Belgique

Indemnisations pour les victimes des attentats : dix questions pour comprendre

1. Quid des indemnités déjà versées ?

À ce jour et sur la base des derniers chiffres livrés il y a quelques semaines par Assuralia, la fédération du secteur, les assureurs ont versé 65,7 millions d’euros aux victimes des attentats de Bruxelles, dont 56,5 millions pour des dommages corporels et moraux. À ce chiffre, il faut encore ajouter des réserves constituées à hauteur de 60,5 millions pour des paiements futurs. Pour ce dernier montant, il s’agit principalement de rentes viagères (sur une base mensuelle) versées dans le cadre de l’assurance accident du travail, sachant que de nombreuses victimes étaient sur le chemin du travail au moment des attentats. Au total, 1 419 victimes ont introduit un dossier auprès des assureurs.

2. Comment s’assurer contre le risque terroriste ?

“Depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, puis ceux survenus à Londres et ailleurs en Europe, les autorités et le secteur de l’assurance ont noué en 2007 un partenariat (NdlR : qui est entré en vigueur en 2008) pour protéger la population belge au cas où un attentat arriverait chez nous, ce qui a malheureusement été le cas”, explique Nevert Degirmenci. Un partenariat qui a débouché sur la décision d’intégrer systématiquement la couverture des dommages causés par le terrorisme dans sept polices d’assurance : l’assurance contre les accidents du travail, la RC (responsabilité civile) Auto, mais aussi l’assurance de la responsabilité civile de l’exploitant de lieux accessibles au public en cas d’incendie et d’explosion (ce qui explique l’intervention des assureurs de l’aéroport de Zaventem et de la Stib) – toutes les trois obligatoires –, ainsi que les assurances contre les accidents corporels, l’assurance incendie des habitations et petits commerces, les assurances maladie et évidemment les assurances vie, tant individuelles que groupe. Les autres contrats couvrent également le risque terroriste sauf si les conditions générales stipulent explicitement le contraire.

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Si un attentat se produit un samedi après-midi sur la Grand-Place de Bruxelles, certaines victimes ne seront sans doute pas assurées au travers des assurances obligatoires car peu de personnes seront à ce moment-là sur le chemin du travail ou sur leur lieu de travail. Et comme c’est un lieu public, il n’y aura pas de couverture via une RC objective liée à un exploitant du lieu comme cela a été le cas à Zaventem ou dans le métro de Bruxelles.”

3. Le Belge est-il toujours couvert ?

Théoriquement non, selon les circonstances, en tout cas pas via les seules assurances obligatoires. “La population belge est actuellement assurée contre les risques terroristes dans un certain nombre d’assurances qui prévoient la couverture de ce risque”, explique notre interlocutrice. Mais d’ajouter dans la foulée : “Tout dépend des circonstances dans lesquelles surviennent de tels attentats. Si un attentat se produit un samedi après-midi sur la Grand-Place de Bruxelles, certaines victimes ne seront sans doute pas assurées au travers des assurances obligatoires car peu de personnes seront à ce moment-là sur le chemin du travail ou sur leur lieu de travail. Et comme c’est un lieu public, il n’y aura pas de couverture via une RC objective liée à un exploitant du lieu comme cela a été le cas à Zaventem ou dans le métro de Bruxelles”. À moins de disposer, par exemple, d’une assurance personnelle facultative, notamment contre les accidents corporels ou hospitalisation, la victime pourrait ne pas être couverte face à certains frais.

L’indemnisation des victimes des attentats est un vrai labyrinthe

4. L’État joue-t-il un rôle dans l’indemnisation ?

À ce stade, pas directement. Dans le cas des attentats de Bruxelles, l’ensemble des montants versés aux victimes l’ont été par les assureurs, sans intervention directe de l’État. Il n’y a pas, dans notre pays, un fonds de garantie d’indemnisation comme c’est le cas en France. Chez nous, depuis 2008, c’est un mécanisme de “solidarisation” qui existe au sein du secteur, avec l’aide des réassureurs et des autorités en bout de course si le montant des dommages à indemniser devait dépasser un certain seuil. Les choses pourraient cependant évoluer puisqu’un avant-projet de loi pourrait à l’avenir permettre de protéger tous les Belges, qu’ils soient assurés ou non, contre le risque terroriste et cela, en toutes circonstances. Cet avant-projet de loi augmente substantiellement le plafond d’indemnisation en le portant à 1,7 milliard d’euros et prévoit une indemnisation automatique intégrale des victimes pour les actes de terrorisme dont les conséquences sont inférieures à 300 millions d’euros, ce qui devrait faciliter et accélérer l’indemnisation des victimes. À suivre donc.

