Belgique

Pierre-Yves Dermagne choqué par l’attitude de Delhaize: « Le conflit devra arriver à la table du gouvernement »

Delhaize: soixante magasins Delhaize fermés ce samedi matin

On a pu observer de fortes tensions entre la police et les syndicats dans la nuit de mercredi à jeudi. Est-ce que cela vous inquiète ?

« Ça m’inquiète. Ce n’est jamais positif quand un conflit social se judiciarise. Des plaintes ont été déposées par les organisations syndicales par rapport au respect de la loi Renault et par rapport à certains comportements supposés de la direction. C’est à nouveau un échec de la concertation sociale. Et je le regrette. »

Estimez-vous que l’on est dans un cas de procédure Renault ?

« C’est la question que posent les syndicats en saisissant l’auditorat du travail. Le siège de Delhaize a annoncé des licenciements tout en précisant que ces licenciements se feraient dans le temps. Donc, a priori, la loi Renault ne devrait pas être d’application. »

Est-ce que ce débat peut exister au sein du gouvernement ?

« Il devra arriver à la table du gouvernement. De manière générale, on doit se poser la question de l’avenir du secteur, mais également celle de l’efficacité de notre arsenal juridique. S’il est possible de contourner la loi Renault et de ne pas en respecter l’esprit, cela nécessitera que l’on réfléchisse à une adaptation de la loi Renault. »

Avant la crise Delhaize, présentiez-vous que ce genre de situation allait se produire ?

« Nous avons vu que dans certains cas, la loi Renault n’était pas totalement efficace. On doit tenir compte de l’évolution du paysage économique et industriel. Prenez Makro. La maison mère, incapable d’assumer le passif social de l’entreprise, a revendu à un acquéreur qui n’avait pas les reins suffisamment solides pour redéployer l’activité. On se retrouve aujourd’hui avec d’anciens travailleurs qui n’ont pas reçu leurs indemnités de licenciement et qui doivent faire appel au fonds de fermeture des entreprises. Beaucoup n’atteindront pas les montants auxquels ils avaient droit. »

« Delhaize méprise les travailleurs et durcit le conflit »

Est-ce qu’il risque de se passer avec Delhaize ?

« Je ne suis pas contre les franchisés et les magasins tenus par des indépendants. Ils répondent à un besoin de proximité. Mais on a aussi besoin de magasins intégrés. Les deux modèles ne sont pas antinomiques. Colruyt continue de défendre ce modèle de coexistence. Mais on doit absolument l’adapter à la réalité. Un franchisé doit être un vrai franchisé. L’application des règles de travail dans le secteur doit correspondre à l’activité commerciale telle qu’elle est réellement organisée. Aujourd’hui, certains franchisés sont propriétaires de 20 ou 30 magasins. Ce n’est plus un petit acteur indépendant. Se pose donc la question de l’entité juridique. Est-ce 20 petites structures indépendantes ou est-ce une plus grosse structure divisée en sous entités ? Autre question : un groupe qui fait des bénéfices, distribue des dividendes à ses actionnaires et augmente la rémunération de ses dirigeants, comme Delhaize, peut-il transférer la responsabilité de son personnel sur des indépendants plus fragiles économiquement ? C’est une question éthique et morale. À mes yeux, c’est interpellant et choquant. »

Pensez-vous qu’une solution pourra se dessiner dans les prochains jours ?

« Je crois toujours à la vertu du dialogue. C’est la raison pour laquelle j’ai désigné un conciliateur social qui est le président de la commission paritaire de la grande distribution. C’est quelqu’un qui connaît bien le secteur, le banc patronal et le banc syndical. J’espère que ça va permettre d’enfin entamer le dialogue. »

Et si la crise reste bloquée pendant de nombreuses semaines, que fera le gouvernement ?

« Pour l’instant, c’est un conflit social. En tant que ministre de la Concertation sociale, mon rôle est de faire en sorte que le dialogue social puisse avoir lieu. On en est là aujourd’hui. Je ne vais pas anticiper sur les prochaines étapes. Mais je pense que le cas de Delhaize, de Makro ou du secteur bancaire pose vraiment question quant à la responsabilité sociétale des grandes structures. »