poursuit-il, est devenue une douleur physique”. Et il en est bien conscient, cela ne peut peut-être pas le servir : “Je m’en fous si cela peut servir contre moi”.

Pour bien se faire comprendre, il cite le cas d’un ami mort lors des combats à Homs devant lui. “C’est la guerre”, souligne-t-il fataliste, avant d’ajouter, “à Raqqa, c’est autre chose”, en parlant des bombardements, dans lesquels “il n’y a aucune considération pour la vie humaine”.

Il a ensuite été déployé en Europe par l’EI. “Quand je pars, il n’y a pas de plan précis, ni de destination finale”. Tout au plus dit-il savoir qu’il y a “une mission” dans un pays de la coalition, mais sans connaître la “nature de l’action” à mener.

Sur le chemin, en Turquie et en Grèce déjà, ses yeux se dessillent. Il n’y a plus de tirs. Il y a des sourires. “Cela fait quelque chose. La haine ne disparaît pas. Je ne vais pas mentir”. Ce cheminement se poursuit encore aujourd’hui. Incarcéré à Lantin, il entendait les avions de Bierset. “Cela fait remonter des choses. Cela prend du temps”, indiquant le lien avec “les corps déchiquetés, brûlés, calcinés” des bombardements.

Aujourd’hui, confie-t-il, malgré les sept ans de détention, il a toujours du mal à contrôler tous ces sentiments, ce vécu. Il n’est toujours pas en paix. Il lui est plus difficile d’entendre les victimes qui pardonnent que ceux qui restent dans la confrontation. Il s’interroge, il a du mal à contrôler tous les sentiments qui l’assaillent. “Je souhaite que cela n’arrive plus. Mais des deux côtés”. Et de conclure : avec les bombardements, “aujourd’hui, à Raqqa, il n’y a plus un mur qui tient. Est-ce mieux ?”

Le simplisme d’Abdeslam

Un tel cheminement ne se retrouve pas chez les accusés. “La vague d’attentats qui a frappé l’Occident ne l’a pas été pour lever le drapeau de l’État islamique sur l’Europe, mais en réponse aux bombardements”, a ainsi dit Salah Abdeslam, qui voit en ceux-ci un moyen “pour éradiquer l’islam authentique”.

De son côté, Bilal El Makhoukhi, qui est accusé d’avoir évacué les armes de la cellule après le 22 mars 2016, ne garde pas le même traumatisme de son passage en Syrie. Il a dû revenir en Belgique pour y soigner sa jambe qui devra être amputée. “Quand on m’a dit que je devais rentrer, j’ai pleuré comme un bébé”, dit-il, ajoutant qu’en Syrie, lorsqu’il était combattant, il a “passé là les meilleurs jours de ma vie. Je sentais que je servais à quelque chose”. Les victimes, entendues au procès, l’ont secoué. “Avant de les voir, les victimes étaient pour moi des chiffres. À les voir, on se rend compte comme cela est cruel. […] Mais c’est le résultat d’actes encore plus cruels”.

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