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Eurovision 2023 : Mae Muller représentera le Royaume-Uni et ça irrite les conservateurs

Il y a plusieurs manières de présenter Mae Muller. La plus factuelle : elle est une autrice, compositrice et interprète britannique de 25 ans et elle représentera le Royaume-Uni à l’Eurovision en mai. La plus marketing : « Une voix forte pour une génération désabusée », selon le communiqué de presse. La plus outrancière : elle est « une activiste de gauche haïssant Boris Johnson et ayant déclaré qu’il ne méritait pas un lit en soins intensifs alors qu’il se battait pour sa survie », dixit le très sérieux quotidien (de droite) d’outre-Manche The Telegraph. Le journal, qui a fait apparaître la chanteuse à sa Une le week-end dernier, a exhumé des tweets datant d’il y a trois ans.

Le 8 avril 2020, alors que le Premier ministre de l’époque était hospitalisé à Londres, Mae Muller a tweeté : « Je n’éprouve aucune peine pour Boris Johnson. Oui, il est humain, oui, il a des enfants, mais c’est aussi le cas de centaines d’autres personnes qui sont mortes en raison de la politique des Tories [le parti conservateur auquel appartient Johnson]. Occuper un lit en soins intensifs alors que vous n’êtes pas sous respirateur artificiel (…) ? Non, mon gars. »

Elle avait enchaîné : « Les infirmières dont vous chantez les louanges dans vos discours sont les mêmes que celles dont vous avez choisi de réduire les prestations sociales (…) ce sont les mêmes qui n’ont pas les moyens d’accéder à des tenues de protection et qui meurent littéralement à cause de vous. Boris n’a pas ma sympathie et ne l’aura jamais. »

« Si la BBC pense qu’imposer sa candidate de gauche nous fera réintégrer l’UE… »

The Telegraph a cité d’autres messages, dans lesquels Mae Muller exprime son aversion pour le parti conservateur en des termes plus ou moins fleuris. « D’ignobles insultes gauchistes », s’est indigné Lee Anderson, porte-parole des Tories. Ce dernier reproche à la BBC, qui organise l’Eurovision à Liverpool cette année, d’avoir manqué de « sens commun » en choisissant cette chanteuse pour représenter le Royaume-Uni.

« Si la BBC pense qu’imposer sa propre candidate de gauche nous fera réintégrer l’Union européenne, eh bien, elle devrait y réfléchir à deux fois », a insisté Lee Anderson prouvant la capacité du concours musical à attiser les passions politiques. Le député Craig Mackinlay a quant à lui jugé les propos de l’artiste de « grossiers et désagréables » et estime qu’ils représentent la « norme » parmi les opinions des effectifs de la BBC. David Jones, lui, la qualifie de « talentueuse » mais suggère qu’elle « soit un peu plus humaine » pour espérer faire une longue carrière.

Au moment où ces lignes sont écrites, Mae Muller n’a pas réagi officiellement. Trois jours avant que la controverse (ou plutôt la tempête dans le verre d’eau) éclate, elle répondait à nos questions, via Zoom, depuis un studio de Londres. Débardeur Adidas rouge sur tee-shirt blanc, longs cheveux bruns lâchés, elle était à l’aise, un rire toujours prêt à surgir au détour d’une phrase. Pas vraiment le profil de l’agente infiltrée recrutée pour renverser le Brexit en quelques vocalises, plutôt celui de l’artiste bonne copine, qui a le bon goût de ne pas trop se prendre au sérieux.

A 9 ans, elle jouait dans un clip de Mika

« J’ai eu un girl crush », un coup de cœur pour une fille, nous confie-t-elle quand on lui parle de ses tweets contant fleurette, pour rire, à Noa Kirel, qui représentera Israël à l’Eurovision. « Elle est si talentueuse et époustouflante ! J’aime sa chanson. On va sortir ensemble à Liverpool et ont deviendra peut-être super potes ! », imagine Mae Muller. Elle aime aussi La Zarra, qui chantera pour la France – « Je la trouve très cool, elle est une telle patronne ! » –, les Autrichiennes Teya et Salena – « leur chanson Who The Hell is Edgar ? est très maligne » – et l’Espagnole Blanca Paloma. « En vrai, je suis une fan girl avec tout le monde », assure-t-elle. On en oublierait presque qu’elle ne sera pas dans le public mais sur scène lors de la finale le 13 mai.

