France

« La Symphonie des éclairs » : Zaho de Sagazan, chanteuse du tonnerre

« Mes parents m’ont appris la folie et qu’il était normal de créer. C’est un privilège énorme quand tu sais qu’il y en a d’autres à qui on dit de fermer leur gueule lorsqu’ils commencent à chanter », admet Zaho de Sagazan. Remercions son père et sa mère de lui avoir laissé une telle liberté, car elle livre ce vendredi La Symphonie des éclairs, premier album du tonnerre, foudroyant le paysage de la chanson française.

Les trois premiers extraits nous laissaient déjà penser beaucoup de bien de la chanteuse. Il y a d’abord eu Suffisamment, belle mélopée à la mélancolie engourdie. Puis Les Dormantes évoquant, en rythme chaloupé, le phénomène d’emprise. Et, plus récemment, la très incarnée et contemporaine Tristesse, au clip saisissant. Zaho de Sagazan a de quoi impressionner.

On la rencontre, début mars, dans un café du 11e arrondissement de Paris. Carré blond sur un ample chemisier immaculé vintage, elle est en pleine séance photo. Le photographe lui fait prendre des poses parfois acrobatiques. Assise, une jambe tendue calée contre un pilier, elle s’en amuse, ironique : « Ça fait très naturel ! » Le résultat sera loin du ridicule : elle est photogénique, elle a du chien. On en oublierait qu’elle n’a « que » 23 ans. Sa voix rauque mais charmante à l’oreille semble avoir vécu plusieurs vies d’avance.

« A 13 ans, j’ai découvert l’ennui »

L’entretien commence et elle s’abandonne d’emblée à la spontanéité, passant sans prévenir de la gravité à la légèreté, et inversement. A la question, « Comment vous présenteriez-vous ? », elle déroule, prolixe, son enfance et sa rencontre avec la musique. Une longue réponse qu’elle est parvenue à condenser en trois minutes dans la chanson La Symphonie des éclairs. « J’ai réussi à décrire la délivrance que j’ai ressentie en prenant conscience que tout ce que je détestais chez moi, cette sursensibilité, c’était ma force. »

Devant le dictaphone, elle raconte son enfance à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) dans une famille nombreuse, entourée de quatre sœurs, dont une jumelle. « C’étaient des années très heureuses, mais je criais, je pleurais beaucoup, relate-t-elle. J’ai toujours été très sensible. » Le jour où ses aînées ont quitté le cocon de la smala a été un tournant. Le brouhaha constant n’était plus là. Elle dit : « A 13 ans, j’ai découvert l’ennui. Il ne restait que ma jumelle. Elle dessinait, ça ne faisait pas beaucoup de bruit. »

Son salut viendra d’un piano « complètement désaccordé », laissé par une de ses frangines. « J’étais alors fan de la musique de Tom Odell. J’ai voulu reprendre Can’t Pretend dont j’avais trouvé les accords sur Internet. J’ai essayé de jouer et j’ai compris que j’avais touché quelque chose d’important. Une heure et demie s’était écoulée mais j’ai eu l’impression que seulement dix minutes avaient passé et j’avais envie de poursuivre encore une heure trente. Je suis devenue alors la petite fille qu’on ne voit plus et qui passe son temps dans cette pièce non chauffée, où personne ne venait me déranger. J’ai pu chanter fort, crier, expérimenter, découvrir ma voix. » Elle a gardé cet attachement à l’instrument. Elle crée systématiquement un morceau en piano-voix – « Je pars du principe qu’une chanson doit se suffire à cela. Ensuite, je commence à l’habiller. »

« Ma mère m’a appris le sens de l’humain et mon père la notion de travail »

Sa maman, institutrice, lui a fait découvrir la chanson française. « Elle est une grande littéraire, elle m’a initiée à Barbara – qui pouvait parfois me tuer parce qu’elle parvenait à résumer en quatre phrases une émotion forte et importante. Ma mère m’a aussi enseigné le sens de l’humain en me faisant comprendre que, chez les autres, il y a toujours quelque chose de bon », avance-t-elle. Son père, Olivier, est plasticien – en 2012, dans le clip d’A l’ombre de Mylène Farmer, il a donné à voir ses transfigurations au grand public. « Il m’a appris la notion du travail, que le talent n’arrive pas comme ça et m’a encouragée à ne faire aucune concession, à ne pas être dans les codes », note-t-elle, reconnaissante.

