Belgique

« Le Premier a dit la vérité, mais vous, Hadja Lahbib, ne l’avez pas fait jeudi dernier” : les incohérences de la défense De Croo-Lahbib sur les visas

Le Premier ministre dit avoir reçu lui aussi un mail le 7 juin demandant s’il avait une objection à la venue d’une délégation iranienne à Bruxelles. Il l’a examiné dans l’idée, dit-il, de continuer les pourparlers. “Déclarer une guerre diplomatique à l’Iran n’est d’aucun secours pour ces détenus”, a-t-il indiqué à la commission. Quelques jours après la libération d’Olivier Vandecasteele, Alexander De Croo dit avoir été “résolu à se mobiliser pour ces autres détenus qui croupissent en prison en Iran.” Il ne voulait pas “saboter cette possibilité” d’améliorer le sort de personnalités comme le docteur Djalali.

En d’autres termes, le chef de gouvernement est impliqué personnellement dans le dossier. Il a donc lié son sort à celui de la ministre des Affaires étrangères. Obtenir la démission de Hadja Lahbib semble, dans ces conditions, assez improbable : les partenaires de majorité pourront plus difficilement la réclamer.

Un mois sans prévenir le 16

Certaines zones d’ombre persistent toutefois, de même que certaines incohérences, de plusieurs ordres. Au niveau des dates, notamment.

Ainsi, Hadja Lahbib a accepté, après une discussion téléphonique avec Pascal Smet le 10 mai, de ne pas bloquer le visa aux Iraniens. Or, Alexander De Croo a dit ce jeudi avoir reçu un mail des affaires étrangères le 7 juin, demandant s’il avait une objection à la délivrance du visa. Pourquoi la ministre des Affaires étrangères a-t-elle attendu un mois pour consulter le Premier ?

La demande de visa des Iraniens, il est vrai, n’a été déposée que le 7 juin, le jour où le Premier a été consulté par mail. Sur un dossier d’une telle importance, et au vu des tensions diplomatiques avec l’Iran, on peut s’étonner que les Affaires étrangères ont attendu quatre semaines pour en informer le 16.

Le changement de ligne de défense, entre jeudi dernier et ce mercredi, est également assez patent.

”Changement de narratif” et « dissimulation »

Malik Ben Achour, député PS, a jugé la situation “confuse”. “Pourquoi si tard?”, a-t-il interrogé, au sujet des explications de Mme Lahbib. “Pourquoi avoir chargé Pascal Smet et ne pas avoir assumé directement la raison d’État comme vous le faites maintenant ? Vous aviez assuré que le sort des otages n’était pas en jeu. Il y a un changement de narratif complet, qui semble se faire sur le dos des otages. Vous n’avez pas tout dit au parlement. Ne pas tout dire, c’est une omission. Et cela peut confiner à de la dissimulation. C’est inacceptable.”

Le député PS lui reproche d’avoir “ouvert la porte à des barbouzes du régime iranien” et “d’avoir fait de la Belgique le terrain de jeu de tortionnaires”.

”Pourquoi la vérité d’aujourd’hui n’est-elle plus celle de jeudi dernier”, a lancé Samuel Cogolati, député Ecolo. “Jusqu’au 10 mai, la Région bruxelloise s’alignait sur votre politique (avis négatif remis en mars par les Affaires étrangères). Vous avez estimé que l’invitation des Iraniens par Pascal Smet était ‘une insulte à la Belgique’. Pourquoi avoir utilisé des mots aussi virulents à l’égard de l’Iran, s’il s’agit de faire preuve de prudence diplomatique ?”

Samuel Cogolati en déduit que “le Premier ministre a dit la vérité, mais que vous (Hadja Lahbib) ne l’avez pas fait dit jeudi dernier.” Cette version, relative à la nécessité de protéger les détenus en Iran, n’a en effet pas été évoquée jeudi dernier en séance plénière.

Notons également que le Premier ministre, lors de son interview sur VTM ce lundi, n’a abordé aucun de ces éléments relatifs aux négociations avec l’Iran sur la libération de détenus. Alexander De Croo, dans son allocution, a justifié sa “réserve sur le déroulement des points qui ont eu lieu” par le fait qu’ils “ont considéré que l’agitation en Belgique a (vait) des conséquences sur les détenus en Iran.”

L’argument n’a pas convaincu les parlementaires présents. « On a en mémoire les éléments de langage très virulents de Lahbib qui a estimé que la délégation iranienne à sali la Belgique », a pointé Georges Dallemange (Les Engagés), qui voit dans ces propos l’inverse d’un comportement visant à apaiser les relations avec l’Iran.

Le gouvernement est en train d’expliquer très sérieusement qu’il a délivré des visas aux Iraniens – décision finale début juin, après libération de notre ressortissant – pour ne pas vexer un État qui pratique l’oppression, la répression et la prise d’otages”, a tweeté François De Smet, président de Défi.

« Vous avez donc menti M. le Premier ministre en affirmant le 2 juin que le régime iranien n’obtiendrait pas davantage dans la négociation pour la libération d’otages », a pointé Sophie Rohonyi (Défi). »Et jeudi dernier, vous menti par omission ».

”L’Iran nous fait chanter avec des détenus. Vous avez promu l’échange de détenus comme la manière normale de faire de la diplomatie avec l’Iran”, a asséné Peter De Roover, chef de groupe N-VA, à l’adresse d’Alexander De Croo.

« Mais alors, qu’est-ce que Smet a fait de travers? »

Hadja Lahbib a insisté aussi sur les nécessités diplomatiques, « l’importance du multilatéralisme » et “la politique de siège de la Belgique” pour justifier sa décision de délivrer le visa à la délégation iranienne. Cette défense, paradoxalement, a pris quelques accents similaires avec celle utilisée mercredi dernier par Pascal Smet devant le Parlement bruxellois. Ce même Pascal Smet, qui a depuis démission, a été accusé par le MR d’avoir “salit Bruxelles”. La ministre Lahbib a pourtant repris certains des arguments que Smet utilisait pour sa défense, et que le MR a utilisés contre lui.

”Vous vouliez, à vous entendre, malgré tout rester ami avec l’Iran. Mais vous n’avez pas compris que Pascal Smet les invités. Mais alors, qu’est ce Smet a fait de travers ? Mérite-t-il de porter la faute ?”, a demandé Peter De Roover. « Vous l’avez jeté devant le bus, mais il a suivi la politique du gouvernement (fédéral), car il ne voulait pas non plus offenser Téhéran ».