Belgique

Maëlle, étudiante, est en permanence sur le qui-vive: « Je me fais tout le temps suivre en rue »

Changer de trottoir, contourner un tunnel piéton, enfiler un pull informe, ne plus porter de jupe, rallonger le trajet en rentrant du boulot pour ne pas emprunter une rue mal famée à l’heure entre chiens et loups… Quelle femme n’a pas un jour adopté l’une ou l’autre de ces stratégies d’évitement ?

Parce que l’espace public n’est pas neutre. C’est même parfois un environnement particulièrement hostile pour les femmes. Le sexisme dans l’espace public ne se limite pas au harcèlement. C’est un phénomène aux dimensions multiples qui touche l’ensemble des lieux (sportifs, culturels, festifs, transports en commun…) accessibles au public. Il s’exerce dans un endroit délimitable (une rue, un quartier, une maison communale…) et dans des lieux d’interaction sociale (un bar, un cinéma, une salle de concert…).

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Des lieux pour tous

Chaque citoyen, chaque citoyenne devrait pourtant se sentir à sa place et se mouvoir librement dans cet espace public. Raison pour laquelle la secrétaire d’État à l’Égalité des genres, Sarah Schlitz (Ecolo), vient de lancer un appel à projets (“A nous la rue”) pour féminiser ces lieux censés appartenir à tous. Elle en appelle au talent et à l’inspiration de la société civile pour donner un coup de boost à la représentation des femmes dans l’espace public. Les associations, les collectifs, les artistes sont invités à se réapproprier la rue, à faire connaître de grandes figures féminines belges oubliées, à raviver la mémoire collective sur des mouvements sociaux en faveur de l’égalité et à visibiliser des réalités vécues par les femmes.

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Peur d’être coincée dans l’entrée…

Maëlle (22 ans) peut en parler. Comme de nombreuses jeunes femmes, elle ressent des appréhensions quand elle se déplace dans l’espace public. « Je regarde toujours autour de moi avant de sortir mes clés dans le hall de mon kot. J’ai peur que quelqu’un me pousse et que je me retrouve coincée dans l’entrée avec cette personne à l’abri des regards », rapporte la Namuroise, étudiante à l’Institut des hautes études des communications sociales (Ihecs), à Bruxelles.

Le week-end, Maëlle retourne chez ses parents, à Namur. La ville a opté, comme une centaine de communes wallonnes, pour une extinction de l’éclairage entre minuit et cinq heures du matin jusqu’au 31 mars. Pour réduire la facture énergétique. « Ils éteignent les lampes alors qu’on ne se sentait déjà pas en sécurité. J’étais déjà tout le temps sur mes gardes. Mais si, en plus, il fait noir… » Elle regrette aussi que les caméras de surveillance « fonctionnent rarement ».

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« Quelqu’un m’a attrapé les fesses »

En plus de ce sentiment d’insécurité, il y a des faits. « La semaine passée, j’étais au carnaval de Binche. Dans un bar, quelqu’un m’a attrapé les fesses. En plus, je me fais tout le temps suivre. A Bruxelles, mardi dernier, un mec a commencé à me suivre pour me demander mon compte Instagram. J’ai refusé. Il a continué à marcher derrière moi », raconte Maëlle. « Au réveillon du Nouvel An, c’était pareil. J’étais avec mes potes. Deux mecs ont commencé à nous suivre. On a dû rejoindre des gens qu’on ne connaissait pas. On est restées avec eux. Ensuite, nous avons été dans un bar. Ils étaient encore là. Ils avaient continué à nous suivre, de loin. On avait peur. »

La jeune fille se sent obligée d’adapter son comportement. « Par exemple, à Namur, il y a des rues où tu sais qu’il vaut mieux ne pas passer parce qu’il y a des mecs qui zonent. Tu les évites car tu es mal à l’aise. Mais en même temps, tu évites aussi les rues désertes. Et dans les rues animées, personne ne voit qu’un mec te suit ou t’interpelle. Tu commences à avoir peur de tout le monde. »

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Comment faire pour sécuriser davantage l’espace public? « Je pense qu’il faudrait plus de patrouilles. Tu te sens plus en sécurité quand tu vois une voiture de police. Je serais plus à l’aise si les éclairages et les caméras fonctionnaient. On devrait aussi avoir la possibilité de porter plainte plus facilement. Peut-être que les gens se permettraient moins de t’insulter ou de te toucher les fesses en rue », tranche l’étudiante.

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