France

Comment Pap Ndiaye compte-t-il booster la mixité sociale à l’école ?

De fortes attentes, une très longue période de gestation… Le plan en faveur de la mixité sociale et scolaire, reporté en mars, puis en avril, devait être dévoilé ce jeudi. Mais le ministre de l’Education, Pap Ndiaye a décidé de différer ses annonces à mercredi prochain lors de la signature d’un protocole sur le sujet avec l’enseignement privé. Tout juste a-t-il laissé filtrer quelques informations sur la réunion de ce jeudi avec les recteurs. Quitte à susciter encore plus d’impatience, voire de déception, chez les acteurs de l’Education. « On attend des annonces depuis novembre. Si elles sont reportées, c’est sans doute parce que le dossier est sensible politiquement », commente la secrétaire générale du Snes-FSU, Sophie Vénétitay.

Pap Ndiaye est d’autant plus attendu sur le sujet, qu’il s’était engagé à agir sur ce dossier dès son arrivée Rue de Grenelle. Dansune tribune publiée dans Le Monde en décembre, il avait enfoncé le clou, déclarant son intention de « lutter contre tous les déterminismes sociaux ». « Une école qui, tout en la promettant, n’accorde pas l’égalité produit non seulement des injustices, mais aussi une défiance et un sentiment de colère dans les classes populaires », avait-il écrit. Par ailleurs, la publication ces derniers mois des indices de position sociale (IPS) des écoles, collèges et des lycées, mesurant la situation sociale des élèves, avait encore souligné la ségrégation sociale existant dans le système scolaire français.

Un objectif chiffré fixé aux établissements publics

Ce jeudi, Pap Ndiaye avait donc convoqué les recteurs pour les aiguiller sur le sujet. Il leur a fixé l’objectif d’accroître la mixité sociale dans les établissements publics « en réduisant les différences de recrutement social entre établissements de 20 % d’ici à 2027 », rapporte son entourage. Une ambition chiffrée que salue Rémy-Charles Sirven, secrétaire national du SE-UNSA et secrétaire général du Comité national d’action laïque (Cnal) : « Jean-Michel Blanquer n’avait fixé aucun objectif en matière de mixité scolaire. Or, c’est utile de fixer un cap et un délai raisonnable pour l’atteindre. »

Pour ce faire, le ministre a demandé aux recteurs de créer une instance académique de pilotage de la mixité scolaire, associant les collectivités territoriales, les représentants des établissements et des parents d’élèves. Le but étant d’adapter les solutions à chaque territoire. « Il est difficile qu’une expérimentation dans le domaine soit duplicable partout, car la composition sociale des établissements est très différente d’un territoire à l’autre », souligne Rémy-Charles Sirven. Une feuille de route des actions prévues sera établie à la fin de l’année 2023.

Multiplier les secteurs bi collèges

En attendant des annonces précises, certains éléments de la boîte à outils que compte proposer le ministre aux académies sont déjà connus. Pap Ndiaye souhaite par exemple, développer des « sections d’excellence » dans des établissements défavorisés, comme les sections internationales, les classes à horaires aménagés en musique, cinéma, théâtre. A la rentrée, seize sections internationales devraient ouvrir, d’après les propos du ministre au Sénat en mars. Un moyen de lutter contre l’évaporation d’une partie des élèves vers le privé. Mais qui suscite aussi des critiques : « Il faut faire attention que ces sections ne rassemblent pas des élèves favorisés dans une même classe, alors que leurs camarades moins favorisés seraient dans les autres classes », relève Rémy-Charles Sirven.

Le ministère prévoit aussi de multiplier les secteurs bi collèges, expérimentés depuis 2016 à Paris, sous l’impulsion de la ministre de l’Education socialiste, Najat Vallaud-Belkacem. Le principe est de choisir deux collèges publics géographiquement proches, mais qui accueillant des élèves d’origines sociales très différentes. Et de scolariser ensemble leurs élèves, en les affectant dans ces deux collèges. Les secteurs bi collèges déjà créés à Paris ont démontré leur efficacité. Environ 200 collèges pourraient prendre part à cette expérimentation. Sophie Vénétitay émet cependant certaines réserves : « Dans ces secteurs bi collèges, la mixité scolaire s’est certes améliorée. Mais les équipes font remonter leurs besoins de moyens supplémentaires, par exemple, pour proposer des cours de soutien aux élèves issus d’écoles défavorisées qui se retrouvent mélangés avec des camarades qui ont parfois un niveau scolaire plus élevé. » L’initiative mise en place à Toulouse en 2017 fera aussi des émules. Des collèges ségrégués du quartier du Grand Mirail avaient été fermés et leurs élèves avaient été répartis dans des zones plus favorisées.

Le privé devrait être ménagé…

Le gouvernement souhaite aussi impliquer l’enseignement privé sous contrat (essentiellement catholique), l’Etat finançant les trois quarts du budget de ces établissements. Mais les mesures qui seront annoncées devraient être limitées, car le sujet est hautement inflammable. Le ministre semble avoir déjà renoncé à imposer des quotas de boursiers aux établissements privés et à les rattacher à la carte scolaire. Philippe Delorme, le secrétaire général de l’enseignement catholique, et Éric Ciotti, le président des Républicains, ayant agité le spectre d’une « guerre scolaire ».  « Cette menace brandie a sans doute convaincu le gouvernement a ne pas imposer à l’enseignement privé des mesures trop contraignantes qui l’auraient plongé dans une impasse politique », croit Rémy-Charles Sirven.

Selon les premières pistes évoquées, l’enseignement privé devrait être incité à accueillir plus de boursiers en permettant aux familles de bénéficier d’aides sociales des collectivités territoriales pour financer la cantine notamment. Les établissements privés seront aussi encouragés à pratiquer des tarifs différenciés en fonction des revenus des familles. Des mesures que redoute Sophie Vénétitay : « Elles risquent de conduire à une exfiltration des meilleurs élèves boursiers du public dans le privé. »

Rémy-Charles Sirven est aussi sceptique et croit davantage en la proposition de loi du sénateur communiste Pierre Ouzoulias qui invite conditionner le financement des établissements scolaires privés sous contrat à des critères de mixité sociale et scolaire.