France

De la colonisation aux plus grandes collections, le rhum poursuit sa mue vers l’excellence

Il était une fois l’histoire d’une boisson à la mauvaise réputation qui côtoie aujourd’hui les étagères des plus grands spiritueux. Sous-produit de l’industrie sucrière au temps de la colonisation, le rhum n’est désormais plus l’apanage des esclaves, marins ou pirates. « C’est un alcool qui possède une image ambivalente liée à son histoire riche et compliquée », résume Maître Hélène Martin, commissaire-priseur en Martinique, spécialiste en rhum.

Aujourd’hui, le rhum est la troisième eau-de-vie consommée en France après le whisky et le brandy. « Entre 2018 et 2021, le volume des rhums haut de gamme en France a crû de plus de 50 % et même presque doublé si on ne s’intéresse qu’au très haut de gamme », souligne Cyrille Hugon, fondateur du Rhum Fest.

Une campagne de « premiumisation »

L’âge d’or du rhum commence dans les années 2000, avec l’arrivée de nouvelles techniques de production. Ces expérimentations sur le produit brut (la canne à sucre) offrent une diversité de produits aux saveurs gourmandes. Viennent fréquenter les rhums blanc, ambré et vieux, les rhums arrangés, épicés ou encore aromatisés (au grand dam de certains puristes). Il y en a donc pour tous les goûts et pour le plus grand nombre, contrairement aux whiskies aux arômes jugés plus secs. « On a réussi à démontrer que le rhum était très riche, même au sein d’une même distillerie », se réjouit Me Hélène Martin.

Les producteurs travaillent dans le même temps sur le packaging, la formation de nouveaux talents et la communication autour de la boisson. « Un vrai cercle vertueux », pour Cyrille Hugon qui a vu cette « premiumisation » faire son chemin durant les deux dernières décennies. « En France, elle a été très marquée. Nous avons des connaisseurs pointus, un réseau de distribution de cavistes qui peuvent proposer 100 rhums différents et la plus belle sélection du monde », explique l’organisateur du Rhum Fest.

L’eau-de-vie est aussi montée en gamme dans les supermarchés. « Avant dans les rayons, l’offre était mélangée, maintenant, elle est structurée avec plus de références et pas que du rhum blanc agricole », fait observer le connaisseur. L’effervescence touche plus largement le marché des spiritueux. En témoignent les récents rachats : celui de la marque vénézuélienne Diplomatico (encore désolée aux puristes) par Brown-Forman, le propriétaire du célèbre whisky Jack Daniel’s, fin 2022 ; et la vente du rhum philippin Don Papa, acquis par Diageo (Johnnie Walker et Smirnoff) pour 260 millions d’euros, en janvier dernier.

« Rhum is fun »

La richesse et la noblesse des rhums sont au cœur du Rhum Fest de Cyrille Hugon. « Je veux monter que  »rhum is fun, rhum is cocktails, rhum is voyages » », s’amuse-t-il. Il a d’ailleurs ouvert en 2020 une section dédiée aux rhums arrangés, face à l’essor de ces préparations. Mais qu’est-ce un bon rhum ? « C’est faire plaisir, un équilibre de notes aromatiques. C’est un produit qu’on déguste aujourd’hui et vers lequel on veut revenir demain », nous répond Karine Lassalle, responsable qualité Rhums et maître de Chai depuis 2018 de la maison J.M en Martinique.

« Aussi, nous n’avons pas un bon rhum si nous n’avons pas le bon produit et une belle philosophie pour le produire, à savoir notamment la valorisation du terroir et le respect des savoir-faire », ajoute détaille cette chimiste de formation, qui rêvait de devenir nez en parfumerie avant de tomber dans le monde des spiritueux. Reconnus à l’international, les maîtres de chai sont aussi sur le devant de la scène. Ils portent la responsabilité de garantir la qualité du rhum et le tire vers des objectifs de tendance et d’excellence. « Ça nous pousse à toujours créer, à se remettre en questions et à imaginer de nouvelles techniques », analyse Karine Lassalle.

De la complexité et de l’élégance

Aujourd’hui, le milieu plébiscite des profils comme des ingénieurs agronomes ou des chimistes avec de plus en plus de compétences et des notions et connaissances plus pointues dans le process.  « Cette technicité se perfectionne au fil des années et on obtient des produits de plus en plus précis donc plus rares, car les produits de haute qualité prennent du temps. C’est pour cela qu’on a souvent des éditions limitées », détaille la responsable qualité rhums.

Véritable passionnée, Hélène Martin a créé, il y a trois en Martinique, une vente thématique autour du rhum et des spiritueux intitulée Rhum’Antico. Elle fait tout son possible pour « tisser des liens entre l’histoire de chaque rhum et l’objet qu’il représente ». Au sein de ces ventes aux enchères, la commissaire-priseur accueille des profils variés allant d’acheteurs locaux à des collectionneurs internationaux. A l’inverse d’autres spiritueux, les prix premium du rhum sont moins onéreux et commencent à 25 euros. « Les collectionneurs cherchent de plus en plus la complexité par ce côté festif mais à la fois élégant et de caractères », observe Karine Lassalle des Rhums J.M. Les cuvées uniques sont très recherchées par les clients d’Hélène Martin, tout comme les « trésors des distilleries disparues » dont l’état des bouteilles sera scruté à la loupe.

Une ère de renouveau

Dans les années 1960 jusqu’aux années 1990, les moulins et distilleries dans les Antilles françaises et britanniques ont connu une vague de fermetures. Mais depuis peu, les microbrasseries, microdistilleries ou autres héritiers se relancent dans l’aventure de la canne. C’est notamment le cas en Guadeloupe de la distillerie Papa Rouyo ou en Martinique de Braud & Quennesson ou encore de l’Habitation Beauséjour avec le rhum HBS. « C’est la marque d’un renouvellement. Toute la filière se montre digne et légitime », se réjouit Hélène Martin.

Mais le rhum ne se cantonne pas aux frontières caribéennes. En effet, « la canne pousse sur tous les continents sauf en Antarctique », nous fait remarquer espièglement Cyrille Hugon, notamment en Corse où est né Rhum Tia, le premier rhum brun traditionnel corse. Dans sa dernière édition, Rumporter, le premier magazine mondial consacré au rhum et à sa culture, dirigé par Alexandre Vingtier, publie un dossier spécial sur les distilleries de l’Hexagone. De la Thaïlande au Vietnam, en passant par l’Australie, ce sont désormais plus de 70 pays qui distillent l’eau-de-vie issue de la canne à sucre ou de ses dérivés comme la mélasse ou le sirop. Le rhum a définitivement conquis le monde entier.