Belgique

Zakia Khattabi veut en finir avec sa cure de discrétion : “Co-présidente, j’étais présentée comme radicale. C’était quand même vachement plus efficace”

La fin de la législature approche. Quels sont vos projets personnels en vue de 2024 ?

Je suis candidate tête de liste au Fédéral, pour Bruxelles (Ndlr : l’assemblée générale régionale d’Écolo à Bruxelles devra valider sa candidature en décembre, mais elle est la seule candidate pour le poste).

Il y avait un doute quant à vos intentions. Pourquoi ce choix ?

À l’heure où des figures, singulièrement des femmes comme Gwendolyn Rutten ou Catherine Fonck, quittent la politique, et sachant que mon parcours personnel n’a pas été simple, j’ai beaucoup hésité à continuer la politique. En mai-juin, j’hésitais encore… Mais mon engagement ne vient pas de nulle part. C’est d’abord un engagement pour les miens. En juillet, j’ai perdu mon papa. Ça arrive à tout le monde, évidemment (ses yeux s’embuent, sa voix frémit, NdlR). Quand ma maman a rangé ses affaires, on a retrouvé une enveloppe dans laquelle il avait plié la première interview que j’ai donnée en 2009. C’était avec Vincent Rocour, dans La Libre Belgique. Ça a été un choc pour moi, de me dire que mon papa était allé acheter le journal, avait déchiré la page et l’avait pliée soigneusement. Il ne me l’avait pas dit, ce n’était pas quelqu’un qui exprimait ses sentiments. Ça a été assez bouleversant de se rappeler la fierté qui était la sienne… Ça m’a ramené aux origines de mon engagement.

On perd parfois cela de vue, dans votre fonction ?

Quand on a le nez dans les responsabilités, avec les injonctions, quand on est pris dans le mainstream, dans la gestion, et on oublie. Mes parents – mon papa était ouvrier – ont fait de moi une présidente de parti, une ministre et pourtant, mon père continuait de penser qu’il n’avait pas tout à fait réussi sa vie parce qu’il n’avait pas le dernier modèle de Mercedes… Plutôt que de me préoccuper de ce que les éditorialistes et mes opposants pensaient de moi, je me suis rappelé que la politique, ce n’était pas pour eux que je la faisais. C’est venu des tripes : je continue au nom des miens, en mémoire de mon père. Dans le climat ambiant, autour de l’asile et de la migration, ça veut dire quelque chose. Cette candidature est un acte de résistance.

guillement

Après trois ans où j’ai plutôt été discrète, en ne participant pas au débat public de manière globale, je veux retrouver de la voix. Je ne souhaite pas nous laisser imposer les termes du débat public. Je veux peser sur les termes du débat et participer à le réorienter. »

Pourquoi avoir pensé à arrêter la politique ?

Pour un profil comme le mien, être à ce niveau de pouvoir, c’est n’est pas encore évident. Pourtant, j’ai été co-présidente de parti, j’ai fait gagner Écolo (en 2019), j’ai une expérience politique. Au final, l’expérience Vivaldi, comme ministre, m’a confortée dans l’idée qu’on ne peut pas laisser le pouvoir aux mains des mêmes. Je ne peux pas laisser la place. Il faut que la gauche et les écologistes se renforcent avec des profils comme les miens. On connaît l’histoire de tout ce que mon profil, à la co-présidence comme lors de ma candidature à la Cour constitutionnelle, a suscité comme réactions négatives. Après trois années durant lesquelles je n’ai pas participé au débat public de manière globale, je veux retrouver de la voix. Et en redonner une à ceux qui ont fondé mon engagement.

guillement

« Quand j’étais co-présidente d’Écolo, j’étais présentée comme ce qui se fait de plus radical. Quand je vois les résultats que j’ai obtenu, je me dis que c’est quand même vachement plus efficace. Ici, cela fait trois ans que je suis dans mon département, j’ai joué la loyauté, la discrétion. Est-ce que cela donne plus de résultats? Je ne sais pas…

Vous allez retrouver votre style de présidente, qui n’est pas celui de la ministre ?

Quand j’étais présidente, j’étais présentée comme ce qui se fait de plus radical. Quand je vois les résultats que j’ai obtenus, je me dis que c’est quand même vachement plus efficace. Ici, depuis trois ans dans mon département, j’ai joué la loyauté, la discrétion. Est-ce que cela donne plus de résultats ? Je ne sais pas… En tout cas, forte de mon expérience de co-présidente de parti et de ministre, je reviens avec une voix que je veux faire entendre. Il faut assumer une parole différente, dans la médiocrité du débat particratique belge. Sur le climat comme sur le genre, il existe un gouffre entre les discours et la réalité. Toutes ces raisons font que certaines collègues partent… Je ne souhaite pas nous laisser imposer les termes du débat public. Je veux peser sur les termes du débat et participer à le réorienter.

