Belgique

L’indemnisation des victimes des attentats est un vrai labyrinthe : « Certains se sont sentis abandonnés par l’État »

Cela s’était vu aussi lors du procès des attentats du 13 novembre à Paris. Mais il y a une différence de taille entre les victimes de Bruxelles et de Paris. À Bruxelles, la colère des victimes s’est aussi dirigée contre les assurances et, indirectement, contre l’État qui n’a pas accompagné les victimes dans leurs démarches en vue d’une réparation et d’une indemnisation.

”Ce qui a posé problème au lendemain des attentats, c’est qu’il n’existe pas en Belgique, un système juridique permettant l’indemnisation des victimes du terrorisme. À l’inverse, en France, il existe un Fonds de garantie vers lequel les victimes de terrorisme vont pouvoir se retourner”, explique Me Valérie Gérard, avocate de Life4Brussels, une des deux associations de victimes.

Et donc, poursuit l’avocate qui a travaillé sur le volet assurances, ici, “les victimes ont dû faire face à une multitude d’interlocuteurs”. À Zaventem et à Maelbeek, deux compagnies d’assurances différentes sont intervenues, “non pas parce qu’il y avait un attentat mais parce qu’il y a eu une explosion dans un bâtiment qui doit être couvert par une assurance couvrant le risque d’explosion”, explicite Me Gérard.

Avec, une autre particularité : à Maelbeek, la rame de métro était en mouvement. En plus de l’assurance du bâtiment, il a fallu faire intervenir l’assurance qui couvre les usagers faibles de la route.

Ce qui a son importance, car cela prolonge – de 3 ans à 5 ans – le délai durant lequel une victime peut se déclarer. Or des victimes, frappées psychologiquement, ont parfois mis du temps à se reconnaître cette qualité de victime et les délais ont pu être dépassés, spécialement à Zaventem.

Une multitude d’assurances

Ces assurances couvrant les bâtiments (ou les usagers faibles dans le cas de Maelbeek) ne sont cependant pas les premières à intervenir. Si les victimes ont été touchées sur leur lieu de travail – ou alors sur le chemin du travail -, elles devaient faire intervenir l’assurance accident du travail de l’employeur. “Cela a rendu les situations très difficiles. Vers qui se retourner ? Ce n’est en effet pas l’État qui intervient. L’information n’est pas passée. Des victimes se sont senties abandonnées par l’État, avec, dans certains cas, des conséquences dramatiques : des victimes n’ont pas pu saisir les assurances et être indemnisées”, décrypte Me Gérard.

En matière d’assurances, certaines victimes ont aussi pu prétendre à d’autres assurances : assurance protection juridique ou assurance insolvabilité de tiers.

L’État belge a toutefois décidé de légiférer et d’ajouter un niveau. C’est une pension de dédommagement, dans lequel interviennent les SPF de la Défense et des Pensions. Pour pouvoir y prétendre, il faut toutefois qu’un taux d’invalidité de 10 % soit retenu. Et, dans ce cas, il s’agit d’une pension versée tous les mois, plutôt qu’une rente, versée en une fois…

Des expertises sans fin

Problème pour les victimes, pour évaluer le dommage, il faut se soumettre à chaque fois à des expertises différentes : expertise pour l’accident de travail, expertise pour la compagnie d’assurances du métro ou de l’aéroport et expertise pour la pension de dédommagement.

Et, comme le note Me Guillaume Lys, avocat pour V-Europe, deuxième association de victimes, pour chaque expertise, il est régulièrement nécessaire de voir plusieurs médecins. Ce qui est très lourd pour les victimes. Et, souligne encore Me Lys, chacune de ces expertises peut se conclure par un taux d’invalidité différent.

Indemnisations pour les victimes des attentats : dix questions pour comprendre

”Cette complexité, cette multitude d’interlocuteurs et de procédures différentes pour les expertises, avec des délais et des recours différents ont complexifié les démarches”, dit Me Gérard.

Cela a été excessivement lourd et complexe. Et, bien souvent, les victimes ne savaient pas qu’elles pouvaient être accompagnées d’avocats et de médecins de leur choix pour les expertises. Elles ignoraient que leurs frais d’avocats pouvaient être pris en charge. “Elles se sont donc retrouvées seules face aux assurances et aux experts dont on sait qu’ils ne sont pas toujours faciles avec les personnes expertisées”, explique Me Gérard.

Beaucoup de victimes se sont donc senties malmenées. Certaines ont eu le sentiment que leur dommage était minimisé. Elles se sont senties insultées. Et Me Gérard de citer le cas d’une victime qui faisait état de sa peur d’un nouvel attentat et des autres. “L’expert, pour la déstabiliser, lui a dit : ‘J’ai peut-être une arme dans mon bureau’. Des experts ont ajouté au traumatisme des victimes en les malmenant.”

À côté de ce volet, il y a la Commission financière pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence. Cette commission, créée en 1985, n’intervient toutefois que si l’auteur n’est pas solvable. Elle intervient subsidiairement aux assurances.

Son plafond d’intervention, qui a été récemment doublé, est fixé à 125 000 euros. “Imaginons une fusillade sur la Grand’ Place, il n’y aurait ni assurance professionnelle, ni assurance du lieu. Il ne pourrait y avoir que 125 000 euros, ce qui pour une personne grièvement touchée, est absolument insuffisant”, note Me Lys.

Me Gérard note qu’il y a donc trop d’interlocuteurs : “La commission parlementaire attentats, suivant en cela les associations de victimes, avait suggéré de simplifier la procédure et de créer comme en France un Fonds d’indemnisation. Elle n’a pas été suivie et nous sommes donc toujours dans un modèle assurantiel”.

Et l’avocate de relever que deux catégories de victimes ont par ailleurs été oubliées. D’une part, les premiers intervenants, secouristes, pompiers ou policiers qui ont fait les premiers constats et qui, bien souvent sont marquées psychologiquement. Ils n’ont ni statut, ni indemnisation complémentaire. D’autre part, il y a les enfants, blessés sur place ou qui ont perdu des parents. Pour ces derniers, il n’y a pas un statut spécifique d’orphelins. À l’inverse, une nouvelle fois, de la France…