France

Emmanuel Macron a-t-il changé la « Déclaration des droits de l’homme » sur le site de l’Elysée ?

Etrange phénomène remarqué sur Twitter. Sur le site de l’Elysée, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) aurait été modifiée. Le changement en question concernerait l’article 1 qui stipulerait selon l’internaute : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

Désormais sur le site de l’Elysée, il serait écrit : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Toujours d’après l’internaute, cela permettrait à Emmanuel Macron de s’affranchir de certains droits. « C’est pour justifier la suspension des non vax ? Ça prépare un apartheid ? », se demande-t-on sur Twitter.

Mais y a-t-il eu réellement une modification suspecte sur le site de l’Elysée ? 20 Minutes fait le point.

FAKE OFF

Sur le site de l’Elysée, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est bien citée et nous lisons sur l’article premier : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Celle-ci a été adoptée en 1789 lors d’une nouvelle ère politique post-Révolution française. La Déclaration figure notamment en préambule de la Constitution et sa valeur constitutionnelle est reconnue depuis 1971.

L’article cité plus haut, celui qui aurait été modifié, dit pour rappel ceci : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». En réalité, cet article existe bien mais provient de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Celle-ci est votée bien plus tard, en 1948. Au palais de Chaillot, à Paris, 58 Etats membres ont adopté une charte universelle précisant les droits fondamentaux de l’homme.

Ce que dit la Constitution

Mais est-il réellement possible de modifier la Constitution si facilement que prétendent les internautes ? D’après le site du Conseil constitutionnel, il est possible d’utiliser une révision constitutionnelle d’après l’article 89. Elle peut être à l’initiative du président de la République ou de n’importe quel parlementaire. « Une fois inscrit(e) à l’ordre du jour du Parlement, le projet ou la proposition de révision doit être voté(e) en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat. […] À la différence de ce qui se passe pour les lois ordinaires, le Gouvernement ne peut pas donner à l’Assemblée nationale « le dernier mot » en lui demandant de statuer définitivement en cas de désaccord avec le Sénat », souligne le Conseil constitutionnel.

Mais le préambule – dont fait partie la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – est-elle modifiable au même titre ? « En droit théorique, oui, parce que la Déclaration des droits de l’Homme fait partie d’une norme constitutionnelle. Donc elle pourrait en droit absolu être modifiée », confirme Jean-Eric Gicquel, professeur en Droit constitutionnel et institutions politiques à l’Université de Rennes 1. En 2005, par exemple, le préambule de la Constitution a été modifié pour intégrer la Charte de l’environnement.

« Une valeur symbolique » préférée

Pour le maître de conférences en droit public à la Sorbonne, Julien Padovani, la réponse est moins certaine. « Sur le plan formel, on pourrait penser que c’est possible… le pouvoir de révision pouvant tout faire ou presque ». Mais pour lui, le texte de 1789 reste le texte de 1789. « Il faudrait en outre modifier le préambule de la Constitution en évoquant la « Déclaration de 1789 révisée par… ». Une solution reviendrait à en supprimer la mention du préambule et à rédiger une nouvelle charte ».

Pour le maître de conférences, le pouvoir de réviser la Constitution n’est pas illimité. « Nous ne pouvons pas supprimer la référence à la Déclaration du texte constitutionnel sans produire une révolution juridique non légitime », justifie-t-il. Dans ses travaux, Julien Padovani prône davantage de garder en l’état la DDHC dans la Constitution et d’adopter une nouvelle charte des droits et libertés, plus moderne et plus adaptée au contrôle de constitutionnalité. « Cela redonnerait donc à la DDHC une valeur symbolique, celle qu’elle a eue pendant deux siècles ».