Gwendolyn Rutten se retire de la politique nationale. C’est une ancienne collègue, ella a présidé l’Open VLD.

Quand j’ai vu ce qu’elle annonçait (Ndlr : elle a démissionné en dénonçant un “traitement irrespectueux”), je voulais lui écrire un message pour dire : ‘En partant parce qu’ils ne te donnent pas de responsabilité, tu leur donnes ce qu’ils voulaient et tu leur facilite la tâche’. Je me suis dit aussi que certains seraient contents si moi aussi j’arrêtais. Tout ça m’a conforté dans mon choix.

Paradoxalement, le Premier ministre Alexander De Croo se dit féministe et a même écrit un livre sur les femmes en politique.

Ça lui appartient. En effet, il y a ce qu’on écrit, puis il y a ce qu’on fait…

Vous parlez d’orienter les termes du débat public. Actuellement, il porte sur la sécurité et l’immigration.

Sur la sécurité, un peu d’humilité de tout le monde ferait du bien. Quand on voit les plus grandes figures dire ‘Les états ne reprennent pas leurs ressortissants’, puis qu’on apprend que la Tunisie l’avait demandé (NdlR : l’extradition de Lassoued, l’auteur de l’attentat de Bruxelles)… C’est une leçon qu’on doit tirer. Le débat, aujourd’hui, n’est pas organisé sur une réalité objective, mais sur la base d’un agenda. On voit le MR instrumentaliser et réécrire une actualité. Que ce soit eux ou Theo Francken qui remet sur la table l’enferment des familles déboutées, on voit bien que tout fait farine au moulin pour un agenda réactionnaire. Il n’y a pas qu’en Belgique que c’est ainsi, même si l’Espagne nous donne un peu de lumière dans un océan de droitisation extrême du débat public.

La dynamique des élections, si cela continue ainsi, pourrait porter sur la sécurité et d’autres thèmes qui ne sont pas favorables à la gauche et à Écolo.

Absolument, mais la sécurité est aussi importante pour nous écologistes que pour les autres. Ma réalité par rapport aux actes terroristes et à la guerre au Proche-Orient, c’est aussi ma maman qui me dit que, quand elle est dans le métro, elle attend que les portes soient ouvertes pour s’avancer. Parce qu’elle a peur qu’on a la pousse sur les rails. C’est ça aujourd’hui aussi la réalité de la communauté musulmane, et de la communauté juive, qui s’inquiète. Il n’y a aucune raison de laisser l’enjeu de la sécurité à la droite.

Zakia Khattabi, est une femme politique belge bruxelloise francophone, membre du parti Ecolo. Elle a été coprésidente du parti du 22 mars 2015 au 15 septembre 2019, d'abord avec Patrick Dupriez, puis avec Jean-Marc Nollet à partir du 9 novembre 2018
Zakia Khattabi, est une femme politique belge bruxelloise francophone, membre du parti Ecolo. Elle a été coprésidente du parti du 22 mars 2015 au 15 septembre 2019, d’abord avec Patrick Dupriez, puis avec Jean-Marc Nollet à partir du 9 novembre 2018 ©cameriere ennio

Mais quand on parle de sécurité, on ne parle pas, par exemple, du climat.

Le climat est la question sociale du siècle. Je considère aussi que le climat est une question de sécurité nationale. On l’a vu avec les inondations. La question de l’asile à un moment donné va aussi tourner autour du climat et amener de nouvelles vagues migratoires. Ma candidature au fédéral, je le répète, je la présente au nom des miens et à la mémoire de mon père. Je le dis avec beaucoup d’émotions, c’est encore très récent, c’est la rencontre de mon père avec la Belgique qui a permis ça (sa voix tremble à nouveau, NdlR). La vague migratoire n’a pas fourni des terroristes, mais des ministres, des avocats, des médecins, des balayeurs de rue, des commerçants. Je veux qu’on le reconnaisse. Et en disant ça, je ne minimise pas la réalité de l’attentat terroriste.

Vous avez renoncé à être la première femme ministre-Présidente bruxelloise ?

J’ai toujours dit non. Et puis, je me suis posé la question : ne serait-ce pas, dans le climat ambiant, un signal à donner ? Mais, malgré le symbole, il reste qu’il faut faire. Et la Région, ce ne sont pas mes matières ni mon domaine d’expertise.