5. Comment cela se passe entre assureurs ?

En cas d’attentat, plusieurs assureurs pourraient être concernés via différentes polices d’assurance de l’assuré. “Dans le cas des attentats de Bruxelles de 2016, c’est l’assurance-loi, c’est-à-dire l’assurance accident du travail (obligatoire) qui est souvent intervenue de manière prioritaire pour indemniser les lésions corporelles des victimes ou prendre en charge les frais médicaux ou les frais de déplacement. Mais cette assurance n’a pas couvert tous les dommages subis. Les assurances RC de l’aéroport et de la Stib ont pris le relais, mais ces assurances ne se cumulent pas, elles sont complémentaires. Ce qui a été indemnisé par un assureur ne le sera pas par un autre”, explique-t-on encore chez Assuralia.

6. Pourquoi certaines indemnisations tardent-elles ?

Après l’introduction d’un dossier auprès de l’assureur, la victime d’un attentat recevra des “avances” pour payer les premières factures auxquelles elle doit faire face. Mais certaines victimes se sont plaintes de la lenteur d’intervention de certaines compagnies ou de ne pas encore avoir été indemnisées complètement. Ici, intervient dans le secteur le concept de “consolidation” : ce concept stipule qu’un calcul et un règlement définitifs des dommages corporels ne sont possibles que lorsque l’état de ces personnes est “consolidé”, c’est-à-dire lorsque la guérison de leurs lésions n’évolue plus. La fixation de l’indemnisation définitive peut donc prendre du temps, parce qu’elle est dépendante de l’évolution des lésions.

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Les médecins experts, spécialisés dans la médecine d’assurance et l’expertise médicale, agissent en toute autonomie et indépendance par rapport aux assureurs. Ils doivent rendre des comptes à l’Ordre des médecins, pas aux assureurs.”

7. À qui rapporte les médecins experts ?

Les médecins experts qui évaluent la gravité des lésions et la nature du préjudice subi par les victimes sont-ils indépendants des assureurs ? “Oui, répond Nevert Degirmenci. Ces médecins, spécialisés dans la médecine d’assurance et l’expertise médicale, agissent en toute autonomie et indépendance par rapport aux assureurs. Ils doivent rendre des comptes à l’Ordre des médecins, pas aux assureurs.” Assuralia ajoute par ailleurs qu’il existe aujourd’hui une pénurie de ces médecins experts en Belgique, dont le nombre est limité à 170. Une ASBL nommée Expecto a d’ailleurs été créée pour stimuler les vocations dans ce domaine, notamment auprès des jeunes futurs médecins.

8. Comment s’évalue le montant des indemnités ?

”En termes d’indemnisation des lésions corporelles, des dommages moraux et matériels, il n’y a pas de différence spécifique qui est faite au niveau de l’assureur entre une victime d’un accident de la route et la victime d’un attentat même si, dans ce dernier cas, il y a évidemment un aspect émotionnel supplémentaire”, explique notre interlocutrice. Qui ajoute : “Le traitement sera personnalisé et individualisé en fonction de la situation personnelle de chaque victime.” Rentreront en ligne de compte pour le calcul des indemnisations la gravité des lésions, vérifiées par une expertise médicale, mais aussi un certain nombre de données personnelles : l’âge, l’état civil, la charge de famille, l’évaluation de l’ampleur et de la gravité de l’incapacité économique de la victime… “Une même lésion débouchera à une évaluation différente du montant des indemnisations d’une personne à l’autre.”

9. Quelles ont été les leçons tirées par les assureurs ?

”Le secteur a retenu un certain nombre de leçons depuis cet événement sans précédent en Belgique”, souligne Assuralia. Avec deux points majeurs. Un : l’engagement d’indemniser le préjudice moral au plus tard un an après l’attentat, y compris en cas de lésions complexes. Deux : une simplification du processus dans l’hypothèse où plusieurs assureurs sont concernés. L’un d’entre eux assumera en effet la direction de l’expertise médicale, afin de ne pas multiplier les examens médicaux et imposer des tracas inutiles aux victimes des attentats. Le secteur s’engage également à sensibiliser les médecins experts à davantage de transparence et d’empathie lors des expertises médicales.

10. Quid si l’assuré n’est pas satisfait du montant proposé par l’assureur ?

Aucune victime n’est tenue ou obligée d’accepter une proposition d’indemnisation émanant de son assureur. Si cette proposition ne lui convient pas, la voie judiciaire est évidemment toujours possible. Et le fait d’accepter de recevoir des “avances” pour couvrir les premiers frais n’enlève donc aucune liberté à la victime d’accepter ou non la proposition finale de l’assureur. Cette semaine, dans les colonnes de la Dernière Heure, on apprenait ainsi qu’une victime des attentats avait obtenu en justice plus du double du montant que ce que les assureurs voulaient lui verser.