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JO de Paris 2024 : A Tahiti, les Jeux sont-ils un risque pour l’environnement ?

On se croirait presque de retour sur le mont Olympe, il y a quelques milliers d’années, à l’aube des premiers Jeux olympiques organisés dans la Grèce antique. Un site majestueux, naturel, qui reçoit des athlètes, sous le regard de quelques spectateurs ébahis par cette nouvelle compétition. Oui, en choisissant d’organiser l’épreuve de surf à Tahiti, sur le mythique spot de Teahupoo, le Comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojo) de Paris 2024 a fait un peu une pause sur le délire gargantuesque des JO.

Voir un petit village de 1.400 âmes, au bout du monde, où la route est coupée, recevoir la machine JO, c’est un peu comme lorsque le chef indien Raoni se retrouve dans des mégalopoles européennes ou américaines. Dans les deux cas, la peur des dégâts de l’homme sur l’environnement est bien présente. « On a flippé, concède Michaël Vautor, patron de Teahupoo Excursion Taxi Boat, qui amène touristes et surfeurs sur LA vague. C’était cool de savoir qu’on accueillait les JO, mais on s’est dit : “Pourvu qu’ils ne nous détruisent pas”. »

A Teahupoo, on ne veut aucun héritage matériel

Installation d’un village olympique, enrochement du littoral qui détruirait la vague qui tube au bord sur laquelle les enfants font leur gamme, construction de tribunes, creusement d’un chenal… Sur fond de manque de communication des institutions, les premières rumeurs ne rassurent pas grand monde. « La population était favorable aux JO, mais sans aucun héritage matériel, aucune perturbation sur la façon de vivre, aucune conséquence sur l’écosystème », explique Cindy Otcenasek, présidente de l’association de défense de l’environnement Vai Ara o Tehaupoo et membre du collectif Mata Ara ia Teahupoo 2024, qui a organisé un sondage dans le village pour connaître les attentes de chacun.

Après avoir médiatisé son combat, elle obtient les premières réponses de la part du Cojo : « Paris 2024 a soutenu le fait qu’ils n’étaient pas là pour perturber l’équilibre qui était en place à Teahupoo, ni pour venir construire quoique ce soit. Ils étaient vraiment là pour venir s’adapter à l’environnement qui les accueillait. » Il n’y aura donc pas de village olympique, pas de tribunes (les spectateurs pourront assister à la compétition via des écrans géants installés sur la plage), pas de chenal creusé. Les seuls aménagements prévus : une rénovation de la marina et de la passerelle qui mène au Fenua Aihere, cette zone, accessible seulement à pied ou en bateau, qui commence à la fin de la route.

Un paquebot pour accueillir les surfeurs

Sans village olympique, et sans rénovation de l’hôtel Puunui, qui était aussi envisagée, les surfeurs seront logés dans un bateau amarré à Vairao, à une dizaine de kilomètres de Teahupoo. « Les paquebots de croisière, ce n’est pas la meilleure solution, ça tourne 24h/24, les moteurs fonctionnent, ce n’est pas très écologique », déplore Cindy Otcenasek.

« Ça aurait été bien que les JO investissent dans un coffre d’amarrage, pour éviter qu’une ancre face des 360° et massacre tout le fond marin », ajoute Michaël Vautor. Alors que pendant le circuit mondial, les surfeurs sont logés chez les habitants, là, pour les JO, ils ont pour obligation d’être tous logés à la même enseigne. D’où la solution du paquebot.

C’est la seule solution qui nous reste, répondait Barbara Martins-Nio, la responsable du site de Tahiti pour le Cojo sur TNTV. Ce n’est pas non plus un monstre de paquebot. Mais c’est tout de même plus de 10 jours en mer, et c’est un point important du cahier des charges, qui compte dans nos critères d’évaluation, notamment sur la capacité du croisiériste de pouvoir étudier des solutions d’amélioration, notamment de l’empreinte carbone (…) Ce n’est pas forcément idéal, mais la presqu’île, aujourd’hui, ne nous offre pas beaucoup de possibilités. »

Préservation du Fenua Aihere

Les habitants de Teahupoo restent aussi vigilants, malgré les promesses des organisateurs, sur la préservation du Fenua Aihere. « C’est le seul endroit de Tahiti qui est presque intact, où a été mis en place le rahui, une zone où personne ne peut aller, où le lagon se régénère, commente Annick Paofai, présidente de l’association de défense du Fenua Aihere. Ce qui m’inquiète, c’est que, pendant les Jeux, il y aura beaucoup de bateaux qui viendront visiter l’endroit, car il est vraiment magnifique. Le risque, c’est de briser les coraux, polluer la rivière. »

Du côté de la mairie de Teahupoo, on préfère rassurer les administrés. « On est en train de créer une charte touristique durable, nous explique la maire déléguée, Roniu Tupana-Poareu, et Hélène Maitere Fariki, la secrétaire générale des services. Derrière toute cette organisation, le but, c’est la préservation de notre commune, respecter le vert, la propreté de nos lagons. C’est un challenge que Paris 2024 a compris. C’est une des plus belles communes de Tahiti, car elle est préservée. Un endroit tellement beau qu’on ne veut pas qu’il soit dégradé. Pour l’écosystème, ça pourrait être dramatique si les choses n’étaient pas faites en amont. Or, là, tout sera prêt. »

La tour des juges, installée dans le lagon, lors de l'épreuve du circuit mondial, sera agrandie d'un niveau pour accueillir plus de monde lors des JO.
La tour des juges, installée dans le lagon, lors de l’épreuve du circuit mondial, sera agrandie d’un niveau pour accueillir plus de monde lors des JO. – Jerome Brouillet / AFP

La tour des juges, le point noir pour le vert ?

Mais une dernière pierre d’achoppement inquiète les associations de défense de l’environnement : l’installation de la tour des juges, dans le lagon. Si celle-ci est bien présente lors des épreuves du circuit mondial, que ça soit le Tahiti Pro ou le Billabong Pro, elle va avoir une autre allure pour les JO, ce qui inquiète les habitants. De 10 à 20 personnes, cette plateforme pourra en accueillir entre 100 et 200. « C’est une tour de trois niveaux [un de plus que la traditionnelle], nous détaille Hélène Maitere Fariki. Elle vient s’installer au même endroit que l’ancienne, mais avec un étage plus haut. Elle sera plus large, plus consolidée, avec une structure en acier arrimée sur des blocs en béton existant, mais qui vont être renforcés. »

Les conséquences sur les fonds marins pourraient être importantes. « J’ai été un peu choqué quand j’ai appris qu’ils voulaient faire une tour de 200 personnes dans le lagon et qu’ils voulaient déplacer des patates de coraux, regrette Michaël Vautor. Mais ça va déplacer intelligemment, même s’il y a quelques patates qui vont mourir. »

L’objectif est de toucher au minimum aux fonds marins, répond la secrétaire générale des services. Il y aura des câbles tirés dans l’eau pour rejoindre la plateforme, et il y aura forcément des travaux d’excavation. »

Mais, comme pour le Tahiti Pro ou les autres compétitions, cette tour sera enlevée à l’issue de la compétition, nous assure-t-on du côté des institutions. Pourtant, sur le site des JO 2024, il est bien précisé que « les légers aménagements temporaires disparaîtront après la compétition, à l’exception de la nouvelle tour des juges. Une fois construite, elle permettra à la Polynésie française de bénéficier d’une infrastructure permettant d’accueillir de grands événements de surf. » « Il va vraiment falloir qu’on reste vigilants », conclut Cindy Otcenasek. Il y va de la préservation de ce petit coin de paradis.