Belgique

Le cauchemar sans fin de Loubna Selassi : « J’ai encore des sueurs froides »

Le cours de leur vie a changé à tout jamais depuis que son mari Abdallah Lahlali, qui était bagagiste à Swissport, a perdu une jambe dans les attentats de Zaventem.

Loubna Selassi est restée de longs moments sans voix, paralysée par l’émotion. Le 22 mars 2016, à 08 h 45, soit trois-quarts d’heure après les deux explosions, elle reçoit un appel de son mari : “J’entends à l’arrière des cris d’une atrocité telle que, rien que d’y penser, j’ai encore des sueurs froides”. Et puis son mari lui dit : “Ma jambe, ma jambe”. La communication se coupe.

Avec son frère et sa sœur, elle fait le tour des hôpitaux. Au troisième, “c’est un cauchemar”. On lui demande une photo de son mari, pour vérifier s’il correspond à un cadavre qui est à la morgue. “Ce sont 15 minutes interminables.” Ce n’est pas lui.

”Comme un fait divers”

Elle contacte le centre de crise. On lui communique le nom des hôpitaux où ont été transférés les blessés. Elle les appelle, un à un. “À Anvers, on confirme qu’il est là. On me dit au téléphone en néerlandais qu’il a été amputé. Comme un fait divers. L’annonce est tellement brutale que je m’effondre.” Elle se demande comment elle l’expliquera à leurs enfants, âgés de 7 et 9 ans.

Quelques jours plus tard, c’est le coup de poignard : “On apprend par le personnel médical que quand mon mari est arrivé, le médecin avait hésité à le soigner car on pensait qu’il était le terroriste”.

La gorge nouée, avec comme une colère froide, Loubna s’interroge : “C’est quelque chose que je n’aurais pas voulu savoir. C’est inacceptable. On se demande si sa jambe n’aurait pas pu être sauvée”.

Abdallah restera trois mois hospitalisé à Anvers. Le premier mois, elle loge à l’hôpital avec son mari. Les deux suivants, elle vient tous les jours, sans pouvoir s’occuper de ses enfants.

Abandonnée par l’État

Après, dit-elle, c’est “le parcours du combattant”. “Alors que l’on devait se reconstruire, il y a une multitude d’explications à donner, de démarches, de formulaires à remplir pour justifier nos souffrances.” Son mari ne peut accepter son sort. Il tombe dans une profonde dépression.

Il fallait se battre contre les assurances. “On s’est senti livrés à nous-même. Il a fallu trouver un avocat, un médecin. Il n’y avait personne pour nous conseiller. Un avocat m’a dit : ‘Vous n’êtes pas Kim Kardashian, vous ne pourrez pas me payer‘. Quand il est question d’argent, il n’est plus question d’humanité”, dit Loubna.

Elle en veut aux autorités : “L’État nous a laissés entre les mains des assurances. Il devrait savoir que nous avons besoin de bienveillance. […] Nous sommes auscultés, examinés et soupçonnés du pire”.

Un jour, Loubna retrouve son mari couché dans un fauteuil. Il a voulu mettre fin à ses jours. “Je l’ai pris comme un échec personnel. Malgré tous les efforts que j’ai faits, je ne parviens pas à préserver ma famille. Malgré tous les efforts, il était prêt à nous abandonner. Cela m’a désarçonnée et laissé dans une détresse absolue”.

Sept ans plus tard, les expertises ne sont pas terminées. “Cela fait sept ans que nous n’avons pas vu nos enfants grandir, sept ans que l’on balade mon mari pour des expertises comme un rat de laboratoire”.

”On ne profite plus de la vie comme on aurait pu le faire avec nos deux enfants”, dit Loubna, avant de s’adresser aux accusés : “Je me demande quel dieu vous oblige à infliger ces souffrances et ces atrocités. Mon Dieu m’a transmis des valeurs universelles, de vie simple et de quiétude. Ma religion, l’Islam, n’est pas à confondre avec ces actes ignobles qui ont été commis”.