Ce soir-là, elle chantera I Wrote a Song, une chanson de rupture. Dans les paroles, qu’elle a cosignées, elle dit que plutôt que d’insulter en public son ex infidèle ou de « démolir [sa] Benz », elle a canalisé sa colère en écrivant une chanson. « Je voulais que mon message soit émancipateur (« empowering »). Je ne suis pas allée en studio pour écrire un tube, mais quelque chose qui aide les gens à se sentir bien, avance Mae Muller. Quand on traverse une période difficile, on s’embourbe facilement dedans. Je l’ai vécu. Là, j’ai pris ces émotions négatives pour les transformer en quelque chose de positif. Comment pourrais-je être la meilleure version de moi-même en cet instant ? En écrivant de la musique. »

La musique, elle est tombée dedans toute petite, ou presque. A 9 ans, elle passait pour la première fois devant les caméras pour le clip de Grace Kelly, le tube de Mika à qui elle donnait la réplique. « Je m’en souviens parfaitement. Il m’a mis d’emblée à l’aise. Pour moi, c’était magique d’être sur un tournage, de voir tout le monde s’affairer, je trouvais ça captivant. Je me suis dit que j’aimais ce feeling. Du plus loin qu’il m’en souvienne, la musique a toujours été essentielle pour moi. »

Bons classements

A 8 ans, elle écrivait ses premiers textes, mais ses chansons sont longtemps restées contenues entre les quatre murs de sa chambre. C’est en postant certains morceaux sur Soundcloud en 2017 qu’elle a été repérée. Entre 2018 et 2020, elle a sorti trois EP. Une carte de visite qui lui a permis d’assurer les premières parties des Little Mix en 2019 et de faire un featuring sur Better Days du collectif Neiked, qui a cartonné dans les pays anglo-saxons en 2021 et a été surutilisé sur TikTok.

Avec I Wrote a Song, Mae Muller a trouvé une place dès la semaine de sa sortie dans le top 40 des meilleures ventes au Royaume-Uni. Du jamais vu pour une chanson locale de l’Eurovision depuis un paquet d’années. « J’étais sur un nuage en voyant qu’elle intégrait le classement aussi rapidement. Cela voulait dire que les gens aimaient cette chanson et qu’elle leur parlait. C’est tout ce que je demandais. »

A un mois du concours, elle émarge à la neuvième place des favoris pour remporter l’Eurovision, selon les bookmakers. « Je ne regarde pas les pronostics, mais d’autres personnes le font et viennent m’en parler. Bien sûr, je souhaite faire un bon classement mais je ne veux pas me laisser distraire. Je préfère me concentrer sur le fait de livrer la meilleure prestation possible, pour que je puisse me dire : « Je n’ai jamais été aussi bonne et je n’aurais pas pu faire mieux. » »

« Je veux que les gens se lèvent et dansent »

Mae Muller défendra donc les chances britanniques à domicile, une année après la place de dauphin obtenue par son compatriote Sam Ryder. Elle ne se laisse cependant pas accabler par la pression. « Depuis la deuxième place de l’an passé, ici, les gens sont plus optimistes qu’avant au sujet de l’Eurovision. L’énergie est vraiment différente, je le sens. Je pense que ça va rendre mon expérience encore plus enthousiasmante. Je suis plus excitée par tout ça que nerveuse. »

Son passage sur scène à Liverpool impliquera « de la chorégraphie ». « Je veux avoir l’impression d’être dans une fête et que les gens s’amusent en m’écoutant, qu’ils gagnent en confiance, qu’ils soient dans la salle ou sur leur canapé. Je veux qu’ils se lèvent et dansent. » Sauf, peut-être, Boris Johnson.