France

Marseille : Au procès d’un entraîneur du pôle France de gym, de jeunes gymnastes décrivent « une ambiance de terreur… »

Par moments, le procès de Vincent Pateau, entraîneur au pôle France de gymnastique de Marseille jugé pour harcèlement moral, a semblé être celui d’un sport où le haut niveau s’atteint très jeune. Une discipline dans laquelle les corps sont travaillés intensément dès l’enfance. Le cas de son homologue Pierre Ettel, mis en cause par une seule des cinq plaignantes et initialement prévu pour l’après-midi a été renvoyé au 7 novembre, tant les débats du tribunal se sont étirés face aux nombreux témoins cités par la défense de Vincent Pateau.

Mais pour l’essentiel, les témoignages des trois jeunes femmes présentes à l’audience, ont exposé leur mal-être qu’elles attribuent à leur ancien entraîneur : « J’allais à la gym la boule au ventre », a raconté Colline, 17 ans aujourd’hui et un corps encore fluet. Depuis le dépôt de la plainte en 2021, elle est la seule à avoir poursuivi la gym et son rêve olympique en partant à Dijon.

Brimades, remarques et punitions

« Le plus dur, ce sont les mots, les mots qui restent », a expliqué la jeune athlète entre deux irrépressibles montées de larmes. « T’es une moins que rien », « pathétique », « une faible », « pas une guerrière », a-t-elle relaté. « Quand c’est répété plusieurs fois dans l’année, on finit par y croire », a résumé la gymnaste dépeignant « une ambiance de terreur » avant de regagner le banc des parties civiles et de recevoir le soutien de ses camarades d’agrès. C’est sa mère, une ancienne gymnaste, également entraîneuse qui a donné l’alerte. « Je connais le haut niveau. Mais j’ai alerté parce que ça allait trop loin ».

Les jeunes gymnastes du pôle passaient six heures par jour au gymnase, en plus du cursus scolaire. Alix, 11 ans à l’époque, « vomissait dans la voiture » la conduisant à la salle, tant l’angoisse était forte. « On était obligé de continuer avec les mains en sang. Quand on se plaignait, il nous faisait monter à la corde – un exercice que l’on faisait aussi tous les jours ». Parmi les « punitions » décrites, celle dite « du vestiaire » a été ressentie comme particulièrement humiliante. « Un rituel », a expliqué Alix.

« Quand je commençais ou quand je n’arrivais pas à faire un exercice, Vincent me disait « Va au vestiaire » ». Un renvoi que l’entraîneur ne concevait à aucun moment comme une punition. « Quand on s’entraîne trente heures par semaine, il y a des fois où ça ne sert à rien d’insister. Je pouvais dire « Va t’habiller, rentre chez toi » ». Mais à 11 ans, Alix, qui habitait à Aix, ne pouvait pas rentrer chez elle. « Je ne dis pas que c’était bien, et je ne le fais plus. C’était une erreur. Mais je ne savais pas qu’elle pouvait ressentir cela comme une punition », s’est défendu Vincent Pateau.

Défilé de témoins de la défense

Thaïs, 18 ans, entraînée par l’intéressé depuis la fin de son primaire et aujourd’hui sur la route JO, est venue le soutenir à la barre. « Aller au vestiaire ce n’est pas une punition. On peut reprendre ses esprits. Je voulais témoigner parce que j’ai été choquée de ce que j’ai pu lire dans des articles », a expliqué la championne de France 2017 et 2018. Elle dit n’avoir jamais constaté ou entendu de « propos dégradant ». « Un complot », s’est même fendue Emilie Roy, entraîneuse également du pôle à Marseille, faisant partie des nombreux témoins cités par la défense. Cheyenne et Léa, deux autres athlètes entraînées par Vincent Pateau – qui les hébergeait par ailleurs – ont jugé « impossible les punitions de la corde ou du vestiaire ». Et d’estimer qu’il est « normal qu’un entraîneur bouscule un peu ses athlètes pour le très haut niveau ». Comme ces propos rapportés : « Je veux que vous soyez des putes à l’agrès ».

« Non, j’ai dit aux filles  »Je veux que vous soyez des chiennes et des tueuses » », a corrigé le prévenu. Et la présidente de relever « un rapport au corps-objet » des athlètes. Les gymnastes étaient pesées deux fois par semaine, marquant leur « score » sur un tableau. Inès, 21 ans à présent, s’était sentie particulièrement visée. « Ce n’était pas juste des pesées, mais des mots sur mon corps, des mots qui sont restés. Et pour moi les pesées, c’était plutôt tous les jours », raconte celle qui pesait 48 kg pour 1 mètre 55. L’examen psychologique réalisé a relevé chez elle une angoisse obsessionnelle et des troubles alimentaires pour lesquelles elle a été hospitalisée deux mois dans une clinique.

« J’ai fait partie de ce mal-être »

« Quand vous tombez de trois mètres de haut, 500 grammes en plus, cela peut provoquer une grave blessure », a justifié Vincent Pateau. « J’ai mal géré. Il y avait une incompétence, il y a cinq ans. Aujourd’hui ce n’est plus comme ça. La première diététicienne qu’on a mise en place, c’est avec elle. Mais dans les mots, non. Une fois, je lui ai dit,  »Le travail que tu fais, ce n’est pas propre. On dirait un petit cochon » ».

« On n’était pas armé pour encadrer des filles qui n’avaient peut-être pas les moyens d’attendre le plus haut niveau. Est-ce qu’on l’est mieux aujourd’hui ? Je crois. Je n’ai pas réussi à faire sortir ces cinq jeunes. (…) Ce qui est vrai c’est leur mal-être. Et que j’ai fait partie de ce mal-être », a conclu Vincent Pateau face aux questions d’Anne-Laure Rousset, l’avocate des victimes.

Véronique Legras, directrice du haut niveau à la Fédération française de gym (FFG), qui est par ailleurs partie civile dans cette histoire, explique au tribunal « ne pas avoir eu connaissance de ces pratiques ». « Mais comme directrice, j’aime changer la culture et amorcer un changement », justifie-t-elle.

Un changement trop tardif pour la procureure qui a estimé « qu’un morceau d’omerta s’est levé » avec ce dossier de harcèlement. « Les pratiques pour amener les athlètes à l’excellence ne peuvent s’affranchir de la loi », a-t-elle relevé, avant de requérir quinze mois de prison avec sursis et une interdiction d’exercer, dont la durée sera à apprécier par le tribunal, si celui-ci devait déclarer Vincent Pateau coupable. La décision a été mise en délibéré au 4 mai.