Adolescente, Zaho de Sagazan se découvre « une grande passion » pour les mots. « Ecrire des chansons m’offrait la possibilité de les choisir, de dire : « ce sera eux qu’on entendra et pas d’autres. » C’est aussi comme si poser les mots qu’il y avait dans ma tête me permettait de résoudre mes problèmes et de me faire mieux comprendre des autres. »

Apparaît une obsession : raconter des histoires en musique. Elle ouvre un compte Instagram où elle poste des créations pour ses copains qui « adorent » et l’encouragent à continuer. « A cette époque, on ne pouvait faire que des vidéos de 15 secondes. Je devais donc faire en sorte que, en cette brève durée, il se passe un truc intéressant, notamment dans les mots. C’est comme cela que j’ai appris le principe du refrain », explique-t-elle.

IPad parental en main, elle s’enthousiasme à générer des mélodies sur Garage Band. Ses posts Insta se font de plus en plus pros. « J’ai commencé à m’amuser avec l’image, à mettre la lumière d’un certain côté, ma tête d’un autre. Cette tête que je détestais à l’époque parce que j’avais très peu confiance en moi. Le seul endroit où je me sentais bien, c’était dans la musique. »

« Des trucs allemands ou russes avec 30.000 écoutes sur Spotify »

Le temps passant, ses posts sur Instagram deviennent toujours plus populaires. « Je travaillais sur mes chansons tout en postant mes petites vidéos, ça me permettait d’avoir des retours des gens. J’ai été repérée et j’ai eu des premières parties [notamment celles d’Hervé, Mansfield.TYA, elle assure également en ce moment celles de Stromae] grâce à ce réseau social. J’ai constitué toute mon équipe comme ça. »

Sa rencontre avec Pierre Cheguillaume et Alexis Delong du groupe nantais Inuït a été déterminante. C’était il y a trois ans et demi. « L’entente a été immédiate. On a commencé à faire de la musique, ils pensaient que je voulais quelque chose de pop, je leur ai dit que ce que j’aimais, c’était les BO de films d’horreur, les synthés, Kraftwerk… » Elle reconnaît que si elle parle beaucoup de chanson française en interview, ce qu’elle écoute au quotidien, c’est surtout « des trucs allemands ou russes avec 30.000 écoutes sur Spotify, des synthés dark. » Cette influence se ressent dans l’album. Imaginez l’âme à fleur de peau de Barbara ressusciter et planer dans un club berlinois.

Zaho de Sagazan est consciente de certaines de ses contradictions. Elle les assume. « Je suis beaucoup dans la projection, dans ce que je veux devenir, je me reproche plein de choses. Entre autres, mon rapport à Instagram, qui est un réseau social que j’adore et m’a appris et permis plein de choses, confie-t-elle. Mais, effectivement, il y a le rapport aux likes. Aujourd’hui, avoir 3.000 j’aime ne me fait plus grand-chose, avant, en avoir 100, je trouvais ça incroyable. Tout est un peu moins dense, je trouve ça triste. » Elle enchaîne : « J’y perds aussi du temps à regarder la vie des autres qui n’est pas si intéressante, faut pas abuser. Parfois, je fais des stories et je me dis que je rentre dans cette dynamique qui ne me plaît pas. Tout le monde s’en fout également de ma vie. »

« Il n’y a rien de plus beau que quelqu’un qui ne se regarde pas »

Elle veille ainsi dans ces textes à ne pas verser dans le narcissisme. « Il y a une universalité dans les émotions, que j’essaie de retranscrire dans mes chansons. Dans Mon corps, par exemple, je ne parle pas explicitement des 15 kg que j’ai pris, car je sais que des gens se détestent parce qu’ils se trouvent trop maigres ou parce qu’ils ont de l’acné », fait-elle remarquer. Son souhait est que chacun se reconnaisse.

La chanson qui clôt l’album, Ne te regarde pas, emprunte le même chemin. Si elle commence de manière très personnelle, le refrain résonne comme une adresse à l’auditoire, comme un conseil donné. « Il n’y a rien de plus beau que quelqu’un qui ne se regarde pas, qui se fout de ce dont il a l’air et qui juste vit, plaide l’artiste. On est une génération qui se regarde, qui prend davantage de temps à soigner son image qu’à veiller à ce qu’elle est vraiment. »

Elle revient, en fin d’interview, sur cette ultime chanson.  « On vit aussi à une époque où on regarde beaucoup les autres. Il y a énormément de jugement. Je ne peux plus entendre l’expression, très répandue,  » Elle est gênante” ». C’est un mot que je ne supporte plus. J’ai envie de dire : « C’est toi qui es gênante, ma pauvre fille, a être gênée pour rien. » Ne faites pas gaffe à ça, soyez libres ! » Il est temps d’écouter, dans tous les sens du terme, Zaho de Sagazan.