France

« Mes enfants m’ont vue sur TikTok »… Ces professionnels de santé enregistrés à leur insu par des patients

« Il est INTERDIT de nous filmer ou nous enregistrer durant les consultations sans notre autorisation. » Céline Gorregues s’est résolue à afficher cette pancarte sur la porte d’entrée de son cabinet, dans le Doubs. En quarante-huit heures, la sage-femme a surpris deux patients en train de la filmer à son insu en pleine consultation. Et elle n’est pas un cas à part.

« Plusieurs médecins m’ont rapporté s’être fait enregistrer à leur insu dernièrement », confirme Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint du syndicat des médecins généralistes MG France. Le phénomène, qui semble pour l’instant relativement marginal, est assez récent.

Un phénomène récent

La première fois que Céline Gorregues a entendu parler d’un enregistrement sans autorisation préalable, c’était en 2019. Sa collègue gynécologue est en train d’annoncer à un couple qu’un de leurs jumeaux vient de décéder dans le ventre de la mère. Cette annonce, filmée, finit sur Instagram. « Quand je suis tombée sur cette vidéo, j’ai été extrêmement choquée. Les parents avaient posé le téléphone sur leurs genoux. Par moments, on voyait le visage de la gynécologue et surtout, on l’entendait expliquer qu’un des jumeaux n’allait pas bien. »

Quelques mois plus tard, c’est au tour de la sage-femme elle-même d’être victime de ce type de pratique. Un jour, ses enfants lui disent « Maman, je t’ai vu sur un TikTok ! ». Céline Gorregues se rend compte que certaines patientes ou leur conjoint la filment dans son dos en pleine consultation. « De plus en plus souvent, quand je fais une échographie, en me retournant pour poser une question, je me rends compte que je suis filmée. » Après les deux cas évoqués plus haut, elle craque et colle cette fameuse pancarte sur la porte d’entrée de son cabinet. 

Entre violences médicales et chantage à la prescription

Les raisons pour lesquelles des personnes en viennent à enregistrer ou à filmer leur sage-femme ou leur médecin sans prévenir sont variées. Quand Céline a posté la pancarte de son cabinet sur son compte Twitter, de nombreux internautes sont venus commenter son message. Parmi eux, Inès. La jeune femme explique que lors d’une consultation, une praticienne « venait de passer vingt minutes à [lui] hurler dessus ». Inès a alors sorti son téléphone pour la filmer. « C’est notre seul moyen de prouver une maltraitance médicale. Sinon, c’est parole contre parole. » Selon Inès, brandir son smartphone « a réglé le conflit ».

Jean-Christophe Nogrette regrette ces relations conflictuelles. « La relation patient -médecin est basée sur une confiance réciproque. » Selon lui, aujourd’hui, certaines personnes utilisent même l’enregistrement pour faire du chantage à la prescription médicale. « Dans les cas qui m’ont été remontés, le patient signale au médecin qu’il l’a enregistré, puis il lui demande telle prescription médicale ou une prolongation de son arrêt de travail, sinon il menace de porter plainte au conseil de l’Ordre. » 

Enregistrer pour mieux comprendre les informations

Mais tous les patients qui enregistrent n’ont pas forcément d’idées malveillantes derrière la tête. Céline Gorregues a la plupart du temps eu affaire à des personnes qui partagent leur vie sur les réseaux sociaux. « Ils ne se rendent pas compte qu’en agissant comme ça, il partage aussi la vie des autres », déplore-t-elle. Tous ne sont pas candidats de téléréalité ou influenceurs en devenir.

Sous le post Twitter de Céline, Sandra raconte qu’une de ses amies avait enregistré sa consultation postopératoire avec sa chirurgienne. « Ce n’était pas du tout pour embêter le médecin, mais parce que j’avais peur de ne pas tout retenir, même en prenant des notes. » La jeune femme a écouté l’enregistrement quelques jours plus tard, puis l’a supprimé. « On n’a pas pensé à demander son autorisation au médecin avant. » Jean-Christophe Nogrette comprend très bien ce cas de figure, mais il estime que l’autorisation préalable du professionnel de santé est non négociable. « Si une personne se sent trop émotive pour retenir les choses qu’on lui explique et qu’elle enregistre, je n’y vois pas d’inconvénient. Mais il ne faut pas que ça se fasse au sein d’une relation conflictuelle. »

Utiliser ces images pour nuire aux professionnels de santé

Si Céline Gorregues met un point d’honneur à ne pas être filmée à son insu, c’est à la fois pour des raisons de secret médical, mais aussi d’utilisation qui pourrait être faite a posteriori de ces images. Si la fin de grossesse se passe mal, la sage-femme redoute que les vidéos soient réutilisées pour lui nuire. « Les parents peuvent dire « regardez, pendant mon échographie, elle était en train de discuter, elle aurait pu voir qu’il y avait un problème ». »

Les différents professionnels de santé interrogés ne refusent pas catégoriquement la prise de son ou d’images dans leur cabinet. Si les couples veulent absolument immortaliser l’échographie, Céline Gorregues les autorise à filmer après demande. Mais à ses conditions. « Je leur dis de s’installer à un endroit précis et de filmer seulement l’écran de l’échographie. » La sage-femme estime qu’elle sera par contre beaucoup plus « aseptisée » si elle est filmée. Exit les blagues, commentaires et autres bavardages. « C’est dommage parce qu’on aura une relation moins privilégiée. » Moins de 24 heures après avoir collé l’affiche sur la porte de son cabinet, la sage-femme a surpris un futur père en train de la filmer pendant qu’elle réalisait une échographie sur sa femme. « Le monsieur s’est excusé… Mais j’en ai vraiment ras-le-bol ».

Que dit la loi ? 

Selon l’article 226-1 du Code pénal, le fait de porter volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en captant, en enregistrant ou en transmettant des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, sans le consentement de leur auteur, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende.

Le fait de porter volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé est puni de la même peine. 

Selon l’article 226-2 du Code pénal, le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1 est également puni de la